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30/12/2005

Oeil serein -3-

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...De retour à Paris, j’ai encore végété deux ans dans des postes de management avant de me décider pour la start-up.
 
A bientôt trente ans, j’ai dû convaincre maman, elle qui n’a jamais tapé sur un clavier, que pour ma carrière, je devais quitter TKN. Une multinationale, un emploi si sûr, si bien rémunéré. L’argument décisif, pour elle, ce fût quand, à tout hasard, je lui ai dit que j’allais faire du Java. Incroyable, elle savait ce que c’était que Java ! Elle me dit « C’est le langage de programmation du Web. » J’étais sur le cul ! Elle avait lu un article dans un magazine chez son coiffeur. Dans l’article, ils disaient que Java était le langage de l’avenir, une sorte de nouvel espéranto que parleraient les dieux de l’Internet. C’était pas si faux, l’espéranto du Web. J’ajouterais : une langue de plus pour éviter de se faire comprendre des mortels.
 
Une start-up, c’est une boite toute neuve dans le domaine de la haute technologie. En principe une start-up démarre de rien, grimpe à toute vitesse, sans jamais faire de profit, et elle se revend quelques années plus tard en faisant la fortune de ses fondateurs, très accessoirement en enrichissant quelques uns de ses employés. Ceux-ci sont souvent payés la moitié du prix du marché. C’était mon cas, j’avais divisé mon salaire par deux et plus. Ça laissait encore de quoi payer le taxi. L’astuce réside dans le fait que ses employés deviennent des partenaires par le biais de stock-options. Ce sont des actions gratuites qui, en théorie, se valorisent en même temps que la start-up… C’est un pur baise-couillons !
 
Deux clans dans ma start-up : les trois fondateurs, 22, 23, 24, comme on les appelait en référence à leur âge, et les employés, nous autres, les laborieux, les indiens. Bourrés de stock-options, bourrés en proportion des mois passés dans l’entreprise. Une ambiance de chiottes soigneusement entretenue par nos trois nombres fondateurs et arrogants. Tous trois soucieux de créer un sain climat d’émulation. Sain, mon œil ! Vu mon grand âge, ils avaient prévu de me confier des responsabilités. Quand j’ai vu le chantier que c’était, j’ai botté en touche. Ils m’ont mis sur les projets les plus ingrats. C’est pas ce que j’ai fait de pire comme travail. C’était une start-up spécialisée en applications d’informatique médicale. Elle s’appelait E-Medic. Entre nous, les indiens, on l’appelait I-Merdique ou encore « la startufe company. » Au choix !
 
Restons positif. Dans mon état, vaut mieux ne pas trop faire monter l’adrénaline… En un sens cet attrape-nigaud m’a été salutaire puisqu’il m’a confirmé, en un temps record, à quel point la technologie et son mode de vie me déplaisait. Une grosse année pour faire une overdose. Par chance je n’avais embarqué personne dans l’aventure. Pas d’enfants, plus de compagne. Barbara m’avait largué deux ans plus tôt, pour un collègue de TKN rencontré dans un pince-fesse. Ces soirées TKN, qui mêle adroitement la blablaterie sociale et le bizeness. Attention ! Si je veux vraiment rester positif et serein… être bien dans ma tête et tout… il vaudrait mieux que je laisse Barbara à Sophia Antipolis, dans sa villa de luxe… Il serait plus sain, par exemple, de rediriger mes pensées vers mon havre de paix : ma maison près du ruisseau… mon ruisseau à truites… dans la Creuse.
 
