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24/01/2011

L'émission

J’étais donc mardi dans les studios de France Inter la vedette d’Un Jour Tout Neuf, l’émission de Brigitte Patient réalisée par Matïé Vasseur (la réalisatrice de quelques émissions célèbres de Claude Villers, du plus lointain de mes rêves, c’est pour de rire, plaisirs de trains…). 

Le taxi va vite à quatre heure vingt dans Paris. J’arrive donc avant Brigitte, je suis reçu par Maïté. Brigitte arrive et elles commencent à parler de leurs soucis du moment liés à un certain film de Jean-Jacques Annaud rapatrié de Tunisie. Bien sur, je suis dans l’exceptionnel et elles sont dans une sorte de quotidien. Les bureaux ne font pas preuve d’un luxe ostentatoire, l’argent du contribuable n’est pas gaspillé.

 

 

Vers cinq heures moins le quart, on monte au studio. Dans la fosse aux lions, Brigitte est à la place du milieu, on me donne le micro jaune. Derrière deux jeunes hommes qui ont fait la nuit et qui vont travailler avec Maïté. Je ne connais pas les questions et la seule chose que je réussi à placer, avant les cinq heures fatidiques, est que je veux parler de montagne. Visiblement, cette requête semble déranger l’ordre prévu des questions. Brigitte me promet d’en parler. J’ai décidé d’être fataliste, je reste donc fataliste.

Un jeune homme arrive pour le journal de cinq heures. Il nous apprend la mort de Jean Dutour un vieil écrivain bourru et néanmoins sympathique, d’autres nouvelles suivent que je n’écoute pas. Je suis concentré. L’entretien démarre, je suis un peu surpris que les premières questions soient sur Saint Julien mais, bien obligé, je réponds en essayant d’être le plus clair possible. Je parle donc de mon nouveau job. Je refuse de parler de retraite. Ce n’est pas que le sujet me fasse peur mais je n’ai pas envie de passer du temps à expliquer les circonstances de cette retraite. J’ai tant d’autres sujets qui me tiennent à cœur.

Je suis d’ailleurs surpris quand Brigitte me parle de Jacques Duboin. Lors des premiers contacts, en décembre, il était question, d’une question à poser à quelqu’un de France Inter. J’avais une question pour Bernard Maris que Valérie, mon contact, trouvait à juste titre trop complexe. Je ne m’attendais donc pas à la question. Et donc pas facile de répondre rapidement sur un tel sujet.

A six heures moins le quart, Brigitte sort un peu de son canevas soigneusement préparé pour me parler de montagne. Je peux parler de quelque chose qui me tient à cœur, la quinquaillerie. Je serai d’ailleurs surpris d’apprendre le nombre de copains qui ont mis leur réveil à cette heure matinale.

J’ai bien aimé la chronique d’Hortense Volle ma souris m’a dit. Hortense est une fille pétillante, qui sait dégotter des sites sympathiques sur le net. A la fin de l’émission, j’étais, comme prévu, un peu frustré. J’aurai aimé parler de mes petits enfants qui sont, bien sûr, essentiels à ma vie mais bon, on ne peut pas tout dire, l’un dans l’autre c’était une bien riche expérience. Brigitte et Hortense m’ont accompagné dans la régie du studio où Audrey Pulvar couvre la tranche de six à sept. Le jour était levé. J’ai pris le bus 72 pour un petit débriefing et déjeuner, avec ma chère et tendre dans l’appart prêté par Ophélie.

27/12/2010

Instants fataux

Un brin de grammaire ne fait jamais de mal. Vialatte disait même que c’était, après le cheval, et à côté de l'art des jardins, l'un des sports les plus agréables. Donc, les mots qui finissent en al font leur pluriel en aux sauf que…

...on ne dit pas :

 

Des festivaux

Des piédestaux (ni d’ailleurs des piédestals)

Des récitaux

Des raisonnements bancaux

Des instants fataux *,

Des bouquets finaux (sauf s’ils sont très rusés)

Des chantiers navaux

Des airs tonaux (on dit les musiciens ont vidé le tonneau et d’ailleurs ils ne chantent plus dans le ton)

Des éléments causaux (ni même causals) tels que "parce que", "car", "puisque". On doit dire : ce sont des particules causales.  

