23/07/2006
Portes
Vialatte, ça faisait longtemps…
Les portes de la solitude sont des portes monumentales. Il y en a une à Ghardaïa, en plein désert. C'est une flèche ripolinée. Avec cette inscription parfaite : "Ghardaïa, trois kilomètres, Tombouctou, cinq mille kilomètres". Ca dit très bien ce que ça veut dire. On ne saurait mieux s'exprimer.
Il y en a une autre à Font-d'Hurle (c'est un haut plateau, dans les Vercors); elle est en bois, à claire-voie, longue, basse, encastrée dans rien. Il n'y a rien à droite, rien à gauche, pas un mur, pas un fil de fer, rien par-devant, rien par-derrière, si loin que s'étende la vue; seulement cette inscription grandiose : "Prière aux visiteurs de refermer derrière eux". On ne saurait mieux dire à l'homme que, d'où qu'il vienne et où qu'il aille, il ne peut jamais ouvrir ou fermer que sur soi.
* J'ai envie de refaire un petit feuilleton mais je n'ai que des histoires un peu courtes comme celle de Décembre ou trop longue comme Ophélie.
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15/04/2006
Fantomas
La poésie
de Fantomas
vue
par
Alexandre
Vialatte
... Il est bon, dans ces conditions, de continuer à lire Fantômas, dont la publication complète menace de submerger les rayons des libraires... Mais il serait déloyal de cacher au lecteur qu'il y trouvera le roi de Hesse-Weimar séquestré sous le bassin de la place de la Concorde ; que la complice de Fantômas est la grande-duchesse Alexandra ; que le ministre de la Justice sera tué par Fantômas en costume de souris d'hôtel avec des clous répandus sur le sol, un sac de sable asséné sur la tête et une aiguille plantée dans le cœur ; que le célèbre bandit fera accuser de ses crimes un roi régnant et le policier qui l'arrêtera ; que les malheureux seront écroués ; et que si l'on continue à ce train on ne tardera pas à apprendre que le vrai Fantômas est le Pape. Ou alors la reine d'Angleterre. Car il suffit, dans l'univers de Fantômas, de mettre rapidement une fausse barbe pour ressembler aux yeux de tout le monde à qui l'on veut. J'ajoute, par scrupule de conscience, que dans le monde où cet homme magique promène le lecteur fasciné, les détectives américains qui arrivent dans une chambre d'hôtel commencent toujours par raccourcir les pieds de leur chaise de 25 centimètres avec une scie qui ne les quitte jamais, et ne reçoivent leurs visiteurs qu'en les faisant étendre par terre, parce qu'ils ont flairé à l'avance la présence d'un fusil braqué sur l'endroit où leur tête devrait être normalement et actionné par des ficelles. Il faut aussi avouer tout de suite que Fantômas, quand il cherche à dissimuler sa complice, lady Hamilton, la fait nommer ingénieusement mère supérieure d'un couvent réputé dans un endroit un peu central de la capitale, ce qui lui permet d'aller la voir incognito dans la chapelle en grand costume de Fantômas (cape romaine, cagoule, collant noir) en passant par un haut vitrail : il a suffi à lady Hamilton d'interdire l'accès de la chapelle en sonnant joyeusement la cloche à deux heures de l'après-midi.
Toutes ces précautions étant prises, il ne s'agit plus, pour l'acheteur hésitant, que de savoir s'il aime l'inouï dans le grandiose, voire le grandiose dans l'inouï, bref tout ce qui faisait dire à Daudet, à la suite du discours d'un autre député : " Monsieur le Président, permettez-moi d'emporter monsieur à la maison afin de divertir nos enfants. "
On ne sera pas peu étonné d'y voir Mme Toulouche, âgée de 70 ans, grimper à bord d'un paquebot luxueux pour y égorger des détectives américains. A coups de dents. Sans que personne ne s'en doute.
Et c'est ainsi qu'Allah est grand. (et c'est ainsi qu'Alexandre terminait toutes ses chroniques)
(Extrait de Chronique de la poésie pure, La Montagne, 28 novembre 1961)
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04/04/2006
Villes
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Voilà comment Alexandre Vialatte voyait les villes et leur histoire :
Quand, pour la première fois du monde, l'homme se dressa sur ses pattes de derrière, encore tout chiffonné du plissement hercynien, et jeta un œil hébété sur la nature environnante,il commença par bâtir ses villes à la campagne pour être plus près des lapins, des mammouths, des ours blancs et autres mammifères dont il était obligé de se nourrir. Il n'y avait, en effet, si loin qu'il regardât, ni marchand de vin, ni charcutier ; pas une boulangerie pâtisserie, pas une boucherie hippophagique. Aucune de ces commodités, comme la vespasienne à tourelle, qui devaient devenir si courantes par la suite. Il s'établit au fond des bois, dans des abris couverts de feuilles de latanier, ou dans des grottes creusées au coeur de la falaise, comme il s'en voit encore en pays tourangeau, parce que le vin s'y bonifie plus rapidement ment et se tient plus frais. L'homme montait la garde à l'entrée avec une massue de cent kilos.
