03/04/2009
Oiseau à Ressort
Chroniques
de l'oiseau
à ressort
J’ai décidé de lire tout Murakami et de créer une catégorie dans laquelle vous trouverez cinq notes sur les cinq romans de lui que j’ai lu pour l’instant.
Le chant de l'oiseau à ressort fait ki kii kiii et Toru Okada, le héros et narrateur de cette histoire, pense que l’univers, la branloire pérenne de Montaigne, repose sur le chant de cet oiseau qui remonte la marche du temps et fait tourner le monde. On est en plein Murakami, si vous n’aimez pas quand la réalité bascule dans le bizarre abstenez-vous. Si vous arrivez à le supporter, vous allez trouvez ici un gigantesque écrivain.
[crédit image]Quand sa femme le quitte, sans raison apparente, le monde de Toru Okada déraille gentiment. Il reçoit de coup de fil d’une mystérieuse séductrice, il descend dans un puits à sec d'une maison voisine, il navigue dans la finance et dans la politique entourée de manifestations surnaturelles. Les séjours répétés dans ce puits désaffecté pour y vivre des rêves prémonitoires, lui donne un pouvoir de guérison qui le met en contact avec une riche créatrice de mode et son fils muet, non moins étranges personnages, dont le passé au Mandchoukuo chinois resurgit en leitmotivs obsessionnels.
Toru entre en contact, via la mort d’un drôle de marabout, avec un lieutenant à la retraite, dont le passé en Chine occupée et dans les camps de travail soviétiques a également changé le cours de l'existence - son séjour dans un puits à sec des plaines de Mongolie, entre la vie et la mort - accentue la trame fantastique du récit.
Pour les âmes sensibles, à noter, à la frontière mongole, une page forte à la limite du supportable, digne des pires films gores. Effroi garanti ! Murakami nous amène vers l’exceptionnel avec génie.
Ne vous fiez pas trop à ce que j’en dis ici ni à ce que vous pourrez en lire par ailleurs. Ce livre fait 850 pages et contient énormément de situations et de personnages qui passionnent. Murakami décroche gentiment du réel très banal vers l'imaginaire et le fantastique. Vous allez adorer le personnage de May Kasahara, une adolescente qui entre dans la vie de Toru et observe ces péripéties fantastico-burlesques avec un œil critique. Pour moi, Murakami est un écrivain magique.
08:50 Publié dans Lecture, Murakami | Lien permanent | Commentaires (2) |
27/03/2009
Le monde
On dit qu’il compte parmi les plus grands écrivains mondiaux du XXième siècle. On dit qu’il a quasi inventé un genre littéraire. On sait qu’il est né près de Genève, au Grand-Lancy exactement. Il se trouve que je l’ai même rencontré une fois à Annecy où des écrivains venaient assurer le service après-vente de leurs bouquins.
J’avais lu ce petit livre publié chez Zoé, écrit avec Ella Maillart, Témoins d’un monde disparu et j’en ai déjà parlé ici mais je n’avais rien lu d’autre. Une lacune maintenant comblée avec la lecture de son chef d’œuvre, paraît-il, L’usage du monde.
Aucun doute, le qualificatif de chef d’œuvre n’est pas usurpé. On est subjugué par la densité de cette écriture, la force du texte, la beauté des métaphores, la puissance du vocabulaire, le choix de mots raffinés qui évoquent avec précision et originalité les scènes qu’il décrit. Rien pour moi de plus fort depuis Voyage au bout de la nuit.
Pour ceux qui ne saurait pas encore de quoi ça parle, c’est le récit du voyage qu’a effectué Nicolas Bouvier avec son ami peintre Thierry Vernet, à bord de sa Fiat Topolino, sur la route de l’Asie. Un récit de voyage comme jamais personne n'en avait fait avant lui. Je me réjouis d’avoir encore quelque livres de Bouvier à lire. Le festival Etonnant Voyageurs de Saint-Malo décerne un prix Nicolas Bouvier. Nicolas était jusqu’à sa mort en 1998 de tous les festivals.