 

* Les instants fataux est le titre d’une cantilène en gelée de Boris Vian qui me semble toute indiquée en cette fin d’année :

cantilenes-en-gelee-336967-120-200.jpg

Ah oui ça c'est bien vrai
 Que c'était pas comme ça
De mon temps de ton temps
On respectait les vieux
On marchait sul trottoir 
On la tournait sa langue 
dissette fois dans sa bouche 
Avant d'oser causer
Et les gauloiz coûtaient 
Dix-centimes-deux sous
Mais ils ont tout changé
On n'a plus de respect
Pour les vieux pour les vieux
On fait l'amour avec 
Des sinjenpantalons
On roul dans des voitures
Qui marche-t-au pétrole
Et puis surtout et puis 
Ah merde merde merde
On est vieux, on est vieux...

13:19 Publié dans Blog, Vialatte | Lien permanent | Commentaires (5) |

12/08/2010

Ferny Besson

 

 

Image de Ferny Besson sur le site makhali-phal

 

On sait que ce blog est avant tout Vialattien. Il m’arrive donc de chercher des textes de Vialatte. Et comme j’avais en tête le mot démagogie à cause d’un certain blog, je tombe sur un texte de Vialatte refusé par la Montagne car trop politique.

On sait que Vialatte était un vieux réac, ce que je ne savais pas c’est qu’il était le parrain d’Eric Besson, le traître tombé en réaction pour un ministère. Eric est le petit fils de Ferny Besson, la grande amie de Vialatte. J'avoue que je suis un peu jaloux... Ma rencontre avec Vialatte n'était que fictive.

Voici la fin du texte refusée avec, ironie, un problème d’identité.

…Dater de soi est une illusion. Tout l’art et toute la civilisation consistent à savoir choisir ses aïeux. Peut-être était-il bon que les Gaulois fussent les aïeux des Balubas. Les Balubas ont tort de les manger. Ils n’en trouveront pas d’aussi tendres. On a les aïeux qu’on mérite. Et c’est ainsi qu’Allah est grand”

Les Balubas sont une tribu de Centre Afrique.

La dédicace des fruits du Congo de Vialatte à son filleul sur le site de l’Express. Lisez les fruits du Congo au lieu de lire des blogs politiques.

Démagogie : Recherche de la faveur du peuple pour obtenir ses suffrages et le dominer. Du grec demos, le peuple et ago, mener, conduire > agogia, conduite.

 

 

 

09:11 Publié dans Vialatte | Lien permanent | Commentaires (1) |

24/04/2010

Le prince de l'Avatar

Une note pour Denis et pour tous les gens qui, comme nous, aiment autant Vialatte que Raymond Queneau. Tirée de « Dernières nouvelles de l’homme », page 242. Un livre préfacé par Jacques Laurent mais qui ne donne pas de date de parution des chroniques. A noter que Queneau est cité dans 9 chroniques de la Montagne, en particulier dans la 529 La langue et les Travaux puis dans la numéro 530 le semaine suivante… et encore dans la 762 sur « Courir les rues ».

Raymond Queneau

ou

Le prince de l'Avatar

Ca-vient.jpg

Raymond Queneau est certainement l'un des plus curieux mammifères du xxe siècle occidental. Assis d'une main sur le fauteuil Goncourt, il s'appuie de l'autre sur le Collège de Pataphysique, qui a hérité de la pensée du père Ubu (c'est le plus grave sanctuaire de la loufoquerie érudite). Il y occupe un rang majestueux : quelque chose comme Grand Moutardier du logarithme bifourchu, ou Provéditeur des Phynances, ou Hérisson Cosmogonique des Apparences, ce qui lui a permis, en son temps, de présider à la librairie Loize, à deux pas de Saint-Germain-des-Prés, des Expositions parallèles de tigres royaux du Bengale et de pères de famille bretons contemporains. On dit, c'est peut-être une légende, qu'il conserve dans une malle, pour l'érudition, pour la Science, pour la zoologie de la chose, le plus grand des nains auvergnats, mort en 1905 à Lampdes, monté sur fil de fer par un savant flamand, empaillé et armé de moustaches, avec une étiquette en ronde. Il lui change sa chemise tous les ans.

A la ville, Queneau est Prince de l'Avatar.

Il exerce les fonctions de lecteur chez Gallimard, où il dirige des collections. Il y occupe, à un demi-étage (la maison Gallimard ne comporte pas d'étages), au 5, rue Sébastien-Bottin, en bordure d'un escalier, un de ces mille cubes pareils aux alvéoles d'une ruche où M. Gallimard loge ses spécialistes, ses chimistes du mot, ses physiciens du verbe, résumons-nous : ses faiseurs d'or. Queneau est l'un des rois de ces laboratoires : c'est là qu'on a le plus de chances de le trouver absent.

