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16/11/2009

Bantou

Petit ajout à la modernisation des proverbes bantous chers à Alexandre Vialatte :

Ca-vient.jpg

Celui qui reste enfermé dans sa case n’a pas besoin de GPS

Pas de déprime pour le bonobo qui baise.

Le lion attrape facilement la vache folle

Depuis que les cochons sont des stars les oiseaux les ont pris en grippe.

Pour entendre barrir l’éléphante, l’éléphant n’a pas besoin d’oreillette.

Quand le cochon prend froid, attention au virus.

Quand le chef de village distribue des faveurs à ses proches, le villageois se prépare à labourer plus.

Plus la girafe est affamée, plus la feuille d’acacia est amère...             et à la fin, elle devient mortelle.

12:23 Publié dans Vialatte | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : proverbes, bantous |

27/01/2009

Page 48

Je me souviens que Joe Brainard avait écrit un livre qui s’intitulait

"I Remember".

Je me souviens que Perec en avait fait un variante française.
Je me souviens d’avoir commis sur ce blog quelques notes sur ce thème :
à madame Mario,
à l’informatique d’avant,
à Jean-Marie,
à Jean-Pierre
et un bout de Sami Frey.

Dans son livre Joe Brainard disait : “Je me souviens d'avoir projeté de déchirer la page 48 de tous les livres que j'emprunterais à la bibliothèque publique de Boston mais de m'en être vite lassé.” Et bien Pierre Ménard à décidé de publier sur son site les pages 48 des gens qui voudront bien lui envoyer. Donc je lis la page 48 des dernières nouvelles de l’homme ici.

Ca-vient.jpg

Cela tombait bien, c’était le début de la chronique intitulé le Client. Je vous en met un morceau plus bas pour ceux qui ont le temps de lire aujourd’hui.

On y retrouve le Vialatte un peu réac, amusant  et scro- gneugneu qu'on aime tant dans sa critique des progrès du progrès.

LA STATUE DU CLIENT


Le plaisir d'obéir pousse l'homme à faire des rois et le plaisir de changer, à leur couper la tête. Ensuite, les rois lui manquent. Il célèbre ceux des autres, leur femme, leur belle-soeur, leurs amours, leur sentinelle, leur valet de chambre. Il publie les Mémoires de leur maître d'hôtel. Il cite les bons mots de leur basset. Il en emplit les journaux les plus lus. Il loue pour sa nuit de noces, dans le palais défraîchi de quelque prince teuton, la chambre humide où mourut une vieille dame qui était cousine de deux empereurs. Il cherche à se frotter aux idoles pour que la dorure lui en reste aux doigts. Il chante l'égalité, sans doute, mais le coeur n'y est pas : ce qu'il voudrait, c'est d'être plus égal que les autres, ce qu'il aimerait, ce serait d'être roi. Pour pouvoir le devenir, il veut que tout le monde le soit. Il crée des rois du poisson sec, du rock'n roll, du bout dur et du chapeau mou, de la prose, des vers et du n'importe quoi. Des monarques qui durent deux jours pour qu'un autre leur succède plus vite ; des trônes accessibles à tout le monde, des prix pour tous, des couronnes, des honneurs. Un prix Goncourt, au temps passé, « faisait » quinze ans ; il « fait trois mois. On crée des rois avec des gagnants de mots croisés, des vedettes avec le monsieur qui a cru voir l'assassin, avec l'expert en chaises cannées, l'homme qui a mangé une tête de veau en douze minutes, et celui qui a été guéri par les petites pilules Kinétoi.

S'il est une chose insupportable au démocrate, c'est le plaisir de l'égalité. Il veut des records, des stars, des personnages mythiques. Il veut, à la limite, que son Premier ministre mange à la foire une vache en sucre grandeur nature, comme dans la Cavalière Elsa. Et il aime les records dans l'absurde parce que, en même temps, il les méprise, et qu'il a l'espoir de succéder. Il faut que le champion passe vite, qu'il y en ait d'autres et que son tour vienne, pour qu'il ait lui aussi sa photo dans le journal. Il désire des rois de jeu de massacre. Parce qu'il vaut mieux que le titre aille au mérite douteux ; autrement, ce ne serait pas juste ; le même aurait tout, titre et mérite. Le mérite à l'un, la place à l'autre, c'est une bonne loi. J'ai vu des gens attendre à leur fenêtre de voir passer, pour s'esclaffer, tant ils trouvaient la chose bouffonne, le député qu'ils avaient élu !