Plus tard, il se logea loin des bois pour éviter la morsure des loups ; il bâtit ses maisons en ville, et même sur l'eau, pour être plus à l'abri, comme on le voit encore à Venise, à Stockholm ou à Amsterdam. Ou par l'exemple des châteaux forts. On les entourait de larges douves. Malheureusement, les grenouilles s'y mirent. Elles empêchaient les gens de dormir. Il fallait toute la nuit les battre avec une perche. Les paysans du Moyen Âge passèrent leur vie à guider la charrue d'une main en battant les grenouilles de l'autre, ce qui limitait la surface des champs. J'ai longtemps cru (la jeunesse est frivole) que les cités s'étaient bâties près des points d'eau, pour les commodités de la table, de la navigation, de l'hygiène et des transports, ou sur des pics autour des châteaux forts pour pouvoir surveiller et repousser l'ennemi. Erreur profonde, m'apprennent des revues scientifiques : les villes ont poussé au hasard.
Il n'y a d'ailleurs qu'à voir une carte : les unes sont en Turquie, les autres en Amérique, en Australie, en Argentine. On en trouve même dans la banlieue de Paris. D'autres sont bâties autour des plus beaux sites : la baie de Sidney, la baie de Rio et celle de Diégo-Suarez. D'autres sur de plats marécages, dans des trous infestés de moustiques et de malarias. Aucun plan dans tout cela, aucun programme sérieux. Un esprit méthodique eût certainement choisi de bâtir dans un pays riche, en Suisse ou aux États-Unis. Mais on agit, malheureusement au petit bonheur.
Il en résulta un fouillis, compliqué de dispersions affreuses. Une chatte n'y retrouverait pas ses petits. A l'intérieur des villes, même anarchie foncière, même surréaliste délire. Des labyrinthes de ruelles et d'avenues en zigzags. De loin en loin, un réverbère pour la commodité des chiens. Même anarchie dans les devantures et les enseignes : le boucher expose des bœufs entiers fendus en long, le pharmacien des boules de gomme et des peaux de chat, des vipères en bocaux, des bocaux verts et rouges. Dans les faubourgs pluvieux s'installent des merceries qui accroissent encore la confusion. De vieilles dames y vendent des épingles et des lacets de corset marron. Nul souci d'unité. Les maisons prolifèrent, se compliquent d'ajoutures. On compartimente les greniers pour en faire des chambres de bonne ; on y ajoute pour l'hygiène une cuvette en émail. On creuse des caves pour y loger le charbon, le fromage, le vin, les araignées. Répétons-le, c'est l'anarchie. On en arrive au bout du compte à vivre chacun pour soi, pour son propre plaisir.
00:05 Publié dans Géographie, Vialatte | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature |
09/02/2006
Histoire
Rien n’est plus grandiose que l’Histoire, plus inquiétant, plus dramatique (...) On a vu des messieurs de complexion chétive, avec un barbiche poivre et sel et un commencement de calvitie, des gens complètement honorables, diplômés jusqu’aux dents, qui avaient en conséquence le droit d’enseigner toute leur vie au ronron des ventilateurs, dans des établissement parfaitement ombragés et rafraîchis par des jets d’eau, creuser le sable avec une fourchette pour le seul amour de l’Histoire, sous un soleil à tuer l’éléphant, dans des désert où le chameau de bât fait durer une semaine une asperge des sables pour en avoir encore un petit morceau le dimanche. Zèle admirable ! Ils tombent la jaquette d’un coup de rein, et de trois coups de pelle-bêche sortent une ville romaine, comme on dépote un hortensia.
Telle est la séduction de l’Histoire !
Alexandre Vialatte - Chronique de la Montagne – 4 Mars-1958
06:50 Publié dans Vialatte | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature |
28/01/2006
Fleuves
Dernières nouvelles des fleuves.
Il est des jours comme ca où l’idée même de mettre une note ici m’embarque dans de drôles de méandres.
Dans le cadre de ma catégorie géographie, je voulais faire un papier sur les Stans car je trouve qu’on ne parle pas assez des Stans, Turkménistan, Turkestan, Pakistan, Afghanistan, … Et en feuilletant la toile je tombe sur le fleuve Tarim. Vous connaissez le Tarim ? Non ? Et pourtant… le bassin du Tarim est le plus grand bassin fluvial au monde. Plus grand que l'Okavango de Nicolas Hulot! Le Tarim est entouré par plusieurs chaînes de montagnes, Tian Shan au nord, la chaîne des Pamirs à l’ouest et les Kunlun au sud, il se trouve dans la région autonome de Xinjiang Le Xinjiang aussi appelé aussi Turkestan oriental, nous y voilà. Enfin presque...