S'il y est, on découvre un géant à la carrure d'armoire rustique, mais d'armoire pliée par le vent : un peu voûté, tout en courbes, en mollesses, en nonchalances, le cheveu gris et long, la voix traînante et un peu nasillarde (il fait songer à Jean Tissier), il a l'air d'une clef de sol dans un fauteuil Morice. Il se tait en penchant la tête. Son petit oeil luit avec des malices d'éléphant. Et tout à coup, il rit, d'un rire qui ébranle les murs : « Vous avez dit que j'avais dit que M. Dupont avait écrit l'ouvrage le plus stupide du siècle. Il faut retirer ça, je vous en prie. Toute sa famille m'a écrit que c'était vrai. »

M. Gallimard, dans ses laboratoires, a réussi à isoler le mot, matière première de son commerce florissant. Son directeur le prend dans sa pince ; Parain en étudie le spectre avec un prisme ; M. Gallimard, élevant le débat jusqu'au niveau de la méta-littérature, le transforme en or monnayable.

Queneau, lui, dans cette aventure, transmute les mots en autres mots ; il les transforme l'un dans l'autre, il les déforme, il les réforme, il les reforme, il les conforme, il les découpe, en jette les morceaux comme des dés, et regarde ce qui en résulte. Il a quatre-vingt-dix façons de raconter que, sur une plate-forme d'autobus, un monsieur a besoin d'un bouton à l'échancrure d'un pardessus ; par voie de litote, de partie double », de « synchyse », de « logo-rallye », d' « homéoptote », et d'onomatopées. Ses quatre-vingt-dix rédactions composent ses Exercices de style. Le jour où on en fit un disque, ils furent fêtés chez Gallimard par un cocktail. L'entrée du salon était carrossée en plate-forme d'autobus. Il y avait tout Paris Faulkner, un ambassadeur, un faux-monnayeur, un vrai parricide et une semi-poétesse bulgare, qui portait une vraie araignée incrustée dans un médaillon de vrai plâtre, accrochée à une vraie ficelle autour de son cou.

Prince de l'Avatar, des mots, des formes verbales, syntaxiques, littéraires, racontant une même histoire sous forme de roman, de pièce, de film, de sonnet, de rondeau. Queneau était tout désigné pour diriger chez Gallimard l'Encyclopédie de la Pléiade, véritable épopée du mot, gigantesque entreprise où il souligne encore sa ressemblance avec Diderot.

Ses romans sont aussi des aventures du mot, des épopées comiques du verbe. L'homme s'y présente sous un aspect désespérant. Il est à l'homme de M. de Buffon ce que le mégot est au cigare. On ne le trouverait pas dans Plutarque. On aurait plus de chance dans Céline. Tous les romans de Queneau sont faits de personnages miteux, parlant un français marmiteux, dans des banlieues calamiteuses. Le chômeur, l'argot, le terrain vague et la plateforme d'autobus en fournissent toute la majesté. S'ils entrent dans la poésie, c'est par certain halo lunaire. Car l'Avatar est par lui-même un Luna-Park : il n'est de poésie que de la métamorphose ; Suzanne Lilar l'a bien fait voir dans le Journal de l'analogiste. Or Suzanne Lilar, c'est tout dire, est la femme d'un garde des Sceaux.

C'est l'Avatar qui explique ce caractère hybride qui fait de Raymond Queneau un grand rhétoriqueur et un conservateur de la haute littérature (il dirige une biographie des plus grands écrivains du monde), un chimiste de laboratoire, un amateur de contrepèterie, pessimiste, narquois et friand de sordide, amateur de vieilles boîtes de conserve, d'argot crasseux, de traîne-savates, d'idiots complets et d'abouliques décourageants, pailletés tout de même comme le clown de Banville : car une vieille boîte à sardines, dans un terrain vague, à minuit, reste quand même un miroir de la Lune.