Parallèlement, on valorise le rien ; c'est une façon de multiplier les rois. On appelle le collège lycée, collège l'école complémentaire. On donne du galon au néant. Dans le vocabulaire communiste, le poinçonneur du métro s'appelle un « travailleur » ; le chirurgien, qui a ouvert deux ventres et quatre têtes dans sa journée et qui recommencera le lendemain, n'a pas droit à ce titre éminent. Le valet de ferme s'appelle un auxiliaire technique » (« auxiliaire technique agricole »). Pour quoi faire ? Pour le rendre grotesque ? Le valet de ferme est un homme utile et compétent ; pourquoi chercher à le rendre ridicule ?

Quant au bachot, on a donné son nom à une parodie d'examen qui ne réclame même pas du gagnant la connaissance de l'orthographe. Un député a sagement proposé une loi qui le donnerait à tout le monde, d'autorité, à l'âge de dix-huit ans. Ce serait une grosse économie. Partout, c'est la haine de la chose, et le culte de son apparence. On n'aime plus que la grenouille parée des plumes du bœuf.

Ce qu'il y a de curieux, c'est que le public, qui connaît pourtant le processus, qui l'a voulu, et qui en est responsable, finit par croire à la grenouille qu'il a gonflée, à l'orthographe du bachelier qu'il a voulu sans orthographie, à l'autorité générale de l'immense M. Testevuide qui n'a pourtant son portrait dans le journal que pour avoir été sauvé de l'engorgement du foie par le dépuratif Kiguéri. C'est lui qui atteste en tout. Il fait autorité. Autrefois, on aurait demandé la publicité d'un stylo à la marquise de Sévigné, d'un tailleur à Brummel (célèbre dandy anglais), d'un fourneau à Landru. Maintenant, c'est à M. Testevuide. Il est interchangeable, il est universel. C'est lui qui cautionne toutes les gloires. C'est la perfection même de son anonymat qui lui confère toute compétence. « Regardez bien cet homme, dit la publicité : c'est un expert en chaises cannées. » On le regarde, on ne remarque rien. On cherche sur son front la marque du génie, une lueur, je ne sais quoi, quelque protubérance qui serait la bosse des chaises cannées. Ou du capsulage des bouteilles. Mais rien ne distingue sa bonne physionomie de celle du monsieur qui a appris les langues au moyen de disques, ou raffermi son buste avec la « pierre de Lune », sinon parfois la légère calvitie qui s'acquiert par le sérieux des préoccupations. C'est exactement le même expert qui remercie M. Galuchot de lui avoir vendu sa table de cuisine: « Merci, monsieur Galuchot, dit-il, ça, c'est du meuble. » C'est encore lui qui achète le savon Chose. C'est sur sa tête que repoussent les cheveux, grâce aux produits du Grand Laboratoire Machin, la montrant Avant et Après et prouvant même par là que non seulement le grand produit fait repousser la chevelure, mais qu'il rectifie le noeud de cravate, nettoie le col et rase le menton, car, Après, toutes ces choses sont beaucoup mieux qu'Avant. Oui, c'est lui le grand homme anonyme. C'est le roi du jour. C'est l'Expert Inconnu. Comme on comprend que tout le monde s'incline devant l'autorité de sa vaste insignifiance ! Ce n'est plus l'homme quelconque, c'est le Client. Plus il est banal, plus il plaît, plus il rassure, plus il pensera comme on pense soi-même. Et c'est là le point.

Il ne lui manquait que sa biographie. C'est une lacune qui vient d'être comblée. Avec éclat. Par l'éditeur qui a fait le livre le plus cher du monde : L'Apocalypse, illustrée par Dali. L'Apocalypse de Dali est en vente pour deux cents millions. C'est un de ces livres qui font date. On ne l'ouvre qu'avec un concierge. On n'en parle qu'avec des chiffres, comme du Quid ', qui a nécessité l'exploration de huit mille volumes par deux cent soixante-cinq auteurs pour répondre à toutes les questions qui empêchent de dormir l'homme moderne telles que le nombre des jésuites et le prix de l'hectare de terre arable dans le Loiret ; ou comme le Guinness Book, le Livre des Extrêmes', qui sait la vérité sur l'âge du plus vieux chat ; ou encore comme l'Histoire du Sud, le livre le plus grand du monde, qui a plus de deux mètres de haut, et un moteur de douze chevaux pour tourne-pages.

