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12/05/2016

Envergure

condor-flight-300.jpg?t=0J’avais oublié de parler du bal des oiseaux fantômes au Puy du Fou. Un spectacle fascinant. J’y ai appris que les condors, ces vautours sud américains (el condor passa), que l’on voit en nombre dans le spectacle, ont la seconde plus grande envergure de tous les oiseaux. Les premiers sont les albatros avec 3,40 mètres. Baudelaire en a parlé. Vialatte aussi :

Au Cap, l’albatros se marie. C’est un oiseau extraordinaire ; il se nourrit de limaces et de poissons volants, et brait comme l’âne, à mille pieds d’altitude. Baudelaire, pour d’autres raisons, l’a comparé aux poètes de génie. Son ventre blanc et ses sourcils noirs lui donnent l’air d’un homme politique se promenant après le bain sur une plage à la mode. On le rencontre sur les immenses étendues d’eau qui séparent l’Amérique de l’Afrique et de l’Asie. À condition d’y aller ...ou de s’y trouver déjà.

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Il plane par troupes au-dessus des navires pendant des jours, sans la moindre fatigue. Il se rit du typhon, se repose au creux de la vague, et, au moment où le bateau sombre, il s’élève au plus haut des cieux où il éclate de ce rire inhumain que les navigateurs portugais ont comparé au braiment d’une ânesse. Quelle leçon pour l’orgueil des hommes !

Son œuf donne une omelette passable. Curieusement, il n’a pas de gros bout. Le gros bout est aussi petit que le petit. Et le petit aussi gros que le gros. Ce qui produit une impression bizarre. C’est parce qu’il est parfaitement symétrique. Cas unique dans le règne animal. On voit par là tous les mouvements qui s’y produisent à l’équinoxe. C’est un vrai brouhaha dans la zoologie. (Dernières nouvelles de la zoologie – La Montagne – 1er octobre 1967).

En fait si les albatros avaient vécu à Lilliput et à Blefuscu la guerre entre les deux puissances aurait peut-être été évitée. On se rappelle que les lilliputiens mangeaient les œufs par le petit bout et les Blefuscuens par le gros bout, à moins que ce ne soit le contraire, ce qui provoqua une guerre très longue (six mille lunes) et féroce Le texte est ici.

 

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10/01/2016

Poésie

 (La Montagne – 9 janvier 1964)

fete-rois-mages.jpgQu’est-ce que la poésie ? …

La poésie, c’est le début de l’année. C’est les Rois mages avec leurs couronnes d’or, l’encens, la myrrhe, les robes rouges, les robes jaunes, le chameau à l’œil dédaigneux, avec son profil de vieille dame, et son cou comme un tuyau de pompe. Et le nègre ; surtout le nègre ; à cause de sa robe verte.
Et tout le mois de janvier est comme ça. Comme un Breughel ; les enfants qui patinent, la vapeur qui leur sort du nez, le ciel noir, la terre blanche, les peupliers tout nus ; le schlitteur* en bonnet de fourrure ; rien de plus charmant que les images de l’hiver.
Surtout quand on les voit de l’auberge, à travers une petite fenêtre devant un grog fumant où nage un citron pâle. Quand on a eu bien froid et qu’on aura bien chaud.

(…)

Les astrologues sont montés sur leurs toits pour savoir les secrets des étoiles et lire dans la main de la Grande Ourse

(…)

Après ils ont prophétisé. A l’aide de sesquiquadratures* de conjonction des astres. Et ils n’ont pas caché que l’année serait pleine de choses. Les unes, les autres et bien d’autres encore. Que ce serait une année shakespearienne. Que les hommes naîtraient tout nus en cent endroits du globe

(…)

Quant à l’homme, il restera le même, tel que donne à le juger dans sa médiocrité cette constatation d’un élève : « Le lapin s’arrache les poils du ventre pour faire un nid à sa famille. Combien de pères en feraient autant ? » Donc, un peu inférieur au lapin, il loge sa famille dans des nids en ciment.