C'est en Afrique qu'il a rencontré son héros le plus poétique : M. Amos Tutuola, planton du gouverneur de Lagos dans le Nigeria britannique, ivrogne de génie et nègre yarouba. Le père d'Amos Tutuola, s'étant aperçu que son fils, qui approchait de ses dix ans, n'était fait que pour l'ivrognerie, lui avait donné deux cents hectares de palmeraie et un « malafontier » pour lui faire son vin de palme. Mais le malafontier mourut. Il n'en put souffrir de moins bon. Il partit donc à la poursuite de son ombre, chez les morts, pour l'amour de l'ivrognerie, comme Orphée cherchant Eurydice. Il y trouva les Villes erronées et les Villes où l'on devient rouge, les Villes des morts et les Villes des vivants, le Premier pays des fantômes, le Deuxième pays des fantômes, et « l'ami à deux têtes de la brousse des fantômes », des arbres « d'environ soixante mille décimètres », et la Ville des bébés sans jambes. Il tint son journal de voyage, et raconta ses aventures en anglais. Un vrai patchwork. Queneau les traduisit. Ou bien les inventa. Ce délire nègre, ce folklore, cette épopée, ce rêve d'ivrogne, ces Mémoires du songe africain, il en a fait pour ainsi dire sa plus personnelle création.

Non content des Mémoires de l'Afrique, il a d'ailleurs écrit aussi les Mémoires de la Planète, une sorte de Lucrèce en vers de mirliton, Petites cosmogonies portatives, qui retracent la naissance de la Terre, avec « tuniciers, amphioxus, brouettes, serrures, horloge et marmite de Papin.

Il a même écrit ses Mémoires. Il débuta dans le surréalisme autour de 1925. Zouave, cantonnier, employé de banque, bref, Prince en tout de l'Avatar, il resterait énigmatique si l'on n'apprenait tout à coup qu'il a vu le jour, comme Jean Dubuffet, au Havre, et à la même époque.

« Je naquis au Havre un 21 février
« En 1900 et 3
« Ma mère était mercière et mon père mercier.
« Ils trépignaient de joie. »

C'était peut-être Vichnou lui-même, Dieu de l'Avatar, qui venait se réincarner entre le rayon des bas de coton mercerisé et le tiroir des boutons-pression. De toute façon, jamais naissance, comme on peut le voir, n'a provoqué sur les rives de la Seine tant de piétinements dans le commerce de détail. Jamais auteur, non plus, ne fut plus absent de son oeuvre que Queneau de son dernier livre, le Vol d'Icare. Où est-il passé ? Il se cache derrière des paravents. On dirait qu'il l'a laissé faire par une espèce de consortium composé de Labiche et de Cami, d'Alphonse Allais, de la comtesse de Ségur et de M. Vermot lui-même, inventeur personnel de son célèbre almanach. Avec des personnages qui semblent échappés de comédies d'il y a cent ans : Adélaïde, Hubert et Mme de Champvaux, Premier gendarme, Deuxième gendarme, et M. Chamissac-Piéplu. Dans le style : « Etrange destin qui nous met face à face. Serait-ce un piège ? Une machiavélique combinaison ? »; le style dans lequel, au début de notre siècle, le renard ne pouvait s'appeler qu'un « rusé mammifère », et le serpent un « subtil ophidien ». On s'envole dans la platitude, le démodé fait prime, la buvette est ornée d'une boule en nickel pour les torchons. On ne prend ses allumettes que dans un pyrogène, on ne rêve que de la bicyclette, on ne fume que des « partagas ».

Tout ça sent intentionnellement le papier jauni avec des taches d'humidité, et la vieille affiche de théâtre mal éclairée par un bec de gaz. Les personnages sont des ombres livresques, des héros de roman échappés de manuscrits en cours de rédaction. On se les chipe, on se les emprunte, on les égare. Ils courent la ville, ils fréquentent les humains, ils n'ont pas de pièces d'état civil, la gendarmerie les arrête pour leur faire faire leur service militaire.

Bref, Queneau s'est fort diverti. Il y a pris un plaisir extrême. Et nous aussi, comme autrefois, lorsque, à quinze ans, nous lisions en quelque grenier les collections dépareillées et poussiéreuses des livres de nos grandsparents, dans l'odeur de résine des rayons en sapin.
Mais où est passé Queneau ? Il s'est évanoui. Il est parti sur la pointe des pieds. Le magicien a quitté la scène, nous laissant seuls avec ses accessoires. C'était une ombre échappée d'un livre. Si la gendarmerie le retrouve, elle lui fera refaire son service militaire.

De quel roman était-il sorti ?

Résumons-nous : Icare, fidèle à sa vocation d'aviateur, périt sur un « cantharodrome ». Ainsi finit le livre de Queneau.

