12/01/2006
Sigmund
Lors de mes vagabondages sur le net il m’arrive de noter des textes qui me plaisent. J’avais particulièrement aimé celui-ci dont voici la fin et sa conclusion lapidaire :
Freud pouvait avoir des hypothèses tout à fait convaincantes à l'époque. Par contre la science qui est chaque jour mis en face d'hypothèses tout aussi sérieuses et doit respecter un simple protocole. L'exposé de la théorie, puis la tester et l'abandonner s'il s'avère qu'elle est erronée. Ce qui n'a jamais été fait.
Seul ses condisciples Reich et Lacan* ont ouvert, en partant de cette théorie, des chemins nouveaux qui sont encore explorés. Nous sommes bien loin d'envisager une thérapie clinique qui puisse rivaliser avec l'irruption des neurosciences et les thérapies cognito-comportementales (TTC) aujourd'hui bien plus prometteuses que cette science tout à fait inexacte.
A ranger dans l'étagère des croyances populaires à coté de l'homéopathie et l'astrologie ?
Lire le texte en entier
* Je mettrais un bémol sur Reich, Lacan et les TTC.
Des tas de textes tous les jours sur cet excellent site.
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07/01/2006
Roi-mage
Je viens de lire l’histoire du quatrième roi mage de Bergamote, elle est très jolie mais, il faut bien le dire, elle est fausse…
En fait, ce quatrième roi s’appelait Nicolas et habitait à Myra, le palais de la photo qui est aujourd’hui en Turquie, au bord de la Méditerranée, donc pas très loin de Bethléem. Les petits malins qui connaissent l’endroit et qui pensent que je parle de Saint Nicolas (270-310), l’homme à la barbe blanche font un gros anachronisme. Non, notre Nicolas était un jeune mage, fringant et plutôt beau gosse, genre David Copperfield avec la cape noire et la baguette magique. C'est début octobre, juste avant l’an zéro, que notre roi-mage reçu par Samarie Message Service un texto, venu d’on ne sait où, qui lui disait de suivre l’Etoile.
Seulement voilà, notre Mage Nicolas n’avait aucun sens de l’orientation et, sans réfléchir, il se mit à suivre l’étoile polaire qui brillait, comme il se doit, vers le nord, alors que chacun sait qu’il fallait qu’il parte vers le sud en traversant le Liban. Par chance le message de SMS avait bien mentionné qu’il ne devait pas lésiner sur les cadeaux et donc il était parti les sacoches de ses chameaux pleines à craquer exactement comme s’il était invité au mariage d’Elton Jones. Il avait non seulement des perles de prix mais de l’or, de l’encens, de la myrrhe et pas mal de bonbonnes de ce petit alcool de prune qu’à l’époque on ne faisait qu’à Damas avant que les jurassiens n’en découvrent le secret et n’en abusent.
Et voilà notre Nicolas sur les routes. Avec son sens de l’orientation, au lieu de passer entre la mer Noire la Caspienne, comme aurait fait n’importe qui, il s’égara en Perse, au Turkestan, Turkemistan, Ouzbékistan, Kazakhstan, tous les stans… avant de repartir plus à l’ouest vers l’Ukraine, la Pologne… Les mois passaient, les années passaient… Le mage Nicolas traversa enfin le Danemark pour arriver à Copenhague. Là, il pris le ferry (où son alcool fit fureur) pour Malmö. Après un bref séjour en Suède il arriva en Norvège, ses réserves d’or s’épuisaient et surtout les bonbonnes de damassine qui lui avait permis de tenir dans le froid. Bref, je vous la fait courte parce que les hivers norvégiens sont non seulement longs mais terriblement ennuyeux.
Pour gagner sa vie Nicolas devint bandit de grand chemin façon Robin des steppes puis il se fit moins leste et la police lapone (la célèbre Policone) l’attrapa. Le conseil suprême des sages lapons qui alors régissait la Laponie avec des méthodes assez modernes, il faut en convenir, le condamna à des travaux d’intérêt général : chaque année, en décembre, il devait livrer aux enfants qui vivaient sur le cercle polaire des jouets. En ce temps là, le fils du charpentier avait déjà pris l’ascenseur depuis belle lurette pour les vignes de son père, notre Nicolas avait barbe blanche, une grande cape rouge façon houppelande pour les tours de magie… et c’est ainsi que les rois mages ne furent que trois et que naquit la légende du père Noël.