L'Apocalypse de Dali n'a que soixante-quinze centimètres de long, mais sa seule couverture pèse quatre-vingts kilos ; elle est en bronze incrusté de fourchettes. Le texte de l'ouvrage a été manuscrit par une dame poliomyélitique, avec quatre-vingt-trois mille lettres, pas une rature et deux années de travail. Pour ne rien laisser au hasard, Dali avait réalisé en plâtre une grosse bombe, incrustée d'une montre, d'une croix, de clous et de médailles de piété, qu'il avait lancée sur un cuivre où les objets s'étaient gravés. Au Vélodrome d'Hiver. Et c'était sur ce cuivre qu'il avait tracé sa Pietà.

Tels sont les progrès de l'Industrie.

On a d'ailleurs inventé, depuis, le pinceau à air comprimé, un pinceau rotatif de mille cinq cents tours-minute, qui va sept cent quatre-vingt-dix-huit fois virgule cinq plus vite que Michel-Ange lui-même, et la peinture à la hache de bûcheron qui sera suivie très prochainement, n'en doutons pas, de l'aquarelle au sabre d'abordage.

Quoi qu'il en soit, c'est l'éditeur Foret qui, misant à la fois sur le talent, le travail, la qualité, la badauderie et le snobisme, le prestige de l'ésotérisme et le succès des moustaches de Dali, a fait faire, à la bombe, ce livre prodigieux qui se raconte avec des anecdotes, au prix desquelles l'intérêt du texte n'est plus qu'un prétexte léger. On voit par là qu'il connaît son siècle et son métier ; un siècle où ce qui passionne, plutôt que l'information, c'est le nom du speaker qui annonce (d'une voix aimable, avec quelque chose d'engageant!) la perte de quelque territoire grand quinze ou vingt fois comme la France ; où le metteur en scène vous explique qu'une pièce est une « proposition que l'auteur fait au metteur en scène »... (c'est-à-dire que Molière, Shakespeare ou Euripide sont des prétextes retouchables aux inventions de M. Durand, à ses humeurs et ses enjolivures) : où Mlle Machin, célèbre pour son buste, a plus de droits que l'auteur sur le texte d'une oeuvre qu'on veut adapter à l'écran ; où le tailleur, autrement dit, a le droit de vous couper les jambes plutôt que d'allonger le pantalon ; où ce n'est plus au peintre des décors de faire valoir une oeuvre de Hugo, mais à Hugo de faire valoir le peintre ; à M. Tartempion de raconter Racine, mais à Racine de raconter M. Tartempion.

C'est du moins ce que j'apprends par une annonce de presse qui propose, pour un prix d'ailleurs assez sérieux, à tout homme désireux d'avoir sa biographie, de la commander aux Editions Foret, à quelque écrivain distingué, avec portrait et illustrations. Elle lui sera livrée sans délai « dans un emboîtage de haut luxe ».

Attendons-nous à voir bientôt paraître, sous la plume d'Henry de Montherlant, de Jean Paulhan ou d'André Maurois, la Vie de M. Testevuide. On y lira l'histoire de sa rougeole et de son certificat d'études, peut-être même de ses oreillons. Leacock' avait prévu la chose en écrivant, dans ses nouvelles, cette belle Vie de John Smith où le client du métro et le parfait abonné du gaz peuvent mirer en eux-mêmes leur grisante aventure.

C'est ainsi que la célébrité sera mise à la portée de tout le monde.
Il ne restera Plus qu'à faire faire par Rodin une statue de l'usager de l'autobus. En bronze moulé. Très légèrement pensive. Et à la mettre dans un square important.

Ne riez pas, mais saluez au passage. C'est le monument du roi de l'époque. C'est la vraie statue du Client.

18:10 Publié dans Vialatte | Lien permanent | Commentaires (1) |

01/12/2008

Henri Roorda

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l'Association des Amis de Henri Roorda (Aahr) recherche des documents et témoignages sur...

Henri Roorda.

J’avais parlé de Roorda dans une note en 2006. En disant qu’il était Genevois... Il aurait été lausannois dit-on... au temps pour moi.

