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02/08/2013

Locoboeuf

A propos de Kaeppelin, Vialatte ajoute:

"On pense souvent à Jérôme Bosch. A cause d’un alliage de l’humain, de l’animal, du zoologique, avec la forme industrielle. Kaeppelin a des brochets bâtis comme des espèces de sous-marins, ou plutôt de contre-torpilleurs, avec des ponts et des coursives. Gris comme du plomb. Mais avec un oeil morne, en je ne sais quoi ; en émail ? en chair ? ou peut-être en bouton de bottine ? Des automates, et une locomotive à tête de boeuf et à cuisses de poulet, qui actionne elle-même ses roues au moyen de bras si grêles quon songe à des pattes daraignée.

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Des bras de faucheux. Et la queue en l’air. Une queue de boeuf finie en pompon, comme un accessoire de tapisserie, une embrasse de rideau, ou quelque bonnet grec sorti d’une comédie de Labiche. En tirant dessus, on amène un tiroir où se trouve une lampe à alcool. On allume, ça chauffe une chaudière. Le boeuf tousse et part droit devant lui.

Une fumée noire lui sort de la cervelle. Par la che­minée. Elle se répand sur le public. Le boeuf s’affole et part en arrière. Puis à droite, puis à gauche. Dans toutes les directions. Il agite ses petits bras qui font tourner les roues. Ses cuisses de poulet ne bougent jamais. Elles sont terminées en tampon. Pour le tender. (C’est le contraire du pédalo, sur lequel les jambes de l’homme s’agitent ridiculement, tandis que le buste reste cérémo­nieux.) La tête demeure majestueuse ; et même stupide ; avec une barbe en cuivre. Et des yeux de monstre mythi­que ; d’ogre congestionné ; de patron de bar alcoolique ; de bistrot de banlieue qui a de la tension. Toute l’assistance est noire de suie.

Sur quoi le boeuf s'arrête, épuisé. Trois soubresauts le secouent encore. Après ça, c'est fini. Il fait un peu pipi. On essuie avec une éponge. Et on continue à regarder.

08:09 Publié dans Vialatte | Lien permanent | Commentaires (1) |

31/07/2013

P. Kaeppelin

683250-834593.jpgPhilippe Kaeppelin (1918-2011) était un sculpteur dont les oeuvres majeures se trouvent dans des églises. Il est aussi l'auteur d'oeuvres profanes, en particulier d'un abondant bestiaire.

Il n'a pas sa note sur Wikipedia et c'est bien dommage, mais pas question que je m'y colle, la police de Wiki est bien trop dure avec le modeste contributeur.

L'important, c'est qu'il était un ami de Vialatte qui a donc parlé de lui :

G-02--Small-.jpg« Kaeppelin est sculpteur jusqu’à l’os. Il n’imagine que par volumes. Il ne voit jamais qu’avec ses doigts. Il refait la réalité… La réalité frappe son regard, puis sort de ses doigts, réinventée comme une plaisanterie monstrueuse. Ironique, caricaturale, bouffonne, cocasse et tourmentée. C’est pourtant elle, à n’en pas douter. Poétique, lyrique, compliquée : simplifiée en même temps. Synthétique et charmante. Elle tient du cauchemar, de Daumier, de l’humour noir, et du rire d’enfant. »

Ses corbeaux sont des ph6a00d8341c80d353ef0191025ef354970c-500wiilosophes, ses oiseaux des notaires, des magistrats rêveurs, des conseillers municipaux d’on ne sait quelle province étrangère aux atlas : disons des maires de Poldavie. Des farauds de Sommerland. Cruels et rêvassiers. Parfois même diaboliques. Il fait des femmes à la Max Ernst. Une tout en long, coiffée d’on ne sait quel croissant de lune, de fer de hache, ou plutôt de pertuisane, avec la queue et les ailes pareilles ; et des ergots ; tranchant, féroce ; un vrai malaise."

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EXPOSITION VIALATTE - KAEPPELIN - UN BESTIAIRE... par Alexandre_Vialatte

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30/07/2013

Colin de Virginie

290px-Virginiawachtel_2007-06-16_065.jpgPetit et trapu, le Colin de Virginie (Colinus virginianus), qui mesure de 24 à 27 cm environ, est un oiseau galliforme (comme le poulet de Bresse).