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31/12/2005
Oeil serein -Fin-
...Dans une semaine ou deux vous allez déjà récupérer le deuxième œil… »
Pour les appareils hi-tech, je suis servi. A droite deux écrans : un petit, au format oscilloscope, l’autre, plus grand, une gueule de PC standard, gris souris. Un TKN évidement ! Deux bouteilles distillent dans mes veines des liquides variés et peu miscibles. Autant que je puisse en juger, l’alimentation est contrôlée par des capteurs reliés à l’ordinateur. Il y a des pelotes de fils qui pendouillent de partout. Ils doivent alimenter le système en données fraîches. Pour ajouter au tableau, papa m’a amené un petit enregistreur qui répond à ma voix. Il l’a suspendu sur la potence. Ça m’étonnerait que je m’en serve. Mon lit ressemble à un fauteuil de dentiste qui serait bourré de suspensions, de poulies, de câbles, de manettes… Je suis dans des coques en résine de synthèse. L’horreur !
- Non, ce n’est pas du plâtre, monsieur Dubé. Vous avez raison… ça y ressemble… c’est un produit bien plus sophistiqué. Cette résine a un coefficient poids/résistance incroyablement faible…
C’est à croire qu’il a subodoré ma technophobie, le mandarin. Il me dit ça en mirant des radios à la lumière de la fenêtre.
- Ce sont des images de synthèse en 3D… Regardez, n’importe qui peut les comprendre. Ici, vous voyez, c’est votre bassin. On distingue très bien le morceau que j’ai remis en place. Du beau boulot ! Ça va se ressouder à merveille. Là… c’est le fémur. Quel puzzle ! Il y a au moins dix morceaux. Celui-là, faudra sans doute le recasser pour le remettre parfaitement en place… On verra bien… Dans trois ou quatre mois, peut-être…
Effectivement on voit bien le squelette. De la belle image, brillante, presque en relief. Il m’énerve, le chirurgien, avec son crâne dégarni, sa bedaine de quinquagénaire, cet air d’avoir inventé la médecine moderne à lui tout seul. Les infirmières aussi, elles m’énervent ! Surtout Michèle.
Alors je préfère rester seul. J’aime bien laisser vagabonder mon esprit au milieu de mon capharnaüm de fils… Cette solitude ne dure jamais… Tout à coup, ça se met à sonner, des lumières s’allument de partout. Michèle arrive, sûre d’elle, elle change les flacons, bricole les fils d’un air vachement professionnel… Finalement la stridulation s’arrête. J’ai beau avoir les neurones en bon état de fonctionnement, je n’arrive pas à comprendre ce qui déclanche cette sonnerie.
Ils le font exprès, j’en suis sûr ! C’est pour ajouter au coté « tout est sous contrôle. » En ex-employé de la boutique, on ne m’abuse pas si facilement. Je me dis que ça doit être un bug. Une erreur dans le système que personne ne veut corriger tellement ça les arrange. Ça ajoute aux mystères de la technique médicale… C’est bon pour l’image de l’hôpital... Le plus énervant dans l’affaire, c’est la manière dont elle me parle :
- Voilà, c’est réparé. On est content j’espère… Je vais lui remonter un peu l’oreiller au jeune homme… On arrête de faire la moue… On fait un petit sourire à son infirmière préférée. Alors comme ça, on débranche les fils ? Mais non, je plaisante. C’est pas gentil ça de déranger sa petite Michèle en pleine nuit. On s’ennuie un peu alors on aimerait bien que l’infirmière s’occupe un peu de vous, vous fasse des câlins.
Je lui trouve un air franchement sadique. Je m’efforce de ne pas bouger un œil. Alors, elle en rajoute dans le langage infantile. Tu parles, elle peut se les garder ses câlins. De toutes façons avec toutes ces bandelettes, y a pas de place pour les caresses. Vivement que je puisse bouger un peu… « Ce n’est qu’une question de temps et de patience. Rien de vital n’a été touché… » M’a répété doctement le visiteur du soir, le chirurgien à calvitie et petite bedaine. « Vous êtes jeune. L’année prochaine vous serez sur pieds, tout bon pour le marathon de New-York. »
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Paris, 3 Juillet 2000 - Les mouchards ont parlé.