Anarchiste, internationaliste et pacifiste, le Lausannois Henri Roorda (1870-1925) fut surtout l’un des plus brillants humoristes des années folles. L’égal d’un Alexandre Vialatte par la verve subtile de chroniques publiées notamment dans la /Tribune/ et la /Gazette de Lausanne/ et la /Tribune de Genève/. Auteur de pamphlets comme /Le pédagogue n’aime pas les enfants/, il fut aussi un enseignant adulé de ses élèves.

Le Musée Historique de Lausanne prépare pour mars 2009 la première grande exposition consacrée à ce Martien des lettres romandes. Un catalogue comprenant des billets inédits sera édité pour l’occasion.

Les commissaires de l’exposition recherchent pour enrichir celle-ci des documents d’époque : des éditions originales des /Almanachs Balthasar/ (1923 à 1926) et de ses autres livres, notamment les manuels scolaires publiés chez Payot (arithmétique, algèbre, géométrie) ; des photographies de Henri Roorda ainsi que des classes où il enseignait ; des manuscrits, des lettres ; des témoignages de personnes qui auraient entendu de leurs grands-parents des évocations de Roorda comme professeur ou personnage hors du commun.

On peut aussi adhérer à l’Association des Amis de Henri Roorda, constituée à Lausanne en 2003, qui a pour buts la mise en valeur de son œuvre et de sa pensée, l’organisation de manifestations et de publications, l’exploration des connexions et alentours de Henri Roorda, la valorisation de son patrimoine littéraire, théâtral, pédagogique au plan international, l’encouragement à des démarches prolongeant son esprit.

Pour contact : Association des Amis de Henri Roorda,

Rue des Terreaux 18bis, 1003 Lausanne. Tél. 021 323 21 70
hum.fil@befree.ch

18:43 Publié dans Vialatte | Lien permanent | Commentaires (8) |

01/08/2008

Proverbes

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Alexandre Vialatte

(eh oui encore lui)

adorait

les proverbes.

 

 

 

Il a souvent expliqué à quel point ces petites phrases sentencieuses prenaient de l’ampleur quand elles étaient mises dans la bouche de la soit-disant sagesse populaire. Il aimait beaucoup ce mélange d’emphase et d’enfonçage de portes ouvertes.

Alexandre aurait été content de tous ces sites sur Internet qui cataloguent des proverbes, citations, aphorismes et autres maximes. Il aimaient particulièrement les proverbes arabes qu’il trouvaient les plus grandioses puis les proverbes chinois qui dévoilent les secrets du riz gluant et font parler le bonze et le mille-pattes. "L’orient est le pays des barbus sentencieux assis à la turque sur des tapis multicolores, ils ont assez de temps pour pouvoir parler rarement et regarder l’agitation des hommes avec une distance considérable. L’homme sage est une fiction orientale."

Dans le film « Il postino » le facteur, montrant le ciel, demande à Pablo Neruda : « Est-ce que ceci est une métaphore du monde ? » "Pourquoi pas", réponds le poète. Vialatte nous dit que la vie est un proverbe de Shakespeare et de Kafka. (Life is a tale told by an idiot…)

Voici quelques proverbes pris presque au hasard.

Quand le proverbe tombe de l’arbre le sot l’y laisse.   

L'épervier et le vautour s'abattent sur le blessé qui gémit.

Dans la nuit noire, sur la pierre noire, une fourmi noire : Dieu la voit.

Soit comme l’arbre fruitier, si on te lance des pierres lance des fruits.

Quand les ailes poussent à la fourmi, c'est pour sa perte. "
Ne brûle pas ta maison pour en chasser les souris .

La chèvre broute ou tu l’attaches.

Mieux vaut le chien vivant que le lion mort.

Coq maigre avec poule grasse font poulets de bonne race.

Maisons sans habitant est laissée aux rats et chats-huants .

Certes il y a quelques truismes dans le proverbe de la chèvre et le dernier est proche du proverbe bantou cité par Vialatte : « à case vide, point d’habitant. »

05:25 Publié dans Vialatte | Lien permanent | Commentaires (2) |

26/07/2008

Pages 123

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Abassourdine dans son billet du 24 juillet m'a sollicitée pour participer à ce jeu.