Il appartient à la famille des Odontophoridae. C'est du moins ce que prétend Wikipedia qui ajoute qu'il présente un dimorphisme sexuel. Le mâle a la gorge et des marques blanches tandis que la femelle a une gorge jaune clair, des stries crème à beige clair et des dessins moins contrastés.

Vialatte nous explique qu'il ne doit pas être confondu avec un autre colin plus ichthyomorphe (comme la carpe de la Dombe) dans ce petit texte sympa dit par François Marthouret.


François Marthouret - Lecture - Le colin par Alexandre_Vialatte

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17/04/2013

Myrmécophages

Un grand morceau de la chronique 490 qui nous parle de l’oryctérope mais aussi d’autres myrmécophages. Étymologie: du grec murmêkès, fourmi. Lire la note savante de feu le Gardes Mots sur le mot myrmidon.

(…) Cette chronique a toujours fait le plus grand cas de l’oryctérope et de son caractère rêveur. (…) jamais ici nous ne sommes passés devant lui sans lui tirer l'oreille ou lui flatter le museau. L’oryctérope et le vrai premier homme se sont toujours trouvés au coeur de nos soucis.

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Tamanoir (Myrmecophaga tridactyla)

Pourquoi ? parce qu'ils sont admirables. Et scientifiques. Presque incroyables. Regardez l’homme changer de chaussettes ou faire la queue devant un cinéma de quartier. C’est un spectacle magnifique. Mais que dire de l’oryctérope. « Il faut le prendre tel qu'il est », écrit M. Leloup dans un grand magazine. Il a raison : tel qu‘il n‘est pas, l’oryctérope serait moins beau. Il a un groin de cochon et des pieds de kangourou, des oreilles d‘âne et une mâchoire de crocodile. Sa chair sent la fourmi. Sa nature est timide profondément méditative. I1 mérite 1'amitié de toutes les personnes sensées. Il vit sa vie dans des terriers profonds. Il s‘y livre à des songes informes, des songes d’oryctérope. Il sort au crépuscule et sautille en Afrique du Sud. Dans la forêt. Parmi les ombres. De termitière en termitière. Elles sont dures comme la céramique.

I1 vit de cadavres au fond d‘un noir terrier et grogne quand on le contrarie. Citons aussi tous les myrmécophages qui posent le pied sur le coté, parce qu‘ils marchent les poings fermés, si bien qu‘ils avancent très lentement.

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(Tamandua mexicana)

Ainsi le fourmilier à crinière, appelé aussi tamanoir, qui se sert de sa queue majestueuse comme d'un balai et d‘une ombrelle, d'un parapluie, d‘une ramasse-miettes et le tamandua à queue prenante qu’on dénomme aussi « frère prêcheur » parce qu’à la moindre alarme il ouvre ses deux bras, en position de « Dominus Vobiscum ». Ainsi le fourmilier didactyle ; ainsi le pangolin à grosse queue, qui est doux, qui pousse de faibles cris, qui est myope, pas plus gros qu‘un gros chien et peut traîner, sans ralentir sa marche lente, dix hommes attaches à un câble.

Fourmillier didactiles en haut - Tamanoir en bas     et pangolin à droite

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Tels sont les songeurs myopes qui tuent les fourmilières.

Mais le plus beau est l'oryctérope, parce que nul ne sait d'ou il vient. Il a dû sortir d’un oeuf d'ange. Inclassable. Tombé de la Lune. C‘est la plus grande aventure de Dieu.

Résumons-nous : l’oryctérope fourmille ; et, guidé par un songe informe qu‘il a fait au fond de son terrier, il assassine les fourmilières. Nul ne sait d‘où il vient mais on voit où il va. Craignez ses rêves et sa myopie. Regardez-le, et vous aurez peur. Sa petite tête de lézard géant, son groin de porc et ses oreilles d‘âne ornent d‘effrayants crépuscules.

 

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11:28 Publié dans Vialatte | Lien permanent | Commentaires (2) |

16/04/2013

Oryctérope

Certains lecteurs me reprochent d’être beaucoup trop cryptiques et disent ne rien comprendre à mes notes parce que trop savantes (gentil), pédantes (moins gentil), cuistres (pas gentil). A la relecture je constate que je suis parfois cuistre, quelquefois pédant, à l’occasion savant et la plupart du temps informatif. Je tente de me limiter à une page d’écran pour certaines lectrices un peu fainéantes qui me reprochent les notes trop longues (ce qui ne les empêche pas de dérouler des kilomètres de pages facebook).

