19/03/2013
Kafka
Comment Alexandre Vialatte rencontre l'oeuvre de Kafka, dont il va devenir le grand traducteur et qu'il va faire découvrir aux français. Mais avant ça, il nous décrit un facteur allemand bien pittoresque…
« J'habitais au bord d’un grand fleuve. Dans les maisons la lumière était jaune; dehors elle était grise. La neige couvrait les trams. Le ciel était en feutre et plus noir que les choses. Des enfants lançaient un traîneau. Des hommes passaient en bonnet de fourrure, ombres chinoises. La neige tombait. Le facteur ouvrit la porte. Il ressemblait a l’arbre de Noël.
C’était le vrai facteur allemand. Entre ses moustaches qui retombaient à la façon des branches d’épicéa, il s’élevait, couvert de neige, comme un conifère du Schwarzwald. Des choses rouges et des choses dorées brillaient a sa surface, dont on n’aurait su dire si c’étaient des étrennes utiles ou des ornements folkloriques : des galons, des boutons, des cuivres et des animaux symboliques.
Il était hérissé d'insignes, de porte-plume, de crayons gras, de crayons maigres de crayons noirs et de crayons de couleur; il en sortait de ses doigts, de ses poches et de ses oreilles. Son branchage abritait des aigles nationaux, des initiales, des buvards polychromes, des carbones et des grattoirs. Il faisait signer sur son ventre dans un registre orné d’une gothique ouvragée comme un défilé de pertuisanes*.
Sa tête était au dessus, féroce, majestueuse. Et même joviale. On aurait dit d’un bureau de poste surmonté du portrait de l'Empereur. Il ressemblait à Bismarck, il riait comme un ogre, il avait l’air d’avoir fondé lui-même l’Empire allemand. Un fondateur, voila la chose ; il avait l’air d’un fondateur. Presque même d‘un portier de palace; il ne s'en fallait que d’un brandebourg **. Un fondateur en uniforme de fondateur. En bottes de fondateur. En ventre de fondateur.
Il posa sur ma table, avec une main poilue, un paquet de la taille et de l’épaisseur d‘une brique. Quel monument voulait-il bâtir? Que signifiait cette première pierre ? J'ouvris...
C’était Le Château de Kafka.
C'était Le Château.
Je m’en aperçus à peine ; L’histoire commençait dans la neige; à côté de moi, pour ainsi dire ; au bout de la rue. Un arpenteur, héros de l’histoire, m’y entraînait dans son sillage. Et soudain je me frottai les yeux, pris d'un malaise inexplicable; l’air, la lumière avaient changé d‘indice; il y avait eu un gauchissement inaperçu ; la logique n’était plus la même ; un verre dépoli me séparait des choses. J’étais sournoisement engagé dans une hallucinante histoire qui laissait le bon sens révolté et l’imagination ravie.
Extrait de Kafka ou l'innocence diabolique
* Une gothique, police de caractères.
* Une pertuisane est un lance. Ne pas confondre avec une halebarde, un fauchard, une naginata, une guisarde, une vougue, une bardiche, un manteau de Lucerne, une Trilance Sruss, un partisan... La pertuisane était souvent flamberge, c’est-à-dire qu'elle avait une lame semblable au kriss, en "zig-zag", ce qui avait plus le don de faire peur que d'augmenter l'efficacité de l'arme.
La flamiche est donc une forme d'épée ou de lance comme la colichemarde ou l'espadon, l'arme de prédilection des lansquenets. Le kriss est une dague orientale dont la lame est souvent ondulée. La rapière une épée longue et fine etc...
L'expression avancer flamberge au vent signifie « attaquer sans réfléchir ».
** Un brandebourg est une broderie. Un galon qui orne une boutonnière.
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29/01/2013
Chaval
Texte pompé en entier et sans scrupule depuis l'année Vialatte. Je me suis servi de dessins de Chaval ici et ici.