Il s'agit de:

1- Citer la personne qui nous a "tagué"
2- Indiquer le règlement. 
3- Choisir un livre, l'ouvrir à la page 123. 
4- Recopier à la 5ième ligne, les 5 lignes suivantes.
5- Indiquer titre, auteur, éditeur, année d'édition.
6- Taguer 4 personnes.
 
J’ai dû tricher un peu, la page 123 ne contient pas 10 lignes, donc j’ai pris toute la page 123.

« Pauvre Villon. Il n’en demandait pas tant. Les génies ne le font pas exprès. Laissons-le sur la route mouillée où l’attendent les hasards et les noirs cabarets, l’ombre chinoise des gibets (…) L’histoire l’y perd de vue. A trente ans, desséché, voûté glabre « comme un navet », il s’évanouit dans le brouillard, où passent, comme les valets du jeu, le Soudard, l’Ogre et l’Ecorcheur. »

Ce texte est extrait d’une chronique intitulée « François Villon ou l’hygiène des poètes. » d’Alexandre Vialatte publiée dans « Dernières nouvelles de l’homme ». Un livre édité chez Julliard en 1978.

Un autre page 123 ?

« …tu dois trouver la forme du dragon, une sorte de petit vallon. Faut aussi rechercher son compagnon le tigre blanc. Dans ta maison, le secteur de l’amour, le Pa Tua, qui est situé à peu près ici, vers le lit, doit contenir un vase toujours rempli d’eau fraîche…
- Je n’ai même pas de vase.
- Justement ! »
 

Pour les références, c’est ici 

Je fais suivre à Dario uniquement pour ne pas casser la chaîne.

09:35 Publié dans Vialatte | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : Littérature |

22/05/2008

Presque rien

Suite de la “Chronique du rien et même du presque rien”  Alexandre Vialatte,  in Chroniques des immenses possibilités, Juillard, 1993

Ne piétinons pas l’ennemi vaincu. Mettons-nous d’accord avec lui sur les constatations de M. Jankélévitch qu’il cite avec bien de l’à-propos; elles ne peuvent que réunir tous les suffrages. “Le pessimisme de la négativité, dit nettement M. Jankélévitch (p. 48 de l’ouvrage cité), n’est sans doute qu’une déception du dogmatisme réificateur. (Naturellement!) Il y aurait bien un moyen d’éviter à la fois Charybde et Scylla (nous y voilà): ce serait (bien sûr) de ne plus considérer (folie!) le presque-rien comme la différence mathématique entre le tout et le presque-tout (mais qui y songe, sinon quelque étourneau?), mais de reconnaître en lui le mystère de la totalité en général. (Ce n’est que trop vrai, et tout le monde y consent.) Ce mystère ne peut être rongé par le progrès scalaire de nos connaissances.” Voilà la chose, et là j’applaudis des deux mains.

Qui n’a jamais vu le progrès scalaire ronger quelque mystère que ce soit? Même derrière une malle démodée, dans un grenier de commune rurale! J’ai vu des rats ronger des noix, des lapins ronger des carottes, du tout, du rien, du presque tout, du presque rien, et même parfois du je ne sais quoi, jamais je n’ai vu de progrès scalaire ronger de mystère de la totalité. Ce sont des vérités évidentes, et nos lecteurs ont rétabli d’eux-mêmes. C’est bien là où je voulais en venir, et c’est ce qui confond M. Verdure. Sa critique était inutile. Car nos lecteurs ont rectifié. Je les connais bien. Nous avons fait la guerre ensemble. C’étaient des pâtres du Haut-Cantal. Nous nous entendions sur toute chose, sur le rien et le je ne sais quoi. Nous y étions d’une grande compétence et nul ne nous fit jamais prendre du je ne sais quoi pour quelque chose. Quand on partageait le saucisson, celui qui avait la tranche transparente savait sans nul effort que c’était du presque rien si on voyait le soleil à travers par beau temps, du rien si c’était par temps de brume. Quant à celui qui n’avait que la ficelle il comprenait très bien que c’était du je-ne-sais-quoi; pas tout à fait du rien: il y a dans la ficelle une imprégnation de charcuterie, avec du sel, du salpêtre, ou de la cendre; l’âme du saucisson, essence immatérielle, qui n’est ni le rien, ni le presque rien, mais le je ne sais quoi. Celui qui la recevait en partage ne faisait jamais l’erreur grossière de la prendre pour du presque tout.

