16/04/2015
Charogne
Aux dernières nouvelles, l’homme est de plus en plus vieux.
Jadis la Bible faisait naître Adam et Ève il y a un peu plus de 6'000 ans. Naguère, la paléontologie, qui a remplacé la religion, a fait apparaître notre ancêtre vers 1 millions puis 2 millions d’années… Récemment on a glissé jusqu’à 2,5 millions d'années...
Enfin, dans un article à paraître bientôt dans Nature, il semblerait que l’on ait trouvé des outils datant de 3,3 millions d’années.
Comme on n’imagine mal des outils sans la main qui va avec, on peut donc penser que les hommes sont vraiment de plus en plus vieux.
Mais que faisaient donc nos ancêtres 3,3 millions d’année en arrière avec leurs outils ? Ces hommes étaient-ils des chasseurs ? On a longtemps valorisé l’homme viril partant, avec sa lance, à la chasse aux grands fauves ou aux mastodontes pendant que bobonne s’occupait des mioches, cousait les peaux de léopards et rangeait la caverne. De La guerre du feu aux aventures de Rahan en passant par les reconstitutions télévisées, l’image du chasseur préhistorique, brandissant son épieu face à un mammouth a fait florès.
Mais des anthropo-paléonto-logues en mal de papier se sont penché sur la question et ont conclu qu’en réalité, avant l’invention de la carabine à viseur laser, l’homme était plutôt un charognard qui vivait aux crochets des grands fauves ou qui mangeait à la rigueur des petits de gros animaux. Les fauves, il les dessinait volontiers sur les parois de sa caverne pour le remercier de ne pas manger la totalité des charognes.
L’anthropologue Lewis Binford, en examinant avec précision des carcasses dans des campements préhistoriques du Paléolithique inférieur a noté que les marques laissées par les consommateurs étaient le fruit du charognage plutôt que de la chasse active. Certains os montrent des traces non humaines de dents de carnivore.
En réalité, et pour faire court, l’homme est resté fondamentalement un charognard qui préfère vivre des produits de la finance plutôt que de chasser le profit dans la jungle industrielle.
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Baudelaire - Une charogne
Rappelez-vous l'objet que nous vîmes, mon âme,
Ce beau matin d'été si doux :
Au détour d'un sentier une charogne infâme
Sur un lit semé de cailloux,
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Oui ! telle vous serez, ô la reine des grâces,
Après les derniers sacrements,
Quand vous irez, sous l'herbe et les floraisons grasses,
Moisir parmi les ossements.
Alors, ô ma beauté ! dites à la vermine
Qui vous mangera de baisers,
Que j'ai gardé la forme et l'essence divine
De mes amours décomposés !
17:41 Publié dans Au fil de la toile | Lien permanent | Commentaires (0) |
11/04/2015
Faune
Pour amuser le peuple, les empereurs romains avaient inventé les jeux du cirque. C’était moins perfectionné que les tirages et grattages de la Française des Jeux, cela rapportait moins au trésor public, mais c’était assez distrayant.
Pourrait-on refaire ces jeux ? Et bien non. Les lions de l’Atlas ont disparus. Le dernier spécimen sauvage fut vraisemblablement abattu en 1942 à Taddert. L’auroch aussi. Le dernier aurochs vivant connu, une femelle, est morte en 1627 dans la forêt de Jaktorów, en Pologne. Plus non plus de tigres de la Caspienne, la dernière trace a été vue en 1972.
Bien sûr la race des vrais gladiateurs a aussi disparu. On ne peut pas appelé gladiateurs les derniers survivants de Koh-Lanta à l’estomac si fragile.
J’ai conscience que l'annonce de ces disparitions est bien triste.
Heureusement il nous reste pour nous distraire le canard madarin et colin de Virginie : Le colin de Virginie est une sorte de huppe. Affectueux de nature, fidèle et monogame, il bavarde dès sa naissance, vole les grains de blé, jacasse, remue, ne tient pas en place, marche les mains derrière le dos, crie à tue-tête et jure en mexicain. C’est ce qui le distingue nettement du colin mayonnaise (d’ailleurs plus lourd, plus taciturne, qui ne vole pas les grains de blé et ignore l’espagnol). C'est du moins ce que nous dit Vialatte.
16:17 Publié dans Au fil de la toile, Vialatte | Lien permanent | Commentaires (2) |
06/04/2015
Ordre
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: On les peut mettre premièrement comme vous avez dit: Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d'amour. Ou bien: D'amour mourir me font, belle Marquise, vos beaux yeux. Ou bien: Vos yeux beaux d'amour me font, belle Marquise, mourir. Ou bien: Mourir vos beaux yeux, belle Marquise, d'amour me font. Ou bien: Me font vos yeux beaux mourir, belle Marquise, d'amour.