CHAVAL.
Chronique 373. 15-mars-1960
L’homme de Chaval
Homme de Chaval • Multiplication du même • État civil de l’homme de Chaval • Profession • Naissance à Limoges • Contentement par les produits en tube • Vieillesse occidentale de l’homme de Chaval • Jeunesse de Nimbus • Génie de Chaval • Explication des choses • Grandeur consécutive d’Allah
Le ciel est bleu, le fond de l’air est frais, il se passe des choses inquiétantes : je viens de rencontrer l’homme de Chaval. Il sortait par une petite porte d’un de ces cubes de ciment gigantesques qu’on appelle aujourd’hui maisons et projetait sur le ciment du trottoir cette ombre ronde, courte et ferme qui lui fait une sorte de socle. Ce sont des choses dont on reste saisi. Quand je cherchai à le revoir, il avait disparu. Probablement dans la bouche du métro.
Depuis quelque temps, l’homme de Chaval se multiplie. Comme l’abominable homme des neiges. Il est devenu publicitaire. On voit partout l’abominable homme de Chaval.
Avant-hier, dans un grand journal, je l’ai vu sortir par la porte vernie d’un bureau d’apparence banale, un peu voûté, une serviette sous son bras, en pardessus, le pied légèrement traînant. J’ai couru pour le rattraper ; il tournait dans un autre couloir ; je l’ai montré à des jeunes gens, l’un d’eux a dit : « L’homme de Chaval. » Ils l’ont regardé, ils ont cessé de rire. Car à la fin il impressionne. Déjà il avait disparu.
On le croit lent, parce qu’il est lourd, mais on ne sait jamais où il passe, comme la tortue et comme le hérisson. Et il faut avouer que ça fait peur. Il a le calme et l’air figé des vieux forçats. Probablement il en a la ruse. J’ai ouvert une fenêtre (c’était au quatrième) et je l’ai aperçu dans la rue, déjà très loin, suivi de quatre ou cinq autres, qui lui ressemblaient comme des frères. On se demande où il les avait pris. C’était comme un troupeau de pingouins. Cet homme est un vivant malaise.
Selon Chaval, il serait né à Moulins, à l’âge de soixante-deux ans. Mais ce pourrait être à Limoges. Sa profession ? On ne sait pas bien : peut-être ministre, ou banquier, ou forçat, ou alors naufragé ; il a vu beaucoup de choses. Sa matière ? On ne sait pas non plus : peut-être en bois, peut-être en cuir bouilli. On voit bien, à sa tête, qu’il est fait au rabot comme un volume géométrique. Mais c’est quand même une substance qui a des pores, une espèce de peau animale, encore qu’elle soit dure comme du bois : la barbe y laisse une façon d’ombre hachurée. Lorsque j’étais enfant, pour jouer à la pelote, nous avions des balles d’un cuir très dur qui sentait l’huile de foie de morue (sans doute à cause des chimies du tannage, on les sentait avant de les voir), un cuir en bois mais qui rebondissait très bien, et qui devenait à l’usage si gris, si pelé, si nouveau, après avoir été d’un jaune de soulier neuf, qu’on aurait dit une substance inconnue, un produit brut de la nature, une chose, après tout, élastique (dans ses capacités, non dans son apparence) mais que l’homme le plus fort du monde n’eût pu sculpter qu’à la varlope. C’est le matériau de l’homme de Chaval.