Du nouveau dans l’instruction de l’affaire du jeune Dubé. On se souvient que Frédéric Dubé, hospitalisé à l’hôpital Foch à la suite d’un très grave accident de la circulation survenue près d’Aubusson, est mort dans la nuit du 5 mars. Victime d’un nombre incalculable de fractures, son état était néanmoins considéré comme satisfaisant. Sa fin brutale est d’autant plus difficile à comprendre.
Au départ de l’enquête, les soupçons se sont portés sur Michèle M., une infirmière du service, que les parents ont accusé d’intervention tardive, inadaptée, voire même malveillante. Les enquêteurs ont disposé d’outils d’investigation très complets. F. Dubé était en possession d’un Dictaphone à déclenchement vocal, engin sur lequel se sont enregistrées la plupart des bruits et des conversations des derniers jours dans sa chambre. De plus les nombreux appareils médicaux qui l’assistaient dans sa lutte sont dotés de mémoires, à l’image des boites noires des avions.
Depuis, Michèle M. a été renvoyée de l’hôpital pour faute grave mais il semblerait que l’enquête se dirige vers une panne peu fréquente et mal contrôlée d’un appareil essentiel à la survie du malade. Il s’agirait d’un bug, une erreur de programmation, dans un logiciel fabriqué par la société E-Medic. On a beaucoup parlé de cette société, l’année dernière, lors de son introduction réussie au second marché de la bourse de Paris.
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30/12/2005
Oeil serein -3-
...De retour à Paris, j’ai encore végété deux ans dans des postes de management avant de me décider pour la start-up.
A bientôt trente ans, j’ai dû convaincre maman, elle qui n’a jamais tapé sur un clavier, que pour ma carrière, je devais quitter TKN. Une multinationale, un emploi si sûr, si bien rémunéré. L’argument décisif, pour elle, ce fût quand, à tout hasard, je lui ai dit que j’allais faire du Java. Incroyable, elle savait ce que c’était que Java ! Elle me dit « C’est le langage de programmation du Web. » J’étais sur le cul ! Elle avait lu un article dans un magazine chez son coiffeur. Dans l’article, ils disaient que Java était le langage de l’avenir, une sorte de nouvel espéranto que parleraient les dieux de l’Internet. C’était pas si faux, l’espéranto du Web. J’ajouterais : une langue de plus pour éviter de se faire comprendre des mortels.
Une start-up, c’est une boite toute neuve dans le domaine de la haute technologie. En principe une start-up démarre de rien, grimpe à toute vitesse, sans jamais faire de profit, et elle se revend quelques années plus tard en faisant la fortune de ses fondateurs, très accessoirement en enrichissant quelques uns de ses employés. Ceux-ci sont souvent payés la moitié du prix du marché. C’était mon cas, j’avais divisé mon salaire par deux et plus. Ça laissait encore de quoi payer le taxi. L’astuce réside dans le fait que ses employés deviennent des partenaires par le biais de stock-options. Ce sont des actions gratuites qui, en théorie, se valorisent en même temps que la start-up… C’est un pur baise-couillons !
Deux clans dans ma start-up : les trois fondateurs, 22, 23, 24, comme on les appelait en référence à leur âge, et les employés, nous autres, les laborieux, les indiens. Bourrés de stock-options, bourrés en proportion des mois passés dans l’entreprise. Une ambiance de chiottes soigneusement entretenue par nos trois nombres fondateurs et arrogants. Tous trois soucieux de créer un sain climat d’émulation. Sain, mon œil ! Vu mon grand âge, ils avaient prévu de me confier des responsabilités. Quand j’ai vu le chantier que c’était, j’ai botté en touche. Ils m’ont mis sur les projets les plus ingrats. C’est pas ce que j’ai fait de pire comme travail. C’était une start-up spécialisée en applications d’informatique médicale. Elle s’appelait E-Medic. Entre nous, les indiens, on l’appelait I-Merdique ou encore « la startufe company. » Au choix !
Restons positif. Dans mon état, vaut mieux ne pas trop faire monter l’adrénaline… En un sens cet attrape-nigaud m’a été salutaire puisqu’il m’a confirmé, en un temps record, à quel point la technologie et son mode de vie me déplaisait. Une grosse année pour faire une overdose. Par chance je n’avais embarqué personne dans l’aventure. Pas d’enfants, plus de compagne. Barbara m’avait largué deux ans plus tôt, pour un collègue de TKN rencontré dans un pince-fesse. Ces soirées TKN, qui mêle adroitement la blablaterie sociale et le bizeness. Attention ! Si je veux vraiment rester positif et serein… être bien dans ma tête et tout… il vaudrait mieux que je laisse Barbara à Sophia Antipolis, dans sa villa de luxe… Il serait plus sain, par exemple, de rediriger mes pensées vers mon havre de paix : ma maison près du ruisseau… mon ruisseau à truites… dans la Creuse.