Quelques phrases :
Si je n'étais pas parvenu à écrire grand-chose, c'est qu'être heureux me prenait tout mon temps. D'ailleurs, nous ne sommes pas juges du temps perdu.
Assez d'argent pour vivre neuf semaines. Ce n'est qu'une petite somme mais c'est beaucoup de temps. Nous nous refusons tous les luxes sauf le plus précieux : la lenteur.
Jamais le travail n'est si séduisant que lorsqu'on est sur le point de s'y mettre ; on le plantait donc là pour découvrir la ville.
Couché dans l'herbe brillante, je me félicite d'être au monde, de... de quoi au fait ? mais à ce point de fatigue, l'optimisme n'a plus besoin de raisons.
C'est la contemplation silencieuse des atlas, à plat-ventre sur le tapis, entre dix et treize ans, qui donne ainsi l'envie de tout planter là. Songez à des régions comme le Banat, la Caspienne, le Cachemire, aux musiques qui y résonnent, aux regards qu'on y croise, aux idées qui vous y attendent... Lorsque le désir résiste aux premières atteintes du bon sens, on lui cherche des raisons. Et on en trouve qui ne valent rien. La vérité, c'est qu'on ne sait comment nommer ce qui vous pousse. Quelque chose en vous grandit et détache les amarres, jusqu'au jour où, pas trop sûr de soi, on s'en va pour de bon. Un voyage se passe de motifs. Il ne tarde pas à prouver qu'il se suffit à lui-même. On croit qu'on va faire un voyage, mais bientôt c'est le voyage qui vous fait, ou vous défait.
10:46 Publié dans Lecture | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : géographie |
26/03/2009
Il n'a rien fait
Jean d’Ormesson séduit.
Y a rien à faire, on ne peut pas ne pas l’aimer.
J’ai parlé ici de sa création du monde. L’académicien sautillant y balayait une quinzaine de milliard d’années racontées par un Dieu patelin et débonnaire qui peinait parfois un peu à croire en lui-même.
Je viens de lire Qu’ai-je donc fait son dernier opus qui est une sorte de livre de mémoires. On voit bien que le bonhomme ne se prend pas au sérieux. En gros, il avoue n’avoir pas fait grand chose. C’est assez rafraîchissant car l’époque est au gens sûr d’eux même. Pas un manager qui ne nous assène ses vérités en commençant par le petit qu’on a élu au sommet de l’état et qui, selon lui, fait toujours tout juste. Plus ils se plantent, plus ils se pavanent.
D’Ormesson, qui a mené une belle vie, bien pleine, bien réussie, riche de toutes choses avoue avec un brin de coquetterie qu’il n’a rien fait. Il passe en revue les choses qui comptent pour lui, les choses essentielles : La Science, le Temps, Dieu, le plaisir de vivre… Il a consacré ses heures si brèves à des œuvres immortelles, des œuvres écrites par Homère, Montaigne, Chateaubriand, Proust et encore Brel, Barbara… il a vécu entouré de chefs d’œuvre qui ont enchanté ce temps d’illusion qu’on appelle la réalité.
Des passages savoureux avec peut-être quelques pages inutiles mais qu’importe puisque Jean d’O ne cherche plus à écrire un chef d’oeuvre.
08:10 Publié dans Lecture | Lien permanent | Commentaires (0) |
23/03/2009
Mordillat
Peut-on faire de bons romans ou de bons film en peignant la réalité sociale ? La crise ? La mondialisation ? Les délocalisations ? La brutalité du capitalisme ?
On peut. La preuve au XIX ième on avait Zola, les Misérables, La mare au diable etc... au cinéma on a Stephen Frears, Ken Loach, pas mal d’autres… et puis, récemment il y a Gérard Mordillat qui après "Les vivants et des morts" a publié "Notre part des ténèbres".