Un rien contente l’homme de Chaval, comme les hommes qui ont beaucoup appris. Par exemple tout ce qui est en tube : le cirage ou la mayonnaise. Il ne les oublie en aucune circonstance. Mais ce sont des, joies extrêmement fugitives. Elles n’éclairent son oeil qu’un instant. Il sait. Il sait sans joie. Il est toujours pareil. Rien ne le transforme, ni le gros lot, ni le bagne, ni les naufrages ; ni le mariage. D’ailleurs il est célibataire. Il l’est né, il le restera. Tout au moins moralement. Jamais il n’est heureux. Un pli amer affaisse sa bouche. C’est ce qui le distingue de l’homme de l’Eden. Chaval devait le sentir naître quand il écrivait, prophétique : « L’homme (modèle A) qui est demeuré le même depuis la date de son lancement dans sa conception générale, va être remplacé par un nouveau modèle. » C’est le modèle B. Mais que lui reste-t-il d’homme, à force de morne inertie ? C’est « un pardessus habité ».
Ce qui sort de ce pardessus au dos rond, que ce soit jambes, bras ou tête, est court ou lourd, et peu mobile, et moralement négligeable. Parfaitement inutile au fond. L’homme de Chaval est un monsieur triste. Il a ce regard usé que donne l’âge, et une espèce de fixité, de rigidité minérale. L’homme modèle B ne croit à rien ; rien ne le surprend ; il est revenu de toute chose. Hélas ! dans quel état. Seigneur ! J’ai bien peur qu’il ne pense à rien, sauf, parfois, aux produits en tube. C’est là que sa foi commence, c’est là que sa foi finit. Elle commence au cirage en tube, elle finit à l’anchois en tube. En passant par la mayonnaise qui lui arrache l’ombre d’un sourire. La machine à laver l’épanouit une seconde ; quand il vient d’y laver ses ailes (il a parfois des ailes ! ! ! des ailes publicitaires). Le reste le laisse sans réaction, comme une borne kilométrique. Trop de guerres ont passé là, trop de camps de concentration, de Gestapo, de V2, de cataclysmes. Il en est resté le bloc évier, le scarabée (que le radium laisse insensible) et le pardessus où tient l’homme de Chaval. Les guerres ont commencé le travail, la civilisation électroménagère l’a porté au point d’achèvement.
Sa seule raison d’être est de survivre. En mangeant des produits en tube. Il a dû sortir à quatre pattes, en gilet et fausses manchettes, en 1944 ou 1945, par un trou au niveau du sol, de quelque cave de cité bombardée, désertée des pigeons, des rats, vidée des hommes, où il ne restait qu’un oiseau. C’est ce qui lui a fait cette tête en bois qui reste aux hommes vidés de leur âme, comme ces bourreaux de la Gestapo qui n’avaient plus que des réflexes de comptables et, quelquefois, des yeux de poule, mécaniques.
Il y a aussi une question d’âge. A mesure que l’homme vieillit, il se met à ressembler à l’homme de Chaval. C’est une chose qui se passe entre le nez et le menton, dans un rectangle autour de la bouche. Un pli amer descend des narines. L’homme de Chaval est l’homme d’un certain âge, de l’âge des désillusions. Cette expression lui a été faite petit à petit à la fois par l’âge et l’époque. Mais maintenant l’époque suffit. Elle donne « un certain sourire » aux petites demoiselles de vingt ans.
L’homme de Chaval, ce vieillard morne, est peut-être l’homme de l’antique Occident. Le professeur Nimbus, qui a son âge, est un vieillard joyeux, espiègle et spontané qui vole les billes des écoliers et prend au tube de mayonnaise, tant sa fraîcheur d’âme est charmante, un plaisir qui dure très longtemps. Sa personnalité éclate dans son cheveu, sa coquetterie dans ses guêtres, sa dignité dans sa jaquette, son éternelle jeunesse dans sa cravate à pois. Il est frivole, il est puéril, il est charmant, c’est l’enfant de la jeune Amérique. Il a cinq ans avec une bonne conscience parfaite. Il est léger comme son noeud papillon. L’homme de Chaval n’est qu’un vieux pardessus ; ses poches contiennent tout le Moyen Age et tout le plomb des guerres d’aujourd’hui.
L’homme de Cami avait encore un nom. Il s’appelait M. Rikiki. L’homme de Chaval est anonyme.