Il en naissait mille désaccords qui obligeaient le soldat en campagne à accorder la plus grande importance aux différences du presque rien, du rien abstrait, du rien concret, du rien solide, du rien liquide, du je ne sais quoi qui se met en bouteilles et de celui qui se tartine sur du pain. Toute la vie du soldat, son prêt et sa haute paye, son lit, son vin, sa nourriture, sont une école du presque rien et du je ne sais quoi. Le Puy-de-Dôme également, ainsi que le Haut-Cantal, et le canton de Brioude, qui appartient à l’Auvergne. Ils sont pleins de proverbes et de grand-mères qui enseignent dès la tendre enfance à faire du quelque chose avec du je ne sais quoi, en l’économisant sans cesse. Il n’est pas rare d’y voir des gens partis de rien qui arrivent au même endroit au bout de leur existence. D’autres qui arrivent à du je ne sais quoi avec beaucoup de persévérance. D’autres qui partent de tout et qui n’arrivent à rien. Mais, plus généralement, avec du presque rien ils arrivent à du quelque chose. Et c’est pourquoi ils font très bien la différence, sans ronger le progrès scalaire ni le mystère de la totalité, entre le tout, le presque tout, le presque rien, le je ne sais quoi et le quelque chose.

On peut même dire que c’est leur vocation locale et qu’ils y consacrent leur vie. Et c’est pourquoi le professeur Jankélévitch n’a rien à nous apprendre ici sur les problèmes du presque rien dans le partage du saucisson ou la constitution du livret de Caisse d’Epargne.

 

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21/05/2008

Jankélévitch

 

Ca-vient.jpg

 

Vladimir Jankélévitch

(Bourges 1903- Paris 1985)

Philosophe et musicologue français.

Sa pensée est centrée sur trois axes :

 

Extrait de Alexandre Vialatte, “Chronique du rien et même du presque rien”, in Chroniques des immenses possibilités, Juillard, 1993.

(…)

« Et ensuite il y a M. Verdure, qui est professeur de philosophie, et qui m’écrit que j’aurais dit des bêtises dans La Montagne du 3 mars. Je lui réponds que c’est entièrement faux. Je les ai dites le 20 février. Et c’est tellement entièrement faux que, même si j’avais voulu les dire, la chose m’eût été impossible, car le 3 mars était un samedi et ma chronique paraît le mardi. Je ne peux dire de bêtises que le mardi, c’est le triste sort du journaliste; au lieu que les professeurs peuvent en dire tous les jours; je ne parle pas pour M. Verdure, car sa lettre est pleine de bon sens; on voit par là pourtant combien ses calomnies sont dénuées de toute espèce de fondement. “Vous parlez, m’écrit-il, dans votre paragraphe trois, d’un professeur qui a écrit trois mille pages sur les nuances et sur les gouffres qui séparent le Rien du Je-ne-sais-quoi.” (C’est fort exact.) “Il s’agit, ajoute-t-il, de mon maître Vladimir Jankélévitch.” (Pure vérité. M. Jankélévitch sépare déjà à 8 heures du matin, à la radio, le presque-rien du je-ne-sais-quoi, pour que l’homme se réveille dans l’utile de la chose et se trouve jeté tout nu dans le vrai sérieux de la vie.) “Je ne vous signale, continue M. Verdure, que le titre de son ouvrage n’est pas “le Je-ne-sais-quoi et Rien”, mais “le Je-ne-sais-quoi et le Presque-rien“.
 
Je le savais. Qui ne le sait? Et on ne me l’apprend pas. Mais le Presque-rien cassait la cadence de ma phrase. Au lieu que le Rien s’emboîtait parfaitement. Les lois de la prose ne sont pas celles des événements: un historien vraiment soucieux de son style fait perdre ou gagner la bataille suivant les intérêts de sa phrase et non pas ceux d’une ressemblance photographique avec des faits qui auraient pu être tout différents! C’est une question de conscience professionnelle. Ou alors qu’on nie Picasso! M. Verdure songe-t-il à nier Picasso? Va-t-il acheter ses tableaux chez le boucher, chez le menuisier, chez le marchand de singes? Non, M. Verdure ne songe pas à nier Picasso, et c’est pourquoi, tel que je le sens, il est navré de ses affreuses calomnies, il bat sa coulpe, il souffre, il ne sait plus où se fourrer.

07:05 Publié dans Vialatte | Lien permanent | Commentaires (0) |