Le coup de foudre pour la Creuse, je l’ai eu quand j’étais chez TKN. De retour de Huston, je voulais un coin perdu, loin de tout. La Creuse, c’est le coin le plus paumé qui se puisse trouver dans un rayon raisonnable de Paris. Avec mes économies américaines, j’ai acheté « La Casa ». Un joli petit palais du facteur Cheval. Une ferme creusoise retapée par un italien nostalgique de la Toscane. Murs crépis de blanc, escaliers extérieurs et intérieurs bordés de magnifiques rampes hélicoïdales en plâtre moulé, une maison toute en rondeurs. J’ai eu le coup de foudre. Papa m’a dit « Quelle idée ! Acheter une maison si loin de tout ! Tu n’as quand même pas l’intention de prendre ta retraite ? A ton âge ! » Il ne croyait pas si bien dire, papa. J’ai pris ma retraite le jour de mes trente-deux ans. C’est ce que j’ai fait de mieux dans ma vie.
Dans la Creuse, il n’y a pas de métro… Il y a des cinglés et des alcolos qui roulent comme des malades sur les petites routes de campagne. Dommage ! Parce que depuis un an, cinq mois et dix jours, la Creuse, c’était, pour moi, la découverte du bonheur. J’y cultivais ma nature foncièrement contemplative dans un décor bucolique. Méditation… Paix intérieure… Bien avant l’installation, quand j’étais encore chez TKN, on était venu y passer de longs week-ends, avec Barbara. Elle détestait… Vivre là-bas à l’année longue, elle serait devenue folle.
Une seule salle de cinéma, à quinze kilomètres, qui a tendance à retarder un peu sa programmation. Un retard volontaire. Un retard militant. Pas de FNAC, pas d’hyper-super-géant-marché, pas de salle de concert, pas de bowling, pas de patinoire, pas de parc d’attraction… rien qu’un bistrot ringard qui sert une bière peu connue en plus de la Kro habituelle. Un petit marché, le vendredi, pas très reluisant. On y vend des fruits et des légumes produits par des soixante-huitards résistants et pas aigris. Produits de la terre, dont on peut penser qu’ils poussent sans excès de poudres et d’aspersions. Il y a aussi des petits fromages de chèvres, les chèvres d’Antoine et de Catherine. Les chevrotins d’Antoine, le délice !
La Creuse, ma cure de désintoxication. J’y vis sur mes économies. Avec un train de vie aussi modeste, je dois pouvoir tenir des années. J’ai trouvé un petit boulot : correspondant de deux journaux locaux. Ça marche bien, je rencontre des gens. A la rédaction ils aiment bien mes petits articles. J’ai eu le malheur de leur parler un peu de mon passé, alors ils voudraient bien que j’écrive sur la technologie. Ils sont sur Internet, comme tout le monde… Alors, forcément, ça les titille de faire comme les autres, d’initier la campagne profonde aux nouveautés du réseau des réseaux. Moi, je ferais bien un billet d’humeur sur la technologie, mais je ne suis pas sûr qu’ils apprécieraient mon style et mes intentions. A la rigueur ça pourrait plaire dans un journal national. Quand je sortirais d’ici… faut voir…
Ça ne va pas être pour tout de suite ! Pour l’instant les seules choses qui s’agitent encore chez moi, ce sont ma tête et mon oeil. C’est là que je brasse ces élucubrations et travaille ma sérénité. En un sens je ne peux pas trop me plaindre. Les premiers jours, j’étais un peu dans le coltard, puis les douleurs se sont réveillées. Ah la vache ! Maintenant, ça va de mieux en mieux… Ils me dosent la morphine au quart de poil… juste comme il faut… La douleur qui reste, c’est tout par moment. J’essaye d’être encore plus zen. La tête va bien mais le reste, les bras, les jambes, les côtes, le bassin… Faut pas secouer ! Le chirurgien me dit : « Ça va se retaper doucement… très doucement. Faudra être patient ! Dans une semaine ou deux vous allez déjà récupérer le deuxième œil… »
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29/12/2005
Oeil serein -2-
...Besoin de lui et aussi de Mario, l’italien fou, le bel artiste plus sidérrraaaaal que le grand Dali lui-même.