C’est ce qui nous reste.
Et c’est ainsi qu’Allah est grand.(15 mars 1960).
09:55 Publié dans Vialatte | Lien permanent | Commentaires (1) |
12/01/2013
Progrès
Dans une affirmation tautologique* Alexandre Vialatte constatait que :
Les progrès du progrès vont de progrès en progrès.
Il ajoutait : "on n’arrête pas le progrès, il s’arrête tout seul."
Eh oui ! Après avoir cherché de longues minutes comment sortir de l’application lancée par mégarde sur son iPad, on est en droit de se poser quelques questions sur le progrès. Bon, je ne vais pas vous faire le coup du sujet de philo « Le progrès des techniques est-il un progrès humain ? » Pourtant, je me demande à quoi pensaient ces chercheurs hongrois de l'Université Eotvos à Budapest en comparant les dessins pariétaux de Lascaux et autres grottes avec des peintures plus récentes.
Ils ont découverts que les animaux peints sur les murs des grottes étaient beaucoup plus proches de la réalité que ceux de nos peintures modernes.
Vers 1880, le photographe anglais Eadweard Muybridge (inventeur du zoopraxiscope ci-contre) a décomposé et étudié la démarche des quadrupèdes. Eh bien figurez-vous que, si cela a nettement amélioré leur représentation par les artistes, ils ne sont toujours pas à la cheville des peintres magdalénien.
Comme l'explique l'étude, le taux d’erreur est de 83,5% dans les œuvres ‘modernes’ datant d’avant Eadweard Muybridge et, il est de 57,9% dans celles réalisées après. Picasso étant hors compétion, on imagine.
Mais le taux d'erreur est de seulement… 46,2 % dans les représentations préhistoriques. Et toc !
Plutôt que de vous demander comment sont dépensés les crédits de l’université de Eotvos, ce qui est une question purement hongroise, intéressez-vous à cette toute nouvelle invention que me signale une lectrice et trop précipitamment nommée BOOK. Excellente présentation commerciale en espagnol sous-titré.
* Une tautologie est une phrase qui ne peut être que vraie (avec parfois la notion de répétion). Ex: 100% des gagnant ont tenté leur chance. Au jour d'aujourd'hui. Incéssament sous peu. Je l’ai vu, de mes yeux vu...
10:39 Publié dans Au fil de la toile, Vialatte | Lien permanent | Commentaires (2) |
06/12/2012
Chat
Tout sur la chat par le grand Alexandre:
Les chats sont de sales bestioles qui lacèrent les fauteuils et font pipi au milieu des salons, après quoi ils vont s'établir sur les genoux d'une dame respectable, une présidente de confrérie, une grand-mère de parents d'élèves, une lauréate de jeux floraux infiniment maigre et savante. Tel est l'avis de plusieurs personnes autorisées. Ce sont des choses qu'on ne permettrait même pas à un vieux général en retraite tout couvert de décorations, ou au premier vicaire d'une paroisse distinguée. A un igame, à un banquier utile, à un diplomate en fonction. Et que font les dames ? Elles disent : " Minou, minou, minou. " On voit par là combien le mal est profond.
Les chats montent ensuite sur les toits où ils font le sabbat toute la nuit avec des cris affreux d'enfants qu'on assassine. Quand le pharmacien les attrape, il les pèle et garde la peau. Il donne le reste à un restaurateur. Il tend la peau sur une planchette en bois; il la fixe avec quatre épingles, il la tanne et en fait des plastrons contre le froid. Il les expose dans sa vitrine. On se les attache autour du cou par le moyen des pattes de devant. Si elles sont un peu courtes, on y ajoute du ruban; Ou de l'élastique marron qu'on trouve chez la mercière. C'est tout le secret des grandes coquettes qui redoutent le rhume de cerveau. On peut donc, à certains égards, voir dans le chat un oiseau utile.