Ce sont des choses qui ne présagent rien de bon. Ces échappés de roman et ces cantharodromes ne peuvent que rendre Paris de plus en plus incertain. Qu'attendre d'un cantharodrome ? D'autant plus que l'hiver sera long. Le ciel est noir, le vent glacé, les feuilles sont mortes. L'année s'enfonce dans les frimas. C'est le temps des loups. L'homme se défend contre les rats.

Il est attaqué par le rat noir, qui mange le fromage du Cantal, et la souris, qui dévore la lessive, le privant ainsi de vivres et de vêtements. Au seuil d'une saison qui sera dure. On vient de recevoir de Belgique les nouvelles les plus alarmantes. Elles font état d'invasions de « rats musqués », sans qu'on puisse discerner s'il s'agit d'ondatras, avicoliens à queue velue comme le lemming et l'otomys, ou de piloris des Antilles, qui font un mètre avec la queue. De toute façon, la nouvelle est mauvaise. D'autant plus que le rat « grignote la couche terrestre ». La tour Eiffel, déconcertée, ne trouvera plus, un jour, que le vide sous son pied de fer. Ce sera la fin de la civilisation, dans un tonnerre de béton qui s'écroule et un nuage de poussière effrayant. L'homme, coincé sous les éboulis, périra lentement de silicose.

En attendant, que fait-il dans les villes ? Face. Il fait face courageusement. Il vote aux élections, il chante dans les banquets, il conteste dans les cortèges. Il refuse de passer le bachot, il nie le certificat d'études, il menace de mort les professeurs qui le gênent, il oblige le gouvernement à faire mettre 10 à tout le monde. Il s'exalte pour la patrie. Il va crier : « Yassassin Turkhè » aux habitants de Constantinople. Il chausse ses pieds d'immenses babouches pour visiter la Mosquée bleue, et l'allégresse se répand en Turquie. Et d'autres fois, s'étant mis au service de quelque puissance étrangère, il prend une brouette de jardin et va chercher dans un hangar secret la dernière fusée nucléaire que le monde jalouse à sa patrie. Son complice la dévisse en trois, met les gros morceaux dans une malle, et jette pêle-mêle les petits restants dans une valise. Il envoie par l'avion la malle et la valise à ses employeurs du Kremlin, comme « échantillons sans valeur ». Puis il remet la brouette en place. Si bien que personne n'y voit que du feu. Il achète sans hésitation un chapeau mou aux « Galeries du Progrès ». Parfois même un petit feutre vert. L'un pour la dignité, l'autre pour la fantaisie.
Il y pique une plume de poulet.

Résumons-nous : l'homme est peu de chose. Comment disait donc cette vieille dame sur la tombe de Napoléon ? « Dire qu'il est maintenant sous cette dalle !... Lui qui aimait tant aller et venir !... »

Note : Deux références à Cantharodrome sur Google. The flight of Icarus et la littérature et son autre de Christine Baron. Livre dont Vialatte aurait sans doute fait une chronique à partir de la première page.

Alexandre Vialatte par Pascal Sigoda sur Google Books Référence Queneau


 

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29/03/2010

M. Verdure...

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Suite de la réponse à monsieur Verdure et estocade...

Ne piétinons pas l'ennemi vaincu. Mettons-nous d'accord avec lui sur les constatations de M. Jankélévitch qu'il cite avec bien de l'à-propos; elles ne peuvent que réunir tous les suffrages. "Le pessimisme de la négativité, dit nettement M. Jankélévitch (p. 48 de l'ouvrage cité), n'est sans doute qu’une déception du dogmatisme réïficateur. (Naturellement!) Il y aurait bien un moyen d'éviter à la fois Charybde et Scylla (nous y voilà) : ce serait (bien sûr) de ne plus considérer (folie!) le presque-rien comme la différence mathématique entre le tout et le presque-tout (mais qui y songe, sinon quelque étourneau?), mais de reconnaître en lui le mystère de la totalité en général. (Ce n'est que trop vrai, et tout le monde y consent.)