En fait, ma limite, c’est Vialatte. Comme je ne peux pas être aussi bon que lui, je ne voudrais pas me montrer plus savant. Aredius a eu la bonne idée de lancer des notes sur la base de petits textes de Vialatte. C’est ici. Je le mets aussi colonne de droite sous Vialatte du jour.

Exemple de Vialatte court et très savant piqué chez Arédius.

fbd37c6179be918bd39eba1172304993_1227208176_erdferkel.jpgElles (les fourmis) reviennent, poussant devant elles les prisonniers et les troupeaux pris à l'ennemi; (Certaines espèces font des esclaves. On a vu des fourmis sanguines mourir de faim plutôt que de se servir elles-mêmes, faute de fourmis cuniculaires pour venir leur donner la pâtée ! Tel est le polyergue roussâtre.) L'oryctérope entre là-dedans au clair de lune comme l'éléphant parmi la porcelaine et détruit rêveusement toutes ces aristocrates. Il est contre "le mythe de l'élite". La République n'a pas besoin de savants. "
Chronique 490

L'oryctérope est le fourmillier/termitier en photo. Notez qu'Alexandre n’avait pas le Web. Polyerque roussatre, fourmis sanguines. Quant à cuniculaires, je n'ai pas compris ce que le lapin (coniglio en italien) venaient faire chez les fourmis. J'avais cru trouver un lien mais je l'ai perdu. A votre bon coeur donc messieurs les savants.

L'Oryctérope du Cap (Orycteropus afer), aussi appelé cochon de terre, est un mammifère fourmilier d'Afrique, qui joue un rôle écologique important en contrôlant l'extension des populations de termites. Orycteropus afer est la seule espèce vivante du genre Orycteropus, unique membre de l'ordre des tubulidentés. Sacré Vialatte !

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24/03/2013

Kafka suite

9782070362844FS.gifKafka est mort en 1924. Quelques années plus tard, Vialatte a reçu le facteur qui lui amenait Le Château, une œuvre inachevé de Kafka considérée comme un des chefs-d’œuvre du vingtième siècle qu’Alexandre va traduire pour une publication française en 1938.  Avec Le Château, Vialatte s’éprend de Kafka, il va ensuite traduire plusieurs de ses romans.

Le temps passa, la neige revint. Je relus La Métamorphose. Du fond de sa tombe, au cimetière de Prague, Kafka écrivait de plus en plus. Chaque hiver le vent de la neige apportait un nouveau message énigmatique, et inachevé. Il y eut ainsi Le Procès, L’Amérique, Un médecin de campagne, etc.

Chaque hiver apportait un Robinson de plus, un Juif errant, un enfant perdu, une méprise, dans cette neige allemande qui n'est pas la même que celle d’ailleurs, qui annonce déjà la plaine russe et, inquiétante, traversée de fantômes, de corbeaux et de malentendus, présage déjà les étranges latitudes d’une quatrième dimension, cette steppe métaphysique de M. le comte West-West où rodent les vagabonds solitaires de Kafka, glacial espace d'un monde que rien ne réchauffe.

Kafka, en tchèque, c’est le choucas. Sortis du cimetière israélite de Prague, tous ses petits personnages noirs, aux coudes aigus, pareils à des fourmis, à ces dessins qu‘il mettait dans les marges, sur le bord de ses manuscrits, ces scrupules en forme d‘insectes, ces juges corsetés de jaquettes dont les pans avaient |‘air d’élytres, ces héros à quatre pattes, cette année de l’inquiétude se répandait sur la neige allemande comme des rats.

lls ont envahi toute l’Europe. Ils ont passé en Amérique. Les fourmis de Kafka ont gratté tous les cous.

(...)

Les songes des grands écrivains, des grands artistes, ne viennent pas. lls préexistent. C ‘est la réalité qui vient d'eux. Le Château ne venait pas du facteur, mais le facteur venait certainement du Château. Le père de Kafka date de Kafka (quelle revanche !). Il ne faut pas demander aux fleuves d‘où viennent leurs songes, mais de quel songe ils sont sortis. Qui se fût jamais avisé, avant les songes de Kafka, que la vie ressemblât à un roman de Kafka ?