MONSIEUR JOURDAIN: Mais de toutes ces façons-là, laquelle est la meilleure?
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Celle que vous avez dite: Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d'amour.
MONSIEUR JOURDAIN: Cependant je n'ai point étudié, et j'ai fait cela tout du premier coup. Je vous remercie de tout mon cœur, et vous prie de venir demain de bonne heure.
Eh oui on dit : Vos beaux yeux me font mourir d’amour (dans 39% des langues dont l’anglais, le français, le chinois)
Mais aussi Vos beaux yeux d’amour me font mourir (dans 41% des langues dont le turc, le japonais, le persan… )
Ou Me font mourir vos beaux yeux d’amour (15% des langues dont l’arabe classique)
Et même Me font mourir d’amour vos beaux yeux
Ou D’amour vos beaux yeux me font mourir
Ou D’amour me font mourir vos beaux yeux.
Pour ces trois derniers groupes de langues (5%) cela donne aussi
« mange la souris le chat » en malgache»,
« la souris le chat mange »en xavánte et
« la souris mange le chat » en hixkaryana.
Etonnant non ?
05:31 Publié dans Mots | Lien permanent | Commentaires (2) |
05/04/2015
Rien ne va plus
On ne remercie jamais assez les joueurs.
Les joueurs de loto, d’euro millions, de Joker+, de Keno, les gratteurs d’Iliko, de €ash, de Millionnaire, d’Astro, de la Ruche d’or, d’Olé Sombreros, de Black Jack, de Mots Croisée, d’Eldorado, de 1000 carats, de l’arbre au trésor, d’Euro Fortune, de Solitaire, de Pharaon, de Kumulos, de Yams, de Precius Aurus, de Diamond River, de Booster, de Bingo, de Fruitos, de Goal, de Morpion, de Banco, de Numéro Fétiche, de Défoulo...
Sans oublier les joueurs de machines à sous qui n’hésitent pas à se lever matin pour faire l’ouverture du casino à 10 heures pour enfin pouvoir mettre des jetons dans la fente et appuyer sur le bouton et tenter d’aligner 3 ou 4 chiffres, cerises, poires, pommes, ananas, sphinx, bagnoles de sport, ou tout autres symboles dont la venue en parallèle signifie que la machine va débiter des jetons pendant un bon moment, bruit si agréable à l’oreille, ceci d’autant plus qu’il est peu fréquent.
Bien sûr, on ne saurait ignorer les modernes qui jouent à tout cela depuis leur écran à la maison (exclu WEB). Nul besoin de s’habiller, de se raser ou de se faire belle. On tire, on gratte, on clique à domicile, c’est tellement plus confortable ! Pas de jetons, une carte de crédit et tout est dit !
Je tiens à témoigner ma gratitude à tous ces grands joueurs et surtout à toutes ces petites gens qui se sacrifient pour diminuer le déficit de notre pays. Si, par hasard, on limitait l’accès à tous ces défouloirs, le pauvre Hollande n’aurait plus qu’à plier bagage. Aucune chance de tenir les engagements de Bruxelles. Sarko serait sûr de revenir au pouvoir. Voilà à quoi tient l’avenir de notre pays.
* La somme engrangée par l'état chaque année via les jeux est de plus de 6 milliards, le déficit 2014 était de 4% soit environ 85 milliards avec un objectif à 3% soit moins de 79 milliards.
05:48 Publié dans Société | Lien permanent | Commentaires (2) |
04/04/2015
Pennac
Une leçon d’ignorance.
Leçon doctorale prononcée par Daniel Penac en mars 2013 (en italien je crois) lors de son intronisation comme docteur honoris causa en pédagogie de l'université de Bologne, la plus vieille université du monde (1088).
Intellectuels, Pédagogues et Démagogues. Extrait:
[Suite à l’échec scolaire] …tous se lancent dans toutes sortes de stratégies pour s’offrir le réconfort d’une identité : addictions diverses, consommation tous azimuts, constitution de bandes, de communautés en tout genre – y compris aujourd’hui sur la Toile, histoire d’être accepté par un groupe, quel qu’il soit.
Or, la particularité commune à ces groupes est le mépris des "intellectuels". Je souligne le mot intellectuels, parce que je l’entends de plus en plus souvent prononcé comme une insulte. D’abord par bon nombre d’adolescents pour lesquels l’adjectif « intellectuel » suggère je ne sais quel déficit de virilité et d’adaptabilité au monde réel. Ensuite par les plus populaires de nos médias dans lesquels l’adjectif « intellectuel » est associé à l’ennui le plus profond, l’ergotage vain et le snobisme. Enfin, à l’échelle européenne, par nombre d’hommes politiques qui présentent l’intellectuel comme le prototype de l’idéaliste irresponsable, du privilégié arrogant, de l’ennemi de l’entreprise, voire de l’intelligence corrompue.