Quel atelier ! Quel bordel de bois, de peinture, de morceaux de plastique, de fer-blanc torturé. Quelle belle lumière d’hiver !... Il ne faisait pas très chaud, je revenais du judo ou du handball ou du basket-ball ou, peut-être même simplement, du collège, je ne sais plus. J’avais eu ce petit malaise dans la rue. Manque de sucre. Mario passait par-là. Son atelier était à deux pas. Il m’avait fait un grand grog très sucré qui m’avait rendu légèrement euphorique. Je voyais les sculptures fondre comme des montres molles. Au fond de l’atelier le grand pantin de chiffons qui se marrait ressemblait à un Gargantua de Gustave Doré. Mario me forçait à manger une tartine de confiture aux myrtilles. J’avais douze ans, treize peut-être. Il devait en avoir vingt-trois ou vingt-quatre. Il était gai, primesautier. Des deux, ce n’était pas moi le plus jeune.
Parfois le soir, quand j’étais sur le trajet, je passais à son atelier en vitesse. A la réflexion, la syncope, ce devait être en revenant du judo, rue du Prince… Un jour où j’admirais un nouveau dessin, papa a frappé. J’ai fait les présentations. Le courant n’est pas passé… mais pas du tout. A la maison j’ai du m’expliquer. Y avait rien à expliquer. Mario avait tout dit. Il m’avait donné à boire et à manger, on était en train de devenir des amis. C’était aussi simple que ça ! Maman n’était pas du tout de cet avis. Elle était très agitée. Le soir même, la porte de ma chambre entrouverte, j’ai connu le fond de sa pensée :
- Tu crois qu’on devrait faire quelque chose ?
- A part lui interdire d’y retourner… Non, je vois pas.
- Mais tu as dit que ce Mario était un peu efféminé, c’est inquiétant, non ?
- Ecoute, n’exagérons rien ! C’est un artiste, il est grand, les mains fines, un peu androgyne peut-être, mais assez beau garçon dans l’ensemble. Il m’a paru… franc… direct.
- Ça ne fait rien, je suis inquiète, avec tout ce qu’on entend, toutes ces histoires de pédophiles.
J’avais du regarder androgyne dans le dictionnaire pour être sûr. Le reste, j’avais bien compris. Ça c’est l’avantage d’être un fort en thème, on comprend tout très vite… du moins en théorie. Je suis retourné chez Mario en douce. Papa-maman avaient réussi à créer le malaise. J’aurais aimé en parler à Mario mais c’était trop difficile. En même temps, je ne le voyais plus de la même manière. C’était dommage, mais c’était aussi un peu plus intéressant. Quand j’y repense, allongé dans ce lit, cette ambiguïté entièrement due à papa-maman, ça me rend encore tout bizarre, une sorte de regret peut-être, sans doute…
Comme l’oncle Lucien, Mario me posait des questions sur ce que j’aimais, sur ce je voulais faire dans la vie. On buvait du thé chinois en sachet, un thé au délicieux goût de fumée. Pendant qu’on laissait infuser, on avait une vraie conversation d’adulte à adulte. Il s’intéressait sincèrement à mon avis. Il ne se contentait pas de réponses toutes faites. Il voulait savoir ce qu’il y avait derrière les questions… Bien sûr je parlais des ambitions de papa-maman. Il ne critiquait pas. Mais il disait toujours avec ce léger accent italien, « oublie ce qu’ils pensent eux, dis-moi ce que tou en penses toi. Ta vie, tou sais, elle est à toi, à personne d’autre. » Cela n’a duré que quelques mois. Quelques sachets de thé chinois. Finalement, c’est mon père qui y avait mis bon ordre. Pourtant… Mario et Lucien… dans ma vie, ils ont compté. Plus peut-être que papa-maman.