Je connaissais le Mordillat amusant des papous dans la tête, mais pas vraiment le Mordillat, homme de cinéma et écrivain de romans sociaux et aussi de téléfilms sur le christianisme (pour simplifier). Les hasards de la librairie et le choix de ma femme m’ont fait découvrir ce livre paru l’an dernier. On est dans le vif de l’actualité.
Mondial Laser a été vendu à une société indienne qui immédiatement liquide les employés et s’approprie le carnet de commande. Un fonds spéculatif, le FII, fait au passage un super bénéfice. Même si les employés ont un savoir-faire hors pair et travaillaient pour la défense nationale, la justice ne fait rien. Le gouvernement est complice, l’opposition ne sait que faire. Les syndicats inefficaces.
Triste et banal fait divers économique dont nos journaux sont plein chaque jour depuis… trop longtemps et pour encore longtemps. Mais cette fois, quelque chose va arriver. Par un grand concours de circonstance, des employés de Mondial Laser vont détourner le Nausicaa, un paquebot de luxe, loué pour fêter le 31 décembre au Havre les bénéfices record de FII. Bateau arraisonné qui file vers le Nord en pleine tempête. La peur change de camp… Lisez-le.
Lisez-le pour apprendre des choses, par exemple sur les LMBO, le rachat d’une entreprise par ses salariés, en général ses cadres. Lisez-le pour rire. On se marre sur quelques histoires de fesses de nos protagonistes, sur la lâcheté des puissants. Lisez-le parce que c'est un bon livre, parce que vous serez touchés par des personnages attachants, par leur vie, leur mort… tout simplement.
« Nous sommes tous sur le même bateau », leur a-t-on seriné avant leur licenciement. Une formule qui rejoint la réalité : les voilà tous effectivement sur le même bateau et « ceux qui apprécient tellement les métaphores maritimes vont avoir l’occasion de mesurer la profondeur et la justesse de ces mots : vivre de l’intérieur ce qu’ils signifient ». La situation devient la suivante, exposée par Gary (personnage principal du roman) aux actionnaires pris en otage : « Si ça devait mal tourner sur ce bateau, comme ça a mal tourné pour nous, y aurait-il assez de canots de sauvetage pour tout le monde ? » – à savoir que le bateau est entièrement ceinturé de soixante kilos de C4, un explosif militaire très puissant.
« Aujourd’hui, les enfants naissent la peur au ventre et grandissent tremblants et résignés. Ce monde d’oubli des luttes, ce monde d’asservissement et d’acceptation ne sera jamais le mien. Personne ne me fera croire que le capitalisme est le seul monde possible, que l’histoire est terminée, que le marché scelle le stade ultime de l’organisation humaine. Peut-être suffit-il de dix hommes décidés sur un navire de croisière pour que la peur change de camp ? Qu’est-ce qu’il faut pour faire tomber la Bastille ou guillotiner un roi ? Du courage et un excès de désespoir... »
11:23 Publié dans Lecture | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : crise |
07/03/2009
Femmes, feux et choses dangereuses
Femmes,
Feux,
et autres choses dangereuses*
On raconte que le traducteur tchèque du Gorille de Georges Brassens est tombé sur un os car en tchèque le gorille est une gorille.
J'ai déjà parlé ici des genres. Pourquoi la langue française a-t-elle des genres ? Qu’en est-il dans les autres langues ?
Des langues sans genre. Le basque, le finnois, le turc, le hongrois, le mandarin (à l’oral), l’esperanto. L’anglais marque peu le genre (les bateaux et les animaux domestiques sont féminins)
Des langues à deux genres comme le français. A noter que les pronoms cela, y et en ne s’appliquent qu’au objets inanimés donc neutres. A noter aussi que certains mots sont sans genre (épicènes).
Des langues à trois genres, féminin, masculin et neutre (pour les objets inanimés) L’allemand, le slovène, le latin…
Le polonais possède cinq genres: masculin personnel, masculin animé impersonnel, masculin inanimé, féminin, neutre.