(…)

 La poésie, c’est le lapin qui bâtit son nid en s’arrachant les poils du ventre.

Et c’est ainsi qu’allah est grand.
(Vialatte La Montagne – 9 janvier 1964)

Admirez le vocabulaire de Vialatte :

schlitte.jpg* Le sclitteur conduit la schlitte qui est une grosse luge alsacienne utilisée pour transporter su bois ou du foin.

* La sesquiquadrature est un terme d’astrologie qui désigne un angle de 135° que fait un astre. Si vos astres sont sesquiquadrés, c’est plutôt mauvais signe, signes de frustration ou de déception probablement dus à une mauvaise prise en compte des évènements de votre part ou de celle de vos proches. Il faut vous relaxer et développer votre patience et votre endurance et éviter les situations de stress.

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28/10/2015

Botte-cul

20070915.FIG000000891_12705_1.jpgCélébration de la Suisse paisible, celle d'avant les banques, l'UDC rayonnante et la peur de l'étranger... Une Suisse modeste et heureuse que reprend Vialatte après... Victor Hugo :

« Le Suisse trait sa vache et vit paisiblement. »

(Qu’on le veuille ou qu’on ne le veuille pas, c’est de Victor Hugo, dans La légende des siècles. Et il faut avouer qu’on ne s’y attendait pas.)

C’est qu’il a attaché sa chaise à son derrière, ce qui facilite beaucoup de choses. C’est une « commodité de la conversation ». Il se sert pour cela d’une énorme ceinture. Il peut ainsi passer d’une vache à l’autre sans voiturer lourdement son fauteuil, qui se compose d’ailleurs d’une simple sellette à un seul pied, le tout d’un bloc, mal dégrossi ; ce qui explique que le pied ne se rentre pas comme la vis du tabouret du piano, et qu’on le taille comme un crayon, pour qu’il enfonce mieux dans la terre. Cet aiguillon abdominal prête au Suisse l’apparence d’un prodigieux insecte. S’il avait le ventre rayé de jaune, on le prendrait pour une abeille.

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Il vit sa vie assis sur ce clou* ingénieux, coiffé d’une calotte d’enfant de chœur, brodée de myosotis, en paille fine. Il va vite, il ne se fatigue pas. Ensuite il chante une tyrolienne. Et c’est pourquoi il vit paisiblement.
(Honneur à M. Veillon – La Montagne – 3 mars 1953)

La version de Totor : 

La Suisse dans l’histoire aura le dernier mot
Puisqu’elle est deux fois grandeétant pauvreet -haut ;
Puisqu’elle a sa montagne et qu’elle a sa cabane.
La houlette de Schwitz qu’une vierge enrubanne,
Fièreetquand il le fautse hérissant de clous,
Chasse les rois ainsi qu’elle chasse les loups.
Gloire au chaste pays que le Léman arrose !
À l’ombre de Melchthalà l’ombre du Mont-Rose,
La Suisse trait sa vache et vit paisiblement.
Sa blanche liberté s’adosse au firmament.

Le soleilquand il vient dorer une chaumière,
Fait que le toit de paille est un toit de lumière ;
Telle est la Suisseayant l’honneur dans ses prés verts,
Et de son indigence éclairant l’univers.

* Le clou en question s'appelle un botte-cul.

Ne pas confondre avec un gode-ceinture.

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08:47 Publié dans Vialatte | Lien permanent | Commentaires (0) |

06/09/2015

La fin de l'empire

110px-Vexilloid_of_the_Roman_Empire.svg.pngJe voudrais revenir sur les barbares. Les nouveaux barbares. En fait si les premiers barbares ont détruit l’empire romain, on peut se demander ce que vont détruire les nouveaux. Ana prétend qu’ils vont détruire le monde gentil, le monde solidaire... Si ce monde a jamais existé, cela commence à faire quelques temps qu’il a été remplacé par le monde du fric, de la compétition. Mais combien de temps, exactement ?

