31/07/2012
Escargotisme
Vialatte avait le goût de l’absurde. Dans sa chronique du 5 Janvier 66, il commente une BD de Copi qui publiait à l'époque dans le Nouvel Obs une page (parfois juste une bande de trois dessins) sous le titre de la femme assise.
Copi était aussi un dramaturge. C'est lui qui a écrit l'Eva Peron dont j’ai parlé ici. Argentin comme Jérôme Savary. Militant de la cause gay, il est mort du sida en 1987 comme beaucoup à l’époque. Voici la fameuse chronique :
Le cœur humain ne cesse de poser des problèmes. Les mœurs du temps les résolvent au mieux, ou au pis (je ne sais qu’en penser). Il y a des dames, dans les journaux, qui sont spécialisées dans l’étude de ces choses ; elles savent, elles disent, elles ont bien de la chance ; elles répondent : « Patientez », ou : « Rendez-le jaloux », ou : « Parlez-en à votre mère » ; que sais-je ?
(…)
Que peuvent penser toutes ces savantes, tous ces savants, ces psycholo-sociologues, ces sociologues, ces spécialistes, du cas que nous présente Copi dans sa dernière bande dessinée ? Elle donne beaucoup à réfléchir. On y voit la dame de Copi, la dame ordinaire de Copi, cette femme molle, rêvassière et indéfinissable, aux cheveux raides et au nez immense, assise sur presque rien dans un vide absolu, dans le néant, dans le complètement, c’est-à-dire dans le décor ordinaire de Copi. Sa fille arrive, suivie d’un escargot. Elle doit avoir quelque chose comme huit ans. Maman, dit-elle, cet escargot veut m’épouser. » Suit un silence, un long silence, un lourd silence (on sait que les dialogues de Copi sont surtout composés de silences. Ses personnages ne pensent pas vite. Ils ont « le corps plein de sommeil et l’esprit plein de songe »).
« Tu ne vas pas épouser un escargot, voyons ! », répond enfin la mère d’un air scandalisé. Mais je l’aime, maman ! », répond la petite. Silence. Silences.
L’escargot intervient alors, d’une voix que j’imagine, à tout hasard, flûtée : « Je peux lui offrir, dit-il, une situation aisée. » « Il va m’acheter un tricycle ! », précise la petite, naturellement séduite, comme tous les enfants de notre siècle, par la vitesse et les progrès de la science. « Ah ! si c’est comme ça… » dit la mère. « Oh ! merci, maman », dit la petite. Et elle s’en va, suivie de son escargot. Le pauvre diable court ventre à terre. « Déjà belle-mère ! », constate la dame avec une amère expression. Voilà.
Personnellement, bien sûr, je suis content que cette fillette, qui semble assez gentille, épouse cet escargot qui a l’air très bien élevé. Mais enfin il faut mettre Copi devant ses responsabilités. Et aussi les enfants, et les mères de famille. La société. Car c’est un vrai scandale. La chose est racontée sans aucun commentaire, sans nulle appréciation morale, comme s’il était tout naturel qu’une enfant se marie à huit ans ! Où allons-nous ? (…) On se mariera bientôt à l’école maternelle avant d’avoir pu atteindre l’âge où une fillette rend normalement en menus services le prix coûteux de son éducation, où elle peut soigner ses petits frères, monter le charbon, faire la cuisine et la lessive ; peindre le couloir et vider la poubelle, aller chercher les provisions, tailler une robe pour sa maman à l’occasion, garder le foyer et faire briller les vitres. Où sera la récompense d’une mère ? le bénéfice d’être père d’un enfant ? En un mot, que devient la famille ?
Je trouve de plus qu’il est sordide de pousser aux mariages d’argent. Ce prétendant devient épousable à partir du moment où on le sait à son aise ! On vend sa fille pour un tricycle ! C’est peut-être un sacrifice à la morale des contes, qui exige que les bergères épousent des millionnaires, mais ce n’en est pas moins immoral. Et que penser de cette mère qui n’a d’autre objection que l’escargotisme de son gendre ?
Comme si le malheureux y pouvait quoi que ce fût ! Comme si l’amour ne soufflait pas où il veut. C’est du racisme pur! Pour ne pas dire du fascisme ! Je suis certain qu’il y a des pays où l’on dirait que c’est du fascisme. Dans toute république populaire, même dans les plus antisémites, on appellerait ça du fascisme. Imaginez qu’au lieu d’un escargot, le prétendant soit un sorcier cafre, un anthropophage congolais, un black muslim, et qu’une maman lui refuse sa fille ! les journaux en feraient des images. Les gens honnêtes protesteraient. Les cortèges hisseraient des pancartes !
Alors que cet escargot, si j’en juge sur sa tête, est le type même du mari silencieux, paisible et doux. Sans exigence. Sa cuisine est vite faite. Il se contente d’une feuille de salade. Il ne boit pas, il ne joue pas aux cartes, il ne rentre jamais à trois heures du matin en chantant des chansons bachiques. C’est en somme le gendre rêvé. D’autant plus que l’escargot, quand même, a énormément de caractère : l’escargot ne recule jamais.
J’ai un gros livre sur l’escargot, on l’y envisage sous toutes ses faces : anatomique, juridique, religieuse, commerciale, politique, que sais-je, on l’y dissèque, on l’y psychanalyse ; il en ressort un théorème fondamental, une vérité biologique essentielle, bref un principe d’où tout le reste découle : l’escargot ne recule jamais. « Faire face ? Toujours », c’est un chasseur alpin. Il serait d’ailleurs fort empêché de faire autrement, sa physiologie le lui interdit. Les éleveurs le savent bien. (D’où la forme des parcs où ils tentent de le garder, la courbure du sommet de l’enceinte, la largeur et la profondeur de la douve qui entoure le rempart, etc., etc.)
Quoi qu’il en soit, voilà une aventure qui enseigne en trois images le mépris de la famille, le racisme et le trafic des enfants, peut-être même, sans pousser bien loin, une philosophie politique qui conduit droit à des régimes autoritaires. Quoi de plus antisocial ? Et la presse publie ça. Mais peut-être l’histoire n’est-elle pas vraie ? Ou alors elle se passe dans des temps très anciens. J’incline à le croire, car, pas une fois, dans toutes ces tractations de mariage, on n’entend la petite fille s’occuper de la pilule. C’est une enfant d’une autre époque
Et c’est ainsi qu’Allah est grand
La suite de l’histoire qui montre que Vialatte avait vu juste...
21:26 Publié dans Vialatte | Lien permanent | Commentaires (1) |
Commentaires
Merci beaucoup. Le futur candidat à la présidence de notre république devrait choisir l'escargot pour ses affiches !
Écrit par : Aredius | 01/08/2012
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