Comment mon père s’y est-il pris ? Exactement, je ne sais pas. Son bras, qu’il disait long… Sans doute… Ma jeunesse, l’attirance de Mario pour les hommes… Un beau jour Mario m’a demandé de ne plus venir à l’atelier. J’ai obtempéré facilement. Trop facilement… Dommage ! Il me disait que, là-bas, dans sa petite ville des Pouilles il n’aurait pas pu continuer à vivre. Etre artiste passe encore mais homo, pas question. Et lui, il était homosexuel et il voulait être un artiste, alors… Alors pour vivre sa vie sans faire chaque jour de la peine à sa mère, il avait pensé que la France… que Paris… Ici il était heureux, autant qu’on peut l’être, quand on pense un peu sa vie. Après Lulu et ses truites, c’est Mario et ses sculptures tarabiscotées que je veux faire revivre dans ma tête. Aujourd’hui, c’est tout ce qu’il me reste…
Surtout oublier ces années hi-tech. Oublier les machines, les programmes, les procédures, les méthodes, les projets, la gestion de projet, la gestion tout court… Oublier tous les requins et leurs gadgets débiles. Leur marketing, leur fric, leurs profits, leur retour sur investissement, leur compétitivité… Et tous ces mots nouveaux qu’ils inventent chaque saison, pour donner l’illusion du mouvement. Des devises vides de sens. Le dernier c’était comment déjà ? … Ah oui « create a single source of the truth. » Créer une seule source de vérité. Trop drôle ! N’allez pas croire que c’est religieux : biblique, coranique, bouddhique… Non, c’est rien du tout, c’est informatique. Ça veux dire mettez vos données dans un seul fichier géant, mettez chacune à un seul exemplaire, sans redondance. Faites de ce fichier une-seule-source-de-vérité pour votre entreprise. Une phrase pompeuse, bâtie sur une idée simple, simpliste même. Un bel exemple de vide. La devise du mois prochain, de la semaine prochaine, ce sera pire… c’est sûr. Je déteste que l’on galvaude les mots de cette manière.
Attention alerte ! On se calme… Je rappelle : ma résolution de la semaine « stop à la haine et à la détestation généralisée. » La haine, ça aigrit, ça ne sert à rien… Dans mon état, mieux vaut travailler la patience… la sérénité. C’est curieux comme je m’en rends bien compte aujourd’hui. Hier je crachais sans cesse mon venin contre toute cette technologie. Une réaction épidermique… c’est évident. Je suais des pensées technophobes. J’étais comme un séminariste défroqué, j’avais besoin de bouffer du curé et de déglutir le dogme. Chaque jour, pendant deux ans, j’ai vomi mes tripes sur ce monde technobizz… C’était plus fort que moi.
Après des années de conditionnement, j’avais besoin d’air frais. Alors j’ai tout viré. Tout !... Le moindre bidule, à moteur et sans moteur. Les ordinateurs : vendus. L’électroménager, aspirateur, moulinettes, tout le bazar : liquidés. La télé, à la casse. Le magnétoscope, itou. Le VTT à suspension semi-rigide et transmission ultra souple : soldé. Le mi-course ultra léger : donné sans regret au fils de mon voisin. La tondeuse autoportée, vitesses et marche arrière : remplacées par une grande ânesse du Poitou. Même la BMW, changée contre un scooter. Faut quand même pouvoir bouger un peu, parce que dans la Creuse y’a pas de métro. J’ai gardé aussi la radio, sauvée par le gong, grâce à une émission de Michel Mermet sur la société à deux vitesses. Au fait, l’ânesse je l’ai prénommé Brigitte, elle est adorable. Je pense à elle chaque jour. J’espère que le père Valentin s’en occupe bien.
D’accord cet extrémisme était stupide, mais je n’en pouvais plus. Cinq ans chez TKN, Total Knowledge Network, l’ordinateur pour tous. Salaire de ministre pour un bourrage de crâne maison. Une année à Munich. Deux ans à Huston. L’avantage, c’est qu’aujourd’hui je parle assez bien plusieurs langues. Je pratique à merveille le computer-speak en cinq ou six langues. Eux aussi, TKN, comme les profs, comme papa-maman, ils ont cru que j’avais le profil d’un leader. A Huston, ils ont bien vite réalisé que je ne deviendrais pas un executive, que je ne ferais jamais parti de la caste étroite des dirigeants de multinationales… Trop rêveur… pas assez de poigne… Enfin, j’imagine que c’était ça leur idée à mon sujet… Ils ne m’en ont évidement rien dit. Mais les résultats des formations intensives le laissaient bien deviner… Mon plan de carrière commençait à battre de l’aile. Il fallait me rendre à l’évidence, mon arrivée dans l’élite n’était plus au programme... Ils allaient donc me laisser tomber comme une vieille chaussette… une question de mois. De retour à Paris, j’ai encore végété deux ans dans des postes de management avant de me décider pour la start-up.