D'autant plus que c‘est faux. Mais c’est la vie qui a tort, depuis qu‘il a fait son portrait, Kafka a gagné son pari : incapable de s’adapter, il a désadapté la vie. Il lui a fait croire qu’elle lui ressemblait. Elle en a persuadé toute une génération. Depuis Kafka, toute une génération sait qu’elle habite sur les terres de M. le comte West-West.

Extraits de Kafka ou l'innocence diabolique d'Alexandre Vialatte.

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19/03/2013

Kafka

 kuper_kafka.jpgComment Alexandre Vialatte rencontre l'oeuvre de Kafka, dont il va devenir le grand traducteur et qu'il va faire découvrir aux français. Mais avant ça, il nous décrit un facteur allemand bien pittoresque…

« J'habitais au bord d’un grand fleuve. Dans les maisons la lumière était jaune; dehors elle était grise. La neige couvrait les trams. Le ciel était en feutre et plus noir que les choses. Des enfants lançaient un traîneau. Des hommes passaient en bonnet de fourrure, ombres chinoises. La neige tombait. Le facteur ouvrit la porte. Il ressemblait a l’arbre de Noël.

C’était le vrai facteur allemand. Entre ses moustaches qui retombaient à la façon des branches d’épicéa, il s’élevait, couvert de neige, comme un conifère du Schwarzwald. Des choses rouges et des choses dorées brillaient a sa surface, dont on n’aurait su dire si c’étaient des étrennes utiles ou des ornements folkloriques : des galons, des boutons, des cuivres et des animaux symboliques.

Il était hérissé d'insignes, de porte-plume, de crayons gras, de crayons maigres de crayons noirs et de crayons de couleur; il en sortait de ses doigts, de ses poches et de ses oreilles. Son branchage abritait des aigles nationaux, des initiales, des buvards polychromes, des carbones et des grattoirs. Il faisait signer sur son ventre dans un registre orné d’une gothique ouvragée comme un défilé de pertuisanes*. 

Sa tête était au dessus, féroce, majestueuse. Et même joviale. On aurait dit d’un bureau de poste surmonté du portrait de l'Empereur. Il ressemblait à Bismarck, il riait comme un ogre, il avait l’air d’avoir fondé lui-même l’Empire allemand. Un fondateur, voila la chose ; il avait l’air d’un fondateur. Presque même d‘un portier de palace; il ne s'en fallait que d’un brandebourg **. Un fondateur en uniforme de fondateur. En bottes de fondateur. En ventre de fondateur.

Il posa sur ma table, avec une main poilue, un paquet de la taille et de l’épaisseur d‘une brique. Quel monument voulait-il bâtir? Que signifiait cette première pierre ? J'ouvris...

numerisation_Kafka_Le_chateau_81x600001-rsz-cf37b.jpgArtiste

C’était Le Château de Kafka.

C'était Le Château.

Je m’en aperçus à peine ; L’histoire commençait dans la neige; à côté de moi, pour ainsi dire ; au bout de la rue. Un arpenteur, héros de l’histoire, m’y entraînait dans son sillage. Et soudain je me frottai les yeux, pris d'un malaise inexplicable; l’air, la lumière avaient changé d‘indice; il y avait eu un gauchissement inaperçu ; la logique n’était plus la même ; un verre dépoli me séparait des choses. J’étais sournoisement engagé dans une hallucinante histoire qui laissait le bon sens révolté et l’imagination ravie.

Extrait de Kafka ou l'innocence diabolique

120px-Rudolf_Koch_gebrochene_Schriften.png* Une gothique, police de caractères.

* Une pertuisane est un lance. Ne pas confondre avec une halebarde, un fauchard, une naginata, une guisarde, une vougue, une bardiche, un manteau de Lucerne, une Trilance Sruss, un partisan... La pertuisane était souvent flamberge, c’est-à-dire qu'elle avait une lame semblable au kriss, en "zig-zag", ce qui avait plus le don de faire peur que d'augmenter l'efficacité de l'arme.

pertuisane-detail.jpg

La flamiche est donc une forme d'épée ou de lance comme la colichemarde ou l'espadon, l'arme de prédilection des lansquenets. Le kriss est une dague orientale dont la lame est souvent ondulée. La rapière une épée longue et fine etc...

L'expression avancer flamberge au vent signifie « attaquer sans réfléchir ».

** Un brandebourg est une broderie. Un galon qui orne une boutonnière.

15:31 Publié dans Vialatte | Lien permanent | Commentaires (0) |