Les genres sont donc des groupements linguistiques un peu artificiels. Un des regroupements les plus amusants est celui du Dyirbal, une langue quasi disparue d’Australie qui distingue quatre genres :
- Les objets animés, hommes
- Les femmes, l’eau, le feu, la violence
- Les fruits et légumes comestibles
- Tout le reste
La deuxième catégorie a donné le titre au livre de George Lakoff, Women, Fire and Dangerous Things*
* A noter que mon correcteur grammatical propose :
Les femmes, les feux et autres choses dangereuses.
ou Les femmes, la feue et autre chose dangereuse.
10:18 Publié dans Lecture | Lien permanent | Commentaires (4) |
22/12/2008
Dragon 3
J’avais beaucoup aimé la leçon de chose, j’ai trouvé encore plus de plaisir à lire Le jour du dragon. Je trouve que dans ce livre Alain Bagnoud a encore affiné son pinceau. Il multiplie les touches de couleur pour nous faire ressortir ce coin de Valais et ce temps essentiel de la vie où l’adolescent se transforme en adulte.
Dans la leçon de chose, j’étais sensible au tableau parce que j’y retrouvais le monde de mon enfance à Abondance, pas bien loin de Chermignon, un monde disparu. Dans le jour du dragon, je retrouve toute la révolte de mon adolescence et le souffle de mai 68 avec juste ce qu’il faut de distance pour ne pas se prendre au sérieux.
Si un écrivain est quelqu’un qui crée un univers tout en nous restituant de façon transcendé son vécu comme l’ont fait à merveille, dans des registres si différents un Proust ou un Céline, alors oui, Alain Bagnoud est un écrivain et un tout bon à mon avis.
11:34 Publié dans Lecture | Lien permanent | Commentaires (0) |
21/12/2008
Dragon 2
Avec Le jour du dragon, Alain Bagnoud nous refait le coup de concentrer en un jour symbolique quelques années de sa vie. Dans La leçon de chose en un jour, il s’autofictionnait le jour de ses sept ans, dans le jour du dragon, il se met en scène vers 17 ou 18 ans le jour de la Saint Georges, la fête du village à Aulagne, alias Chermignon.
Cela se passe donc en Valais au début des années septante. Un vent souffle depuis quelques temps et a atteint les vallées les plus reculées, un vent qui vient de Woodstock, de l’île de Wright, de Berkeley, des pavés de 68, un vent porté par les guitares des Doors, des Whos, des Byrds, qui exhale une petite odeur de haschich et amène des hippies, des filles avec des fleurs plein les cheveux.
C’est le choc des cultures. Le vent souffle sur le village de la leçon de chose qui vit ses traditions et ses querelles ancestrales entre dorés et argentés. C’est dans la fanfare des dorés, une des deux cliques du village, que notre héros marche au pas en jouant du tambour. Ce jour là, il assiste au prêche du curé qui parle du démon terrassé par Saint Georges, au discours du maire, il s’extasie devant trois donzelles nouvellement admises dans la fanfare et que drague sans vergogne son copain Benny, il nous parle d’un prof marxiste renvoyé du lycée, il rencontre un artiste peintre, un vieux de trente cinq ans, il assiste à une boum et expérimente les effets à la fois hilarants et anxiogènes que procurent la fumée de chanvre. On retrouve Dogane, l’étranger, son meilleur ami, et aussi Richard Mitte de Lucien, le politicien et entrepreneur tireur de toutes les ficelles locales. On assiste à un repas familial dans la maison neuve de l’oncle futur politicien où vit un grand-père déclinant qui veut aller à l'hôpital pour qu'on s'occupe un peu de lui.
On est témoin de la construction d’un adulte et d’un écrivain. Un adulte conscient de tout ce qui le relie à ses racines et aussi de ce qui fait de lui un être un peu à part, un peu contre. Un écrivain qui fourbit les mots de sa différence pour pouvoir peindre le monde dans lequel il évolue avec la conscience de ses faiblesses qu’il tente de transformer en forces et qui trouve en tâtonnant la distance nécessaire par rapport aux passions qu’il dépeint.
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