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28/12/2005
Oeil serein -1-
Oui, j’ai cru que j’avais un but, monsieur Brul… et je n’avais rien… J’avançais dans un couloir sans commencement, sans fin, à la remorque d’imbéciles, précédant d’autres imbéciles. On roule la vie dans des peaux d’ânes. Comme on met dans des cachets les poudres amères, pour vous les faire avaler sans peine… mais voyez-vous, monsieur Brul, je sais maintenant que j’aurais aimé le goût de la vie.
Boris Vian – L’herbe rouge
D’un œil serein et contemplatif.
Moi qui me croyais si malin, et même d’une intelligence supérieure, j’ai mis des années pour m’apercevoir que je n’étais pas celui que je croyais être. Ça rend modeste. Et la modestie dans ma position actuelle c’est bien utile, indispensable même. Ce parcours de débile, c’est à mon caractère faible que je le dois… Et pourtant… vers quinze ou seize ans, je pensais bien être un leader, un vrai chef. Maintenant que j’ai tout mon temps pour y penser, je me rends compte que mes copains, ceux qui me suivaient, à l’époque, s’accrochaient à moi comme les gamins escortent le clown Paillasse, celui qui annonce le spectacle du soir en zigzaguant dans la rue. « Qu’est-ce qu’il est drôle avec son nez rouge et ses grandes godasses, t’as vu, il distribue des billets gratuits ! » Un vrai chef, c’est autre chose, il y faut du caractère… du charisme comme ils disent chez TKN.
Moi un leader ? Tu parles ! Pourtant, même papa-maman se sont pris au jeu. Pensez, un fils prodige ! Un fils qui, à quinze ans, manipule les ordinateurs comme Radiguet touillait ses petites histoires d’amour égocentriques ! Ils avaient de quoi être fiers. Pas manchot à l’école, deux ans d’avance, bon en tout, l’oreille musicienne, sportif, rapide, champion départemental sur soixante mètres à treize ans. Pas vraiment sports collectifs, pas super adroit au foot, un peu trop perso. « Non, il a pas l’esprit d’équipe le petit Frédéric Dubé. » On ne peut pas tout avoir. Muni de toutes ces qualités, je me suis retrouvé vite fait à l’X, la prestigieuse école polytechnique qui forme nos élites. Elève brillant, toujours brillant, douzième de sa promotion. Ça vous pose un homme.
Pendant les classes de prépa, j’ai douté un peu. Faut pas me prendre pour un chien savant, il y a des limites. Il y a eu un ou deux grains de sables dans cette montée en puissance. Tant mieux ! L’oncle Lucien, par exemple, le frère de maman. L’original de la tribu, célibataire, blagueur, pas très sociable. Un excentrique comme il en faut dans toutes les bonnes familles. Le grand truc de Lulu, c’est la pêche. Toutes les formes de pêches. Il possède la plus belle bibliothèque sur les poissons et les manières de les attraper qu’on puisse imaginer. Pas collectionneur, non, il les prête volontiers, les disperse dans un souci d’élargir la culture halieutique de son petit monde d’amis. Halieutique, un adjectif spécial pour Lulu, c’est lui qui me l’a appris, je devais avoir neuf ou dix ans, ça veut dire « qui concerne la pêche ». Pour moi c’est « qui concerne l’oncle Lucien ». La pêche pour Lulu, ça lui tient de tout, de loisir, de colonne vertébrale, de fil à plombs, de métaphysique. Je l’aime bien mon oncle halieutique.
Même aujourd’hui, dans cette position pas facile, le simple fait de penser à Lulu et aux plombs bien serrés sur nos bas de ligne, ça me remonte le moral. Quand Lucien m’emmenait taquiner la truite au Rhône, Maman n’aimait pas ça. Pour moi c’était le bonheur. Voilà où se trouvait le grain de sable… De retour de la pêche, je n’avais plus envie de rien. Je vouais mes profs et toutes leurs salades aux gémonies. Papa-maman étaient inquiets. Ça me durait quelques jours, puis c’était le retour au calme. Un garçon obéissant, comme avant.
