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14/02/2022

Roman

A l'occasion de la St Valentin, un petit Vialatte : 
 
uploded_istock-464491250-1535559214.jpgOn ne peut pas toujours lire l’histoire de M. Dupont qui épousera Mlle Durand à la page 240 après mille péripéties qui ont bien failli nous faire croire le contraire. (Dieu ! que j’ai frémi pour leur bonheur !)
 
On sait bien qu’elle est fille d’officier supérieur, qu’elle fut chargée de diplômes comme un âne de reliques dans les couvents les plus distingués, qu’elle connaît les sous-préfectures, la superficie de la Pologne et même le pluriel des noms à trait d’union, qu’elle est vertueuse quoique pauvre, et que sa rivale est une chipie qui n’a pour elle que ses gros sous et qui vit toute barbouillée d’huile parce qu’elle mange salement les asperges ; et aussi que le jeune homme, qui n’est pas un idiot, comprendra bien, autour de la page 124, tout l’intérêt qu’il y a à épouser une femme qui peut vous dire n’importe quand sans hésiter le pluriel du mot garde-chasse, plutôt qu’une souillon qui vit dans la tache d’huile jusqu’à la lessive de printemps depuis le début de la saison des primeurs, et n’est en somme qu’un billet de banque graisseux. (Comment pourrait-il hésiter entre un Larousse et un torchon sale. La vie commande ! Et qu’est-ce qu’une vie sans dictionnaire ? On se le demande ! Une aventure manquée !)
On sait tout cela ; mais enfin, jusqu’au bout, quand on manque d’habitude, on a peur que le jeune premier ne comprenne pas bien ; on imagine des choses horribles, des obstacles insurmontables : par exemple qu’il sache lui-même la superficie de la Pologne, ou qu’il n’ait jamais besoin de sa vie du pluriel du mot « garde-chasse ».
Et on frémit voluptueusement.
Et c’est ce qu’on cherche.
(Histoires noires et histoires blanches – La Montagne – 21 juillet 1953

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29/01/2022

Tirer la chasse

Réflexions de l'homme profond

414Oj7Kx8ZL.__AC_SX300_SY300_QL70_ML2_.jpgNous avons une façon frivole de nous servir des chasses d’eau. Nous en tirons la poignée de céramique avec une froide indifférence. Est-ce le trait d’une espèce pensante ? L’homme profond, lui, se demande qui inventa la chasse d’eau. D’une main il tire, de l’autre il pense ; l’homme profond est profond en toutes choses.


Et que se répond-il ? Il se répond à tort que la chasse d’eau a dû être inventée par quelque anglais à casquette plate de l’époque des premiers chemins de fer, car le confort moderne , en sa superstition, est chose d’origine anglaise, de date relativement récente et de vocabulaire britannique.

C’est en quoi l’homme profond fait une erreur totale. La chasse d’eau a mille huit cents ans. C’est un progrès de la Science et de l’Industrie qu’il faut attribuer à Héron, un physicien d’Alexandrie qui vivait nu au bord des piscines bleues selon la mode de son époque (…)

Qu’on ne me pousse pas, je dirais que ce Héron était lui-même l’élève de Ktesibios qui inventa le miroir à bascule et fit chanter l’orgue hydraulique. Je serai capable d’ajouter que ce Héron créa la bouilloire à sifflet, la carafe Brochyta, la pompe à incendie, la ventouse, la clepsydre, et même l’éolipyle, ou boule des vents, dont se sert le fumiste pour établir un courant d’air dans les cheminées.

C’est de quoi briller parmi les dames et se pousser dans la société.

(Les anges de fer – La Montagne – 22 février 1955)

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24/09/2020

Style encore

3336db483088cf4a15dbb19b154d0da6.jpgMais c'est quoi le style ? Illustration de son prestige dans notre pays pas Alexandre Vialatte à la mort de Colette.

(La Montagne – 10 août 1954)

"En vingt jours nous perdons Colette et l’Indochine.

Si on avait dit à Colette en 1890 que sa mort, pendant quelques jours, tiendrait plus de place dans la presse que la perte de l’Indochine, elle aurait ouvert des yeux ronds.

Tels sont pourtant le prestige du style et la lassitude d’une nation. Il faut croire que le style est une bien grande magie.

Le sien était insurpassable.