Dieu l'a fait, dans sa grande bonté, pour que l'homme puisse caresser le tigre : le chat est un tigre d'appartement. Il est élastique et feutré, soyeux, griffu, plein d'électricité statique. Il se compose assure un écolier, de deux pattes de devant, de deux pattes de derrière et de deux pattes de chaque côté. Derrière lui, ajoute cet enfant, il a une queue qui devient de plus en plus petite, et puis au bout il n'y a plus rien. On ne saurait pas mieux peindre le chat. A condition d'ajouter la moustache. Elle est sensible aux infra-sons, à l'infrarouge et à l'ultraviolet. C'est avec elle qu'il détecte le monde, la température de la soupe, la présence des esprits, l'approche de Lucifer.
Les sorcières l'amènent au sabbat. Le 1er mai, jusqu'à Louis XIII, on en brûlait de pleines cages d'osier sur un grand feu. Aujourd'hui on se sert de ses tripes : les spécialistes en font des cordes de violon et du fil pour les chirurgiens. Mais ensuite le chat ne peut plus vivre. On l'enterre au fond du jardin. Ou alors dans l'île de la Jatte, avec les chevaux et les chiens policiers. C'est là qu'on trouve les chats de Colette. De vieilles dames fréquentent leurs tombeaux. Ils sont ornés de distiques et d'inscriptions latines.
Baudelaire voyait dans le chat le compagnon naturel" des amoureux fervents et des savants austères ". Surtout la nuit. Il vient s'asseoir sur leur bureau. Les amoureux fervents font des lettres d'amour et les savants austères observent des têtards. De temps en temps, ils passent la main sur le dos du chat. Il en sort des étincelles bleues. Léautaud a eu trois cents chats. A Saint-Germain-des-Prés, une vieille dame en promène une bonne vingtaine dans une voiture d'enfant, et un en laisse, avec une corde qui l'étrangle. Elle s'assied sur un banc et les passe à l'alcool.
Les chats perdus se réunissent à Montmartre. Une demoiselle âgée leur apporte à goûter. Devant le Sacré-Cœur. Ils mangent, ils regardent Paris avec sa brume et ses cheminée ; puis ils s'en vont, et reviennent pour le dîner. On voit par là qu'ils aiment les grands panoramas. Mais ils n'adorent pas moins les caves. Sur les bateaux, ils voyagent dans les soutes. Dans la marine à voile, on ne pouvait pas partir tant que le chat n'était pas à bord. C'était interdit par Colbert. Ils " dératisaient " les navires.
Les chats sont très dangereux pour l'homme. Thérèse Marney, de la Comédie-Française, Thérèse Marney avait perdu son chat. On l'aperçut au sommet d'un arbre. Il n'osait plus redescendre. Il était affolé. Je grimpai jusqu'aux plus hautes branches. Malheureusement, elles devenaient de plus en plus minces, et " au bout il n'y avait plus rien ", et pendant ce temps le propriétaire du végétal, oublieux du contexte humain, sciait l'arbre au ras du sol, en désespoir de cause, afin que le chat pût atterrir sans se déranger. On croit généralement qu'un arbre s'affaisse du côté où il penche ; c'est une erreur : il tombe du côté où l'on se trouve.
Et c'est ainsi qu'Allah est grand.
19:01 Publié dans Vialatte | Lien permanent | Commentaires (2) |
15/11/2012
vistemboire
Parfois, je me dis in petto « ça fait longtemps que t’as pas parlé de Vialatte sur ton blog. » J’aime bien me parler in petto, c’est même là qu’on m’écoute le mieux.
J’ai donc mis en chantier une note sur le chat que Dieu a fait, dans sa grande bonté, pour que l'homme puisse caresser le tigre. J’avais prévu un petit chapeau (quand on parle d’Alexandre un coup de chapeau n’est jamais de trop) sur des sujets connexes tel que la sagesse profonde des proverbes bantous :
Il vaut mieux vivre riche et honoré en mangeant de la soupe de python que d'écouter la veuve crier dans la clairière.