Maman ne pouvait pas comprendre que l’on puisse passer tout son temps à attendre qu’un fil bouge, alors que la vie peut être si riche d’activités. La mienne de vie, à l’époque, riche et active, elle l’était bougrement. On profitait de mes facilités à l’école pour me bourrer de musique, de théâtre, de tous les sports… La musique, c’était parce que papa avait la nostalgie de ses années de violon. Le théâtre, parce que maman avait une vocation rentrée de comédienne. Les sports, c’était la totale. Je les ai tous essayés : du foot, du basket, du hand, du judo, de l'escrime, l’inévitable tennis, la course à pied, le ski de descente, le ski de fond, la natation, même du base-ball… Et j’en passe. J’ai compté, de six à quinze ans, ça fait vingt-deux en tout. Ah oui, avec papa, je faisais du ski de randonnée, un peu de golf et Dieu sait quoi… Pas un qui ne me convienne. Ils auraient dû y voir un signe. J’aurais dû avoir la puce à l’oreille.
Finalement, y’a que les ordinateurs qui ne m’ont pas lâché. Ils sont restés fidèles au poste. Papa est un vrai convaincu du progrès, alors il ne lésinait pas : 33 mégahertzs, puis 66, 100, 133, 166, 300 et ainsi de suite… Les disques idem : mégas, gigas… rien de trop beau pour un fils unique promis à un si bel avenir. On suivait la loi de Moore. C’est simple comme loi : la puissance des ordinateurs double toutes les années et demie. C’est comme les grains de riz sur l’échiquier, en 3 ans : 4 fois plus vite, 6 ans : 16 fois plus haut, 9 ans : 64 fois plus fort. Entre treize et vingt-quatre, ça doit donner du 120 fois plus costaud, plus rapide, plus performant… Deux minutes concentrées en une seule seconde. Pas mal ! Non ? Contrairement à ce qu’on croit c’est plutôt facile à maîtriser ces engins. En cas de vrai problème, il y a toujours le Alt/Ctrl/Del. C’est l’interrupteur spécial Microsoft, on efface tout et on recommence… Aujourd’hui… dans cette position désagréable… à trente-trois ans… rien que d’y penser, ça me donne la nausée.
Je préfère revenir sur Lucien. Avec lui, je pense aux bords du Rhône, aux sangliers, aux hérons cendrés, mon souffle s’apaise. Alors que ces machines… quelle horreur ! Oui, je veux revoir Lucien. C’est le seul qui a compris ma vraie nature contemplative. J’aurais dû mieux écouter sa petite musique… Peut-être que j’aurais évité TKN… pas rencontré ces clowns de la startuferie. Je veux revoir l’oncle Lucien, il me parlera de truites énormes, des heures d’attente à rêver au fil de l’eau, de cette seconde de ferrage si décisive, de cette bière tant méritée… Oui c’est de lui dont j’ai besoin. Maman saura le convaincre de venir ici. Besoin de lui et aussi de Mario, l’italien fou, le bel artiste plus sidérrraaaaal que le grand Dali lui-même.
- à suivre -
18:57 Publié dans Textes | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : Ecriture |
16/12/2005
Python
Emil Ajar - Début de Gros Calin.
Je vais entrer ici dans le vif du sujet, sans, autre forme de procès. L'Assistant, au Jardin d'Acclimatation, qui s'intéresse aux pythons, m'avait dit :
- Je vous encourage fermement à continuer, Cousin. Mettez tout cela par écrit, sans rien cacher, car rien n'est plus émouvant que l'expérience vécue et l'observation directe. Evitez surtout toute littérature, car le sujet en vaut la peine.
Il convient également de rappeler qu'une grande partie de l'Afrique est francophone et que les travaux illustres des savants ont montré que les pythons sont venus de là. Je dois donc m'excuser de certaines mutilations, mal-emplois, sauts de carpe, entorses, refus d'obéissance, arabismes, strabismes et immigrations sauvages du langage, syntaxe et vocabulaire. Il se pose là une question d'espoir, d'autre chose et d'ailleurs, à des cris défiant toute concurrence. Il me serait très pénible si on me demandait avec sommation d'employer des mots et des formes qui ont déjà beaucoup couru, dans le sens courant, sans trouver de sortie. Le problème des pythons, surtout dans l'agglomérat du grand Paris, exige un renouveau très important dans les rapports, et je tiens donc à donner au langage employé dans le présent traitement une certaine indépendance et une chance de se composer autrement que chez les usagés. L’espoir exige que le vocabulaire ne soit pas condamné au définitif pour cause d’échec.
09:35 Publié dans Textes | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : Littérature |