Ce mystère ne peut être rongé par le progrès scalaire de nos connaissances." Voilà la chose, et là j'applaudis des deux mains. Qui a jamais vu le progrès scalaire ronger quelque mystère que ce soit? Même derrière une malle démodée, dans un grenier de commune rurale! J'ai vu des rats ronger des noix, des lapins ronger des carottes, du tout, du rien, du presque tout, du presque rien, et même parfois du je ne sais quoi, jamais je n'ai vu de progrès scalaire ronger de mystère de la totalité. Ce sont des vérités évidentes, et nos lecteurs ont rétabli d'eux-mêmes. C'est bien là où je voulais en venir, et c'est ce qui confond M. Verdure. Sa critique était inutile. Car nos lecteurs ont rectifié. Je les connais bien. Nous avons fait la guerre ensemble.

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27/03/2010

M. Verdure

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Encore Vialatte...

La Montagne,

une lettre de lecteurs

 

 

… Et ensuite il y a M. Verdure, qui est professeur de philosophie, et qui m’écrit que j'aurais dit des bêtises dans La Montagne du 3 mars. Je lui réponds que c'est entièrement faux. Je les ai dites le 20 février. Et c'est tellement entièrement faux que même si j’avais voulu les dire, la chose m'eût été impossible, car le 3 mars était un samedi et ma chronique paraît le mardi. Je ne peux dire des bêtises que le mardi, c'est le triste sort du journaliste; au lieu que les professeurs peuvent en dire tous les jours; je ne parle pas pour M. Verdure, car sa lettre est pleine de bon sens; on voit par là pourtant combien ses calomnies sont dénuées de toute espèce de fondement.

« Vous parlez, m'écrit-il, dans votre paragraphe trois, d’un professeur qui a écrit trois mille pages sur les nuances et sur les gouffres qui séparent le Rien du Je-ne-sais-quoi. » (C’est fort exact.) « Il s'agit, ajoute-t-il, de mon maître Vladimir Jankélévitch. » (Pure vérité. M. Jankélévitch sépare déjà à 8 heures du matin, à la radio, le presque-rien du je-ne-sais-quoi, pour que l'homme se réveille dans l'utile de la chose et se trouve jeté tout nu dans le vrai sérieux de la vie.) . « Je vous signale, continue M. Verdure, que le titre de cet ouvrage n'est pas le Je-ne-sais-quoi et Rien, mais " le Je-ne-sais-quoi et le Presque-rien." Je le savais. Qui ne le sait ? Et on ne me l'apprend pas. Mais le Presque-rien cassait la cadence de ma phrase. Au lieu que le Rien s'emboîtait parfaitement. Les lois de la prose ne sont pas celles des événements: un historien vraiment soucieux de son style fait perdre ou gagner la bataille suivant les intérêts de sa phrase et non pas ceux d'une ressemblance photographique avec des faits qui auraient pu être tout différents ! C'est une question de conscience professionnelle. Ou alors qu'on nie Picasso ! M. Verdure songe-t-il à nier Picasso? Va-t-il acheter ses tableaux cher le boucher, chez le menuisier, chez le marchand de singes? Non, M. Verdure ne songe pas à nier Picasso, et c'est pourquoi, tel que je le sens, il est navré de ses affreuses calomnies, il bat sa coulpe, il souffre, il ne sait plus où se fourrer.

A suivre

21:48 Publié dans Vialatte | Lien permanent | Commentaires (4) |

24/03/2010

Vacances d'avril

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Avril ne saurait tarder...

Pensez à prendre des vacances…

Un petit texte de Vialatte,

Qui pourra vous aider

Trouvé chez Dvanw

Rubrique

"Ameublement du cerveau"

 

 

La mode, au mois d'avril, est aux vacances de pluie, comme en hiver aux vacances de soleil, en été aux vacances de neige. On choisira un gîte en harmonie avec le charme monotone des longues averses, cher à la comtesse de Noailles. Par exemple une cave de banlieue. Avec une vue sur un terrain vague, par un soupirail grillagé. Près d'une usine. On y goûtera une paix profonde. On fera des lectures apaisantes, telles que celle des horaires de la SNCF. On jouira du fantastique et de la température des caves. Peut-être même, avec un peu de chance, un homme se pendra-t-il au dessus du soupirail. On pourra voir ses jambes balancées par le vent avec un pantalon pied-de-poule sur ses bottes noires. On sera pris de grandes exaltations, peut-être même de ces crises nerveuses que les médecins appellent "mal des spéléologues", car il arrive qu'un séjour dans les cavernes intoxique comme le chanvre indien. On reviendra affamé de la vie.

Que demander de plus à de modestes vacances ?


Alexandre Vialatte - Chroniques de La Montagne - 26 mars

21:29 Publié dans Vialatte | Lien permanent | Commentaires (6) |