Il lui a permis de faire un sort glorieux à tout ce qui se voit, se sent, se lèche, se renifle ou se tripote. Elle a les doigts de l’aveugle et le flair du setter. Elle entre de plain-pied dans le mystère animal ; il n’y a eu, parmi tant, qu’un portrait de Landru : celui qu’elle a fait aux assises ; et c’était un portrait d’oiseau.

C’est d’elle que datent les dames mûres, les boules de verre (qui « mouillent la bouche »), le paon, le serpent, les traces du chat, la première ride, l’odeur du chocolat et le parfum de la chair fraîche.

C’est d’elle encore que date sa mère et toutes les fleurs.

C’est d’elle ou de Chardin que datent les pêches. Elle a peint le chat, le python et la femme de façon à rester pour toujours notre plus grand animalier.

 

Juliette_gr%C3%A9co.jpgLe sytyle c'était aussi Juliette disparue hier. La mascotte de St Germain des Prés et du Tabou, et même sa découvreuse avec Boris Vian, Jean-Sol Partre...

Une carrière d'interprête hors pair, de Queneau, Prévert, Ferré, Vian, Gainsbourg... La liste est longue. Adieu Juliette.

 

 

17:49 Publié dans Blog, Vialatte | Lien permanent | Commentaires (1) |

23/09/2020

Morale et style

427e441bf04d3a49dc3e1703ec5cc80c.jpgLà je trouve que Vialatte, qui a écrit ce texte dans la Montagne en 1958, pousse un peu mémé dans les orties. Même en utilisant une brouette ce n'est pas bien !
 
Non, l'avis des gens qui ont mangé leur grand-mère, des incestueux, des parricides et les tricheurs de l'impôt ne doit pas être plus important que cellui, par exemple, des contempteurs de Didier Raoult, ni de ses thuriféraires d'ailleurs. 
 
"II n'est rien de plus étrange que l'homme : il va demander des leçons de morale aux écrivains ! Lui qui n'achèterait pas ses souliers chez le coiffeur ou son chapeau chez le mar­chand de bicyclettes, il s'adresse à un marchand de phrases pour apprendre comment se conduire dans la vie ! Or l'écri­vain commence au style, ou à la prétention au style, et il finit exactement au même endroit. Il n'y a pas plus de morale de l'art que de la brouette ou du fer à repasser. Il y a en revanche une morale de l'artiste. Mais on n'a pas plus de chance de la trouver chez lui que chez le fabricant de brouette, fût-elle à frein sur jante, ou de fer à repasser, fût-­il à marche arrière. Il se peut qu'en vous vendant son précieux véhicule le fabricant de brouettes scrupuleux vous exhorte à ne pas faire trop de vitesse, à ne pas brûler les feux rouges, à ne pas écraser les piétons, bref vous donne mille conseils moraux. Il se peut aussi que l'écrivain vous engage à offrir votre place aux dames âgées et à ne dire du mal de vos meilleurs amis que lorsqu'ils ne peuvent vous entendre. Mais c'est hasard, dans un cas comme dans l'autre; du moins n'est-ce pas obligatoire.
 
Ce qu'il faut demander au marchand de brouettes c'est de la brouette, à l'homme de lettres c'est du style. Le reste est chimère et confusion. Pour la morale on n'a qu'à s'adresser à des spécialistes locaux. On peut trouver dans tout arrondissement des vieillards chenus et modestes, avec du poil dans les oreilles, qui ont élevé trente enfants, sauvé trois cents personnes, pêché cinquante ans la sardine (dans des endroits où l'esprit de la Mer mugit comme un troupeau de taureaux au fond d'entonnoirs de vingt mètres) ou confessé trente ans et par cinquante à l'ombre, des gens qui ont mangé leur grand-mère, des incestueux, des parricides et même des tricheurs de l'impôt. Ils savent tout. Leur accent rocailleux prévient en faveur de leur thèse. Leur savoir ­faire universel inspire confiance. Leur instinct ne les trompe pas : ils vont au Beaujolais. Adressons-nous à eux. Mais à des écrivains ? ... Pourquoi ? ...
 

17:25 Publié dans Vialatte | Lien permanent | Commentaires (0) |

11/08/2020

Canicule

B9724222865Z.1_20200807141132_000%2BGCJGF2H8V.1-0.png.jpg?itok=iKOVqMpG1596802494L’HOMME D’AOÛT EN FORÊT
 
On n'imagine pas la chaleur qui accable l'homme au mois d'août. Il faut l'avoir vécue soi-même. L'asphalte fond, la sangsue se ratatine, le sergent de ville colle à la chaussée.
 
