23/03/2009
Mordillat
Peut-on faire de bons romans ou de bons film en peignant la réalité sociale ? La crise ? La mondialisation ? Les délocalisations ? La brutalité du capitalisme ?
On peut. La preuve au XIX ième on avait Zola, les Misérables, La mare au diable etc... au cinéma on a Stephen Frears, Ken Loach, pas mal d’autres… et puis, récemment il y a Gérard Mordillat qui après "Les vivants et des morts" a publié "Notre part des ténèbres".
Je connaissais le Mordillat amusant des papous dans la tête, mais pas vraiment le Mordillat, homme de cinéma et écrivain de romans sociaux et aussi de téléfilms sur le christianisme (pour simplifier). Les hasards de la librairie et le choix de ma femme m’ont fait découvrir ce livre paru l’an dernier. On est dans le vif de l’actualité.
Mondial Laser a été vendu à une société indienne qui immédiatement liquide les employés et s’approprie le carnet de commande. Un fonds spéculatif, le FII, fait au passage un super bénéfice. Même si les employés ont un savoir-faire hors pair et travaillaient pour la défense nationale, la justice ne fait rien. Le gouvernement est complice, l’opposition ne sait que faire. Les syndicats inefficaces.
Triste et banal fait divers économique dont nos journaux sont plein chaque jour depuis… trop longtemps et pour encore longtemps. Mais cette fois, quelque chose va arriver. Par un grand concours de circonstance, des employés de Mondial Laser vont détourner le Nausicaa, un paquebot de luxe, loué pour fêter le 31 décembre au Havre les bénéfices record de FII. Bateau arraisonné qui file vers le Nord en pleine tempête. La peur change de camp… Lisez-le.
Lisez-le pour apprendre des choses, par exemple sur les LMBO, le rachat d’une entreprise par ses salariés, en général ses cadres. Lisez-le pour rire. On se marre sur quelques histoires de fesses de nos protagonistes, sur la lâcheté des puissants. Lisez-le parce que c'est un bon livre, parce que vous serez touchés par des personnages attachants, par leur vie, leur mort… tout simplement.
« Nous sommes tous sur le même bateau », leur a-t-on seriné avant leur licenciement. Une formule qui rejoint la réalité : les voilà tous effectivement sur le même bateau et « ceux qui apprécient tellement les métaphores maritimes vont avoir l’occasion de mesurer la profondeur et la justesse de ces mots : vivre de l’intérieur ce qu’ils signifient ». La situation devient la suivante, exposée par Gary (personnage principal du roman) aux actionnaires pris en otage : « Si ça devait mal tourner sur ce bateau, comme ça a mal tourné pour nous, y aurait-il assez de canots de sauvetage pour tout le monde ? » – à savoir que le bateau est entièrement ceinturé de soixante kilos de C4, un explosif militaire très puissant.
« Aujourd’hui, les enfants naissent la peur au ventre et grandissent tremblants et résignés. Ce monde d’oubli des luttes, ce monde d’asservissement et d’acceptation ne sera jamais le mien. Personne ne me fera croire que le capitalisme est le seul monde possible, que l’histoire est terminée, que le marché scelle le stade ultime de l’organisation humaine. Peut-être suffit-il de dix hommes décidés sur un navire de croisière pour que la peur change de camp ? Qu’est-ce qu’il faut pour faire tomber la Bastille ou guillotiner un roi ? Du courage et un excès de désespoir... »
11:23 Publié dans Lecture | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : crise |