Je sens que, comme pour l’empire romain, il va être difficile de donner une date marquerait la fin d'un monde et le début de la nouvelle invasion barbare. C’est sans doute avant 2003 et le film de Denys Arcand (film qui était une suite au déclin de l’empire américain de 1986). On pourrait prendre 1973 et la première crise du pétrole, peut-être… Pour éviter les débats stérile et mettre tout le monde d’accord, je propose de prendre le 3 Mai 1971.

1808Tres.jpg

Comme chacun sait, ce funeste tres de mayo 1971 est le jour de la mort d’Alexandre Vialatte. Vialatte avait le don de nous resituer les événements, les gens et les choses dans un ordre quasi logique, si on adoptait sa logique, évidemment. Une logique qui datait de la plus haute antiquité et qui prenait comme base le fait qu’Allah est grand. Il savait classer les fleuves, parler de grammaire, expliquer les nouvelles de l'homme et les mettre à leur juste place entre le beurre et la confiture ou entre la Puy de Dôme et le Cantal, suivant leur taille bien sûr. Il avait une vision universelle de l'ordre du monde et rien de ce qui était humain ne lui était étranger.

 

Voilà ! Et nous on est en deuil et on va devoir essayé de comprendre un monde dominé par des barbares.  

11/08/2015

Août

Un petit texte du grand Alexandre pour le mois d'août

La Montagne – 22 août 1961

Tels sont les plaisirs du mois d’août, l’un des mois les plus nécessaires à la géoponie française (géoponie est dans le dictionnaire, vous n’avez qu’à le chercher vous-même*) parce que la chaleur étouffante procure au moissonneur les grosses transpirations qui lui sont tellement nécessaires pour éliminer rapidement les immenses quantités de boisson que la température l’oblige à absorber dans cette période de gros travaux.


Les Romains le célébraient en faisant mille folies, fêtaient Bacchus et tuaient des chiens pour les punir de n’avoir pas aboyé quand les Gaulois avaient assiégé le Capitole. Ils allaient jusqu’à couronner une tête de cheval noir de petits pains.

Aujourd’hui, on mange les petits pains, on se réfugie dans sa baignoire, on visite les expositions. L’homme s’agite, la femme se démène. Elle brille sur les plages à la mode d’un éclat emprunté au masque à la tomate et à la brosse conique qui rend le bouffant des cheveux. Le cheveu lui-même est nourri de « crèmes coiffantes » ; on ne voit plus que « nus améliorés » ; bref la vieillesse est devenue un mythe, je dirai même l’un des pires témoignages d’une mauvaise éducation.

Ensuite il nous fait part de la difficulté de nourrir le porc normand qui a de trop grandes oreilles et ne peut pas voir ce qu'il mange. Du coup, ils gémit et pleure ce qui est mauvais pour son engraissement...

* Comme je suis sympa, je vous mâche le boulot. Ne googlisez pas géoponie, c' est un terme savant pour agriculture. Du grec Gé la terre et poneis travailler. Nos paysans font tous de la géoponie sans le savoir.

Pensée de Jacques Siberfeld, un copain Vialatte :

Les crocodiles vivent cent ans ; les roses trois jours. Et pourtant, on offre des roses.

05:39 Publié dans Vialatte | Lien permanent | Commentaires (4) |

11/04/2015

Faune

tigre-du-mazandaran.jpgPour amuser le peuple, les empereurs romains avaient inventé les jeux du cirque. C’était moins perfectionné que les tirages et grattages de la Française des Jeux, cela rapportait moins au trésor public, mais c’était assez distrayant.