C'est pourquoi l'homme se réfugie dans les forêts pour y manger du saucisson. Ces forêts demandent un entretien considérable, car elles contiennent des pins Douglas et des arbres à oreilles de chien tels que le saule pleureur et le saule de Virginie.

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Dès le mois de mai l'administration fait repeindre au lait de chaux les vestiaires des satyres ; les capitaines de louveterie dispersent les bêtes fauves et massacrent les loups aux carrefours les plus importants ; ils gardent la peau et jettent le reste ; ils tendent des cordes entre les arbres pour faire tomber les braconniers et se dissimulent dans les hautes branches afin de protéger les insectes utiles et de dresser des contraventions aux gens qui emportent les sapins et les violettes. C'est pourquoi le gouvernement les habille d'un vert botanique qui les fait prendre dans les chênes, par les passants, pour des excroissances végétales. Ils vivent ainsi, d'arbre en arbre, jusqu'au moment où l'aquilon dépouille la forêt de sa parure, et se réfugient alors dans les épicéas. De grandes capotes bien chaudes les empêchent de prendre froid. Cette vie de plein air parmi les résineux leur fait une santé de fer et de grandes cages thoraciques.
Adam, août 1965.

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28/06/2020

Déconfinement

Après le confinement...
 
Le mois de juin succède à l’hiver. En banlieue on entend le coucou, qui n’avait pas eu son mois de mai. Il se cache dans d’épais feuillages qui surplombent les murs des jardins. Le soleil, le week-end, la vraie vie, remplacent enfin l’existence confinée qui groupa si longtemps les familles grelottantes autour d’un radiateur glacé, tandis que le loup grattait à la porte du couloir. La fête des Pères a fait merveille. Le vin mousseux a rempli les verres « Jamais je n’avais été si saoule depuis ma première communion », m’a assuré une enfant charmante. Elle a bien une douzaine d’années.
 
La Montagne, 11 juin 1963.

A part ça, on profite de la liberté nouvelle... Réunion au sommet de l'église pastafariste locale. L'officiant, toujours sérieux, et son acolyte rigolard qu'on reconnaîtra facilement à son couvre-chef. Au menu, pasta.

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19:25 Publié dans Vialatte | Lien permanent | Commentaires (2) |

01/06/2020

Credo

Aujourd'hui, lundi de pentecôte, ascension des Crêts d'eau ou Credo (pour ceux qui croa-croa) avec Hervé, Isabelle et Catherine après un longue balade hier à la Croix Biche, on est monté au Crêt de la Goutte. Attention, à la descente, il ne faut pas rater le chemin des Gardes sous peine d'une longue promenade en forêt. Hervé et moi, somme des spécialistes des détours longs et compliqués.

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A part ça, petit retour au Paradis terrestre avec Alexandre :
 
Le bonheur date de la plus haute antiquité. (Il est quand même tout neuf, car il a peu servi.) Il se composait de pommes, de poires et de scoubidous ; le lapin jouait avec le boa, le vison s’approchait d’Eve sans crainte, le tigre mangeait de la laitue ; un soleil neuf brillait à travers les palmiers qui se balançaient comme de lents éventails ; au premier plan, tout particulièrement soigné, de hautes rhubarbes élevaient leurs panicules au-dessus de vastes feuilles sinueuses ; bref, c’était le Paradis terrestre. L’homme ne sut pas le garder.
Il s’en lassa très vite. Il le perdit tout de suite par sa curiosité : il aime mieux savoir qu’être heureux.
Depuis il court après, en brouette, en auto, en fusée, autour de la Lune. Il ne le rattrapera pas (le bonheur court bien plus vite).
Il peut arriver, tout au plus, dans quelque square municipal, qu’un rayon de soleil, se posant sur le mouflon corse entre le cèdre et le marronnier, au milieu d’une pelouse parfaite, fasse vivre l’homme un bref instant dans un faux souvenir de l’Eden.
Le bonheur était l’apanage d’un jardinier qui n’avait pas de curiosité ; c’est une race complètement perdue.
(Dernières nouvelles du bonheur - La Montagne – 23 août 1966)

19:06 Publié dans Montagne, Vialatte | Lien permanent | Commentaires (0) |