Tout à coup je me suis souvenu de mon maitre Vialatte : « Je chanterai les fleuves de la terre, Que serait la terre sans ses fleuves ? Les ponts les plus beaux y perdraient beaucoup de leur charmes, on ne saurait plus sur quoi les bâtir... Où se suiciderait le comptable infidèle ? Plus de promenades en bateau-mouche (…) On voit par là l’importance des fleuves. Ils vont tous se jeter dans la mer. »
Aie! Voilà comment on surprend Vialatte en pleine erreur. Vialatte qui connaissait pourtant bien les fleuves, la Seine bien sûr, mais aussi l’Aa, le Pô, l’Ob, ou Obi, l’Ili, le Têt, bref tous les fleuves de mots croisés et encore l’Eurotas des versions grecques, sans compter le fleuve Méandre qui sont tous deux des fleuves grecs, secs et pédagogiques, le Congo et ses fruits, le Yang-tseu-kiang, ou fleuve bleu, dans lequel Mao Zédong baignât son auguste personne. Cependant, Vialatte ne connaissait pas les fleuves endoréiques qui ne se jettent pas bêtement dans la mer. Connaissait-il le Tarim qui avec la Volga, le Syr-Daria, l’Amou-Daria et l’Oural sont les plus grands fleuves endoréiques du monde ? Je ne sais pas.
11:25 Publié dans Géographie, Vialatte | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : ecriture |
18/12/2005
Les neiges d'antan
Qui saurait dire, exhaustivement, pourquoi il aime la tour Eiffel ?
Peut-être Marcel Proust. Et encore, en plusieurs volumes.
<...>
On voit, au nom de demain, se battre, de nos jours, des géants qui combattent pour un art d'avant-garde composé de rêves d'avant-hier, en luttant contre des tabous de l'époque du président Fallières, qu'ils nous présentent comme des carcans de l'art d'aujourd'hui. Ils se battent contre une opinion qui a disparu depuis cinquante ans. Comme des pionniers ! Avec des œuvres poussiéreuses dont on était lassé en 1928. Au nom d'un irrespect farouche qui respecte n'importe quoi : l'obscénité, la réclame, les voyantes, la démence, et surtout l'argent. Ils se battent sous le drapeau de l'originalité pour composer tous la même chose. En exaltant une immoralité qui n'a jamais gêné les peintres d'aucun temps.
<…> De toute façon, tout le monde sait qu'au vieux temps la neige était plus blanche et le loup plus hirsute, les étoiles plus brillantes et la forêt plus noire, les bandits plus hardis, les vieilles femmes plus cassées et les bonnets plus tuyautés ; le savetier plus gai, l'usurier plus avare ; les haillonneux, les stropiats, les goitreux formaient des grappes épaisses autour du bénitier, et on allait à la messe de Noël avec des lanternes de corne.
<…> Notre époque n'est pas moins fertile en merveilles et en cataclysmes. Nous n'avons plus besoin, pour aller dans la Lune, de la fève de Jean de la Fève. Nous apprenons par les journaux qu'un jeune garçon s'est brûlé vif plutôt que de se faire couper les cheveux. Que deux millions de Pakistanais sont anéantis d'un seul coup par le typhon et le choléra, et qu'à en croire des Mémoires de Khrouchtchev (très probablement apocryphes), des paysans, privés de leurs bons de ravitaillement par une ordonnance de Staline, ont mangé leurs propres enfants. C'est ce qu'on appelle des faits divers. (On les montre en photographies. Elles sont noires et nous font horreur.)
Et c'est ainsi qu'Allah est grand.
A. Vialatte - La Montagne - 29 novembre 1970
18:20 Publié dans Vialatte | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature |
27/11/2005
Pytagore
On sait, grace à Pythagore grand amateur de mystères et d'hérmétisme, qu'un triangle rectangle qui a pour côté 3, 4 et 5 mètres a une surface de 6 m2 et qu'en plus, il y a 7 Piliers à la Sagesse... on reste confondu par la beauté des mathématiques.
Comme me le fait remarquer un lecteur chauve et assidu : "Il n'y a pas que Vialatte dans la vie, il y a aussi Desproges", Pierre de son prénom, qui dressait un portrait frappant de vérité des Suisses : "Il existe quatre sortes de Suisses : les Suisses allemands, qui parlent allemand, les Suisses français, qui parlent français, les Suisses italiens, qui parlent avec les mains, et les Suisses romanches, qui feraient mieux de se taire. Je ne suis pas raciste, surtout depuis que je vis avec un Nègre, mais je serais extrêmement peiné si ma fille épousait un Romanche. En effet, les Romanches ne sont pas des gens comme nous. Je ne saurais dire pourquoi, ce sont là des choses que l'on sent. Ils ne sont pas comme nous. Dans ce cas, le mieux n'est-il pas de s'éviter ? c'est ce que je dis toujours : moins on fréquente les étrangers, moins on s'expose à leur xénophobie. c'est aussi valable pour les Romanches que pour les 78 (NDLR : une sorte de parisiens de prôche banlieue)
Le mot du jour: hermétisme vient du dieu grec HÉRMÈS, qu'on avait assimilé à Toth, dieu égyptien de l'alchimie. (L'hermétisme désigne l'ensemble des doctrines alchimiques.)
18:05 Publié dans Vialatte | Lien permanent | Commentaires (7) |