Pourrait-on refaire ces jeux ? Et bien non. Les lions de l’Atlas ont disparus. Le dernier spécimen sauvage fut vraisemblablement abattu en 1942 à Taddert. L’auroch aussi. Le dernier aurochs vivant connu, une femelle, est morte en 1627 dans la forêt de Jaktorów, en Pologne. Plus non plus de tigres de la Caspienne, la dernière trace a été vue en 1972.

auroch-1-philippe-wall-cg79.jpgBien sûr la race des vrais gladiateurs a aussi disparu. On ne peut pas appelé gladiateurs les derniers survivants de Koh-Lanta à l’estomac si fragile.

J’ai conscience que l'annonce de ces disparitions est bien triste.

Heureusement il nous reste pour nous distraire le canard madarin et colin de Virginie : Le colin de Virginie est une sorte de huppe. Affectueux de nature, fidèle et monogame, il bavarde dès sa naissance, vole les grains de blé, jacasse, remue, ne tient pas en place, marche les mains derrière le dos, crie à  tue-tête et jure en mexicain. C’est ce qui le distingue nettement du colin mayonnaise (d’ailleurs plus lourd, plus taciturne, qui ne vole pas les grains de blé et ignore l’espagnol). C'est du moins ce que nous dit Vialatte.

01/04/2015

Avril

Piqué sur le Facebook des amis de Vialatte, deux textes du maître publiés par Maurits Van Overbeke:

N’OUBLIONS PAS LE POISSON D’AVRIL

L'homme, autrefois, s'intéressait à l'homme. Il se passionnait pour son voisin. Il l'étudiait à fond, il connaissait ses vices, son casier judiciaire et son état de fortune. Il lui prêtait de l'argent à 80%. Il lui écrivait des lettres anonymes. Il l'y accusait d'avoir tué son vieux père pour lui voler un saucisson pur porc. Et d'être trompé par sa femme. Il lui accrochait dans le dos un poisson en papier : c'était la loi du Ier avril. Aujourd'hui, c'est l'indifférence : on laisse traîner un garagiste accidenté par une auto pendant huit heures dans un fossé plein d'escargots ; on n'accroche plus de poisson en papier peint aux basques de son chef de bureau. Bref, il semble que l'homme ait perdu tout esprit, tout altruisme et toute initiative.

La Montagne, 20 mars 1963.

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L’HOMME D’AVRIL

Le soleil va entrer dans le signe du Taureau. C'est le moment où sont nés Rome, Hitler et Henry de Montherlant. C'est le mois où mourut le chevalier Bayard, c'est le mois où l'homme inventa le phonographe. L'homme, sujet de toutes nos études et de toutes nos préoccupations, l'homme, l'enfant chéri de cette chronique. 
Que fait-il en avril ? Il plante la griffe d'asperge, il récolte l'oseille, il protège l'espalier avec des paillassons. Mais encore ? Il les change de place, il les enlève, il les remet mieux. Il s'évertue, il se démène, il sème la lupuline, il fume les vieux houblons. En un mot, il fait le diable à quatre. La poule pond des œufs de Pâques. Le lièvre en fait autant. Du moins en Alsace et en Allemagne. La femme se livre aux nettoyages de printemps. Elle passe ses ongles à la « super-base », qui supprimera leurs peaux, à l'huile séchante, qui complétera le travail, et à la « laque fixante » qui protégera le vernis; enfin à la « crème abricot » qui stimule la croissance des griffes. Le printemps est là. L'agneau bondit près de sa mère et le poulain pur-sang près de la jument pursane. Les épinards sont magnifiques ; et l'homme s'apprête, par les jeûnes du Carême, à célébrer la fête de Pâques dans les humbles dispositions qui conviennent au peu qu'il est : il mange la morue de brandade, il s’excite à s’améliorer. Bientôt, pourtant, il retombe dans l’ornière.

 

Qu’il y croupisse ! Nous n’attendions pas mieux de cet animal mou.

 

 

 

Chronique des grands micmacs, p.169-170.