Ou sur la grandeur de l’Auvergne :
Pascal aimait tellement l'Auvergne qu'il naquit à Clermont-Ferrand.
Mais me voilà interrompu en pleine action par un lecteur assidu. Faudrait pas croire que, n’ayant pas de commentaires, ce blog n’a pas de lecteur. Non, il y a énormément de monde qui passe ici mais je ne sais pas pourquoi, ils ne commentent pas, à part Daniel et Aredius. Est-ce que les autres sont fainéants ou est-ce qu’ils sont tellement décontenancés par les sujets traités que cela leur coupe la chique ? Je ne sais pas.
Bref, ce lecteur assidu, perdu du côté de Riga (Eh oui, j’ai des lecteurs à Riga) me signale que je n’ai pas parlé du vistemboir (sic). Il a raison et je me dois de réparer la chose hic et nunc, avant même de vous parler du chat. Voici ce que dit Vialatte du vistemboire dans sa chronique du 21 juin 1955 dans la Montagne :
Dans le domaine de la littérature, nous nous devons de signaler l'apparition du vistemboire et du gnagna. Je dis bien vistemboire avec un e muet. Jacques Perret l'écrit autrement. Tant pis pour lui, c'est lui qui se trompe. («Vistemboires que tout cela», écrit Mme de Sévigné.) Et Furetière, dans "Le Roman bourgeois": «Je vous paierai à la Saint-Vistemboire.» Le "Petit Chosier", de Duhamont et Patrouillot, donne encore vistemboir, sans e, en 1674, mais le "Chosier universel" de Fromagnol dit que cette forme a vielli: même dans Corneille on ne la trouve pas. [...] Mais n'en faisons pas une maladie. On trouvera le vistemboire dans "Le Machin", de Jacques Perret (où trouverait-on un vistemboire si ce n'était dans un "machin"?), et je n'en dirai pas davantage.
J’ai regardé dans l’Alain Rey, ma bible, et... pas de vistemboire. Donc, je me dois de vous donner l’étymologie du mot. Cela viendrait du burgonde ou peut-être du goth (ostro ou wisi, allez savoir) wistenbach (pronocez vistembarre) qui désigne une hache à deux tranchants. Les burgondes (j’en ai déjà parlé ici) et entre autre leur roi Gondebaud avaient coutume de dire « Si tu te calmes pas vite fait, je te coupe le machin avec mon wistembach. » Madame de Sévigné qui connaissait bien les burgondes en avait sans doute entendu parler.
Le gnagna est aussi très intéressant mais certains de mes lecteurs ne supportent pas que ces notes dépassent un page d’écran et j’en suis déjà à la page A4. Désolé.
11:51 Publié dans Mots, Vialatte | Lien permanent | Commentaires (1) |
31/07/2012
Escargotisme
Vialatte avait le goût de l’absurde. Dans sa chronique du 5 Janvier 66, il commente une BD de Copi qui publiait à l'époque dans le Nouvel Obs une page (parfois juste une bande de trois dessins) sous le titre de la femme assise.
Copi était aussi un dramaturge. C'est lui qui a écrit l'Eva Peron dont j’ai parlé ici. Argentin comme Jérôme Savary. Militant de la cause gay, il est mort du sida en 1987 comme beaucoup à l’époque. Voici la fameuse chronique :
Le cœur humain ne cesse de poser des problèmes. Les mœurs du temps les résolvent au mieux, ou au pis (je ne sais qu’en penser). Il y a des dames, dans les journaux, qui sont spécialisées dans l’étude de ces choses ; elles savent, elles disent, elles ont bien de la chance ; elles répondent : « Patientez », ou : « Rendez-le jaloux », ou : « Parlez-en à votre mère » ; que sais-je ?