Ainsi bruit l’air de notre temps. Et, ce que nous dit ce bruissement, c’est la victoire, de plus en plus fréquente, du démagogue sur le pédagogue.
À y regarder de près, le démagogue est l’exact antonyme du pédagogue. Pourtant, tous deux s’adressent au sentiment de solitude propre à l’être humain. Le pédagogue nourrit notre solitude ontologique d’un savoir protéiforme, il ouvre notre curiosité, éveille notre appétit de recherche, stimule notre aptitude critique, exerce sur notre esprit une influence qui se refuse à la domination, bref, contribue à faire de nous des individualités réfléchies, ouvertes et tolérantes, dont l’addition constitue une communauté humaine démocratiquement viable.
Le démagogue, lui, confisque à son profit le sentiment de solitude suscité par nos échecs, nos manques, nos frustrations, nos malheurs, nos peurs et nos ressentiments. Il substitue le dogme à l’esprit critique, le slogan au raisonnement, la rumeur aux faits établis, les convictions aveugles aux doutes éclairés, les croyances aux savoirs, le diktat indiscutable aux institutions mesurées, et, surtout, surtout, il désigne le coupable en se posant lui-même comme le vengeur providentiel. Ce faisant, il a du charme*, au sens le plus archaïque du terme, et il l’exerce: il est le joueur de flûte qui nous arrache à notre solitude, et nous sommes les enfants perdus qui le suivons en masse vers le fleuve qui nous noiera.
* Charme au sens archaïque veut dire "formule magique". En italien c'est fascino, que l'on peut aussi traduire par fascination.
11:36 Publié dans Au fil de la toile, Lecture | Lien permanent | Commentaires (1) |
03/04/2015
A vau l'eau...
Encore une des joies du libéralisme révélée par le Bulletin technologique. En Californie comme partout, on accorde aux paysans des droits sur l’eau. Or la sécheresse sévit. Du coup, il devient plus intéressant pour les paysans de revendre chèrement leurs droits sur l’eau que de cultiver les fruitiers et les légumes.
Ces droits sont revendus, entre autre, à l’état de Californie ou à la ville de Los Angeles. La Californie est le grenier du pays pour les fruits et légumes. Du coup, le manque d’eau rend cette agriculture moins performante et la production agricole va déménager vers le centre des US.
A part ça, au Japon on développe des "légumes fonctionnels" éclairés par des LED. L'éclairage par LED permet d'accélérer la pousse des légumes. En plus, fonction des temps d'exposition et de la couleur de la lumière, le goût et les teneurs en oligoéléments des légumes varieraient sensiblement. Par exemple, un éclairage par LED rouge augmenterait la teneur en sucres et en vitamines de feuilles de laitue, tandis qu'un éclairage bleu induirait la production d'antioxydants par la plante. L'équipe a ainsi obtenu des laitues contenant 2,6 fois plus de vitamines et d'antioxydants que la normale.
Où va-t-on papa ? Je ne sais pas mais c’est sûr, on y va !
* L'expression à vau l'eau vient de l'eau qui suit la pente du val (vau). Elle à pris progressivement le sens de truc qui ne fonctionne pas et part en c...
05:43 Publié dans Libéralisme, Mondialisation | Lien permanent | Commentaires (2) |
02/04/2015
Michel Wieviorka
Grâce à la grève de France Inter, j’écoute RSR1, la Radio de Suisse Romande la première. C’est toujours passionnant. Nos amis Suisses Romands sont à la fois bien proches de nous culturellement avec des différences qui étonnent parfois. C'est dépaysant mais plutôt moins que de se taper la pub sur Europe1.
Aujourd’hui, il y avait un entretien passionnant avec le sociologue Michel Wieviorka que je découvre. Un de ses sujets favoris du moment est de tenter de comprendre cette apparente contradiction entre l’universalisme en temps de globalisation et la possibilité de faire vivre sur la toile un monde multipolaire. Je sais c’est très intello, donc je vous épargne le détail.
Il est issu d'une famille de juifs polonais dont bien sûr certains ont fini à Auschwitz. A part ça, Michel est un copain de Cohn Bendit et le beau frère d’Alain Geismar, il fut l’élève d’Alain Touraine et de Jacques Delors. C’est un spécialiste du terrorisme qu’il a étudié en particulier avec les réfugiés des Brigate Rosse en France « amnistiés » par Mitterrand (Cesare Batistti et une centaine d'autres gus). Son analyse s’applique bien, paraît-il, au djihadistes qui nous inquiètent.
Il vient aussi de publier « L'antisémitisme expliqué aux jeunes ». Bons commentaires sur Amazon. L’émission est à écouter ici. Son blog est ici.
04:54 Publié dans Société | Lien permanent | Commentaires (0) |