(…)
Que peuvent penser toutes ces savantes, tous ces savants, ces psycholo-sociologues, ces sociologues, ces spécialistes, du cas que nous présente Copi dans sa dernière bande dessinée ? Elle donne beaucoup à réfléchir. On y voit la dame de Copi, la dame ordinaire de Copi, cette femme molle, rêvassière et indéfinissable, aux cheveux raides et au nez immense, assise sur presque rien dans un vide absolu, dans le néant, dans le complètement, c’est-à-dire dans le décor ordinaire de Copi. Sa fille arrive, suivie d’un escargot. Elle doit avoir quelque chose comme huit ans. Maman, dit-elle, cet escargot veut m’épouser. » Suit un silence, un long silence, un lourd silence (on sait que les dialogues de Copi sont surtout composés de silences. Ses personnages ne pensent pas vite. Ils ont « le corps plein de sommeil et l’esprit plein de songe »).
« Tu ne vas pas épouser un escargot, voyons ! », répond enfin la mère d’un air scandalisé. Mais je l’aime, maman ! », répond la petite. Silence. Silences.
L’escargot intervient alors, d’une voix que j’imagine, à tout hasard, flûtée : « Je peux lui offrir, dit-il, une situation aisée. » « Il va m’acheter un tricycle ! », précise la petite, naturellement séduite, comme tous les enfants de notre siècle, par la vitesse et les progrès de la science. « Ah ! si c’est comme ça… » dit la mère. « Oh ! merci, maman », dit la petite. Et elle s’en va, suivie de son escargot. Le pauvre diable court ventre à terre. « Déjà belle-mère ! », constate la dame avec une amère expression. Voilà.
Personnellement, bien sûr, je suis content que cette fillette, qui semble assez gentille, épouse cet escargot qui a l’air très bien élevé. Mais enfin il faut mettre Copi devant ses responsabilités. Et aussi les enfants, et les mères de famille. La société. Car c’est un vrai scandale. La chose est racontée sans aucun commentaire, sans nulle appréciation morale, comme s’il était tout naturel qu’une enfant se marie à huit ans ! Où allons-nous ? (…) On se mariera bientôt à l’école maternelle avant d’avoir pu atteindre l’âge où une fillette rend normalement en menus services le prix coûteux de son éducation, où elle peut soigner ses petits frères, monter le charbon, faire la cuisine et la lessive ; peindre le couloir et vider la poubelle, aller chercher les provisions, tailler une robe pour sa maman à l’occasion, garder le foyer et faire briller les vitres. Où sera la récompense d’une mère ? le bénéfice d’être père d’un enfant ? En un mot, que devient la famille ?
Je trouve de plus qu’il est sordide de pousser aux mariages d’argent. Ce prétendant devient épousable à partir du moment où on le sait à son aise ! On vend sa fille pour un tricycle ! C’est peut-être un sacrifice à la morale des contes, qui exige que les bergères épousent des millionnaires, mais ce n’en est pas moins immoral. Et que penser de cette mère qui n’a d’autre objection que l’escargotisme de son gendre ?
Comme si le malheureux y pouvait quoi que ce fût ! Comme si l’amour ne soufflait pas où il veut. C’est du racisme pur! Pour ne pas dire du fascisme ! Je suis certain qu’il y a des pays où l’on dirait que c’est du fascisme. Dans toute république populaire, même dans les plus antisémites, on appellerait ça du fascisme. Imaginez qu’au lieu d’un escargot, le prétendant soit un sorcier cafre, un anthropophage congolais, un black muslim, et qu’une maman lui refuse sa fille ! les journaux en feraient des images. Les gens honnêtes protesteraient. Les cortèges hisseraient des pancartes !
Alors que cet escargot, si j’en juge sur sa tête, est le type même du mari silencieux, paisible et doux. Sans exigence. Sa cuisine est vite faite. Il se contente d’une feuille de salade. Il ne boit pas, il ne joue pas aux cartes, il ne rentre jamais à trois heures du matin en chantant des chansons bachiques. C’est en somme le gendre rêvé. D’autant plus que l’escargot, quand même, a énormément de caractère : l’escargot ne recule jamais.
J’ai un gros livre sur l’escargot, on l’y envisage sous toutes ses faces : anatomique, juridique, religieuse, commerciale, politique, que sais-je, on l’y dissèque, on l’y psychanalyse ; il en ressort un théorème fondamental, une vérité biologique essentielle, bref un principe d’où tout le reste découle : l’escargot ne recule jamais. « Faire face ? Toujours », c’est un chasseur alpin. Il serait d’ailleurs fort empêché de faire autrement, sa physiologie le lui interdit. Les éleveurs le savent bien. (D’où la forme des parcs où ils tentent de le garder, la courbure du sommet de l’enceinte, la largeur et la profondeur de la douve qui entoure le rempart, etc., etc.)
Quoi qu’il en soit, voilà une aventure qui enseigne en trois images le mépris de la famille, le racisme et le trafic des enfants, peut-être même, sans pousser bien loin, une philosophie politique qui conduit droit à des régimes autoritaires. Quoi de plus antisocial ? Et la presse publie ça. Mais peut-être l’histoire n’est-elle pas vraie ? Ou alors elle se passe dans des temps très anciens. J’incline à le croire, car, pas une fois, dans toutes ces tractations de mariage, on n’entend la petite fille s’occuper de la pilule. C’est une enfant d’une autre époque
Et c’est ainsi qu’Allah est grand
La suite de l’histoire qui montre que Vialatte avait vu juste...
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30/07/2012
Poches
Et la fin de la chronique du 1 août 1961 d'Alexandre le grand :
C'est ainsi qu'il arrive que l'homme survive quelques temps à sa mort. Mais peut-être lui est-il encore plus difficile de survivre un peu à sa vie. Elle le tue avant l'âge. Le métro, les poussières, les miasmes, les veillées, le travail, le plaisir, les guerres, les apéritifs fantaisie, le mauvais caractère de sa femme, le froid, le chaud, les tentatives d'assassinat, les accidents de la route, les engrenages dangereux, les incendies de forêts, les barrages qui s'écroulent, le laissent à cinquante ans ahuri, éclopé, avec une jambe en moins, le nez rouge et des poches sous les yeux. A peine a-t-il appris à être jeune, il s'aperçoit que ses cheveux sont blancs ; à peine a-t-il pris l'habitude de la vie, c'est déjà le moment de la quitter. Comment survivre ?
En supprimant les poches sous les yeux. C'est le docteur Vidal qui nous le dit (2). D'abord elles ne servent à rien ; la poche du pantalon sert à mettre un mouchoir, la poche de la sarigue à loger les enfants, le stylo, en été une petite cannette de bière. Mais la poche sous les yeux est une poche superflue. Le docteur Vidal la ressèque. Il supprime les poils disgracieux. Il recolle les oreilles qui sont trop écartées, parce qu'elles donnent au visage l'air d'une soupière à anses et au conscrit l'expression trompeuse d'une immense naïveté champêtre. Il fait tout ça. Et si on a trop de ventre, crrac, crrac, ayant pincé d'une main un gros pli qu'il tire tant qu'il peut, il vous le coupe de l'autre avec ses grands ciseaux. Il en résulte un croissant de peau fine. Il le donne à son photographe (1). La femme du photographe en fait un portefeuille. Le photographe le montre au dessert dans les repas de première communion.
Il l'entretient avec un chiffon de laine.
Et c'est ainsi qu'Allah est grand.
2- Rajeunissement et Chirurgie esthétique, par le docteur Louis Vidal. (Imprimerie du Progrès, 9, rue François-Perrin, à Limoges)
1- Sinon lui du moins d'autres (et pourquoi non ?)
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