Le coup de foudre pour la Creuse, je l’ai eu quand j’étais chez TKN. De retour de Huston, je voulais un coin perdu, loin de tout. La Creuse, c’est le coin le plus paumé qui se puisse trouver dans un rayon raisonnable de Paris. Avec mes économies américaines, j’ai acheté « La Casa ». Un joli petit palais du facteur Cheval. Une ferme creusoise retapée par un italien nostalgique de la Toscane. Murs crépis de blanc, escaliers extérieurs et intérieurs bordés de magnifiques rampes hélicoïdales en plâtre moulé, une maison toute en rondeurs. J’ai eu le coup de foudre. Papa m’a dit « Quelle idée ! Acheter une maison si loin de tout ! Tu n’as quand même pas l’intention de prendre ta retraite ? A ton âge ! » Il ne croyait pas si bien dire, papa. J’ai pris ma retraite le jour de mes trente-deux ans. C’est ce que j’ai fait de mieux dans ma vie.
 
Dans la Creuse, il n’y a pas de métro… Il y a des cinglés et des alcolos qui roulent comme des malades sur les petites routes de campagne. Dommage ! Parce que depuis un an, cinq mois et dix jours, la Creuse, c’était, pour moi, la découverte du bonheur. J’y cultivais ma nature foncièrement contemplative dans un décor bucolique. Méditation… Paix intérieure… Bien avant l’installation, quand j’étais encore chez TKN, on était venu y passer de longs week-ends, avec Barbara. Elle détestait… Vivre là-bas à l’année longue, elle serait devenue folle. 
 
Une seule salle de cinéma, à quinze kilomètres, qui a tendance à retarder un peu sa programmation. Un retard volontaire. Un retard militant. Pas de FNAC, pas d’hyper-super-géant-marché, pas de salle de concert, pas de bowling, pas de patinoire, pas de parc d’attraction… rien qu’un bistrot ringard qui sert une bière peu connue en plus de la Kro habituelle.  Un petit marché, le vendredi, pas très reluisant. On y vend des fruits et des légumes produits par des soixante-huitards résistants et pas aigris. Produits de la terre, dont on peut penser qu’ils poussent sans  excès de poudres et d’aspersions. Il y a aussi des petits fromages de chèvres, les chèvres d’Antoine et de Catherine. Les chevrotins d’Antoine, le délice !
 
La Creuse, ma cure de désintoxication. J’y vis sur mes économies. Avec un train de vie aussi modeste, je dois pouvoir tenir des années. J’ai trouvé un petit boulot : correspondant de deux journaux locaux. Ça marche bien, je rencontre des gens. A la rédaction ils aiment bien mes petits articles. J’ai eu le malheur de leur parler un peu de mon passé, alors ils voudraient bien que j’écrive sur la technologie. Ils sont sur Internet, comme tout le monde… Alors, forcément, ça les titille de faire comme les autres, d’initier la campagne profonde aux nouveautés du réseau des réseaux. Moi, je ferais bien un billet d’humeur sur la technologie, mais je ne suis pas sûr qu’ils apprécieraient mon style et mes intentions. A la rigueur ça pourrait plaire dans un journal national. Quand je sortirais d’ici… faut voir…
 
Ça ne va pas être pour tout de suite ! Pour l’instant les seules choses qui s’agitent encore chez moi, ce sont ma tête et mon oeil. C’est là que je brasse ces élucubrations et travaille ma sérénité. En un sens je ne peux pas trop me plaindre. Les premiers jours, j’étais un peu dans le coltard, puis les douleurs se sont réveillées. Ah la vache ! Maintenant, ça va de mieux en mieux… Ils me dosent la morphine au quart de poil… juste comme il faut… La douleur qui reste, c’est tout par moment. J’essaye d’être encore plus zen. La tête va bien mais le reste, les bras, les jambes, les côtes, le bassin… Faut pas secouer ! Le chirurgien me dit : « Ça va se retaper doucement… très doucement. Faudra être patient ! Dans une semaine ou deux vous allez déjà récupérer le deuxième œil… »

21:15 Publié dans Textes | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : Ecriture |

Commentaires

Il a été renversé par un chauffard ?

Écrit par : Th. | 30/12/2005

C'est ça, un chauffard alcolo. Suite et fin demain.

Écrit par : Joël | 30/12/2005

Meilleurs voeux pour 2006 :-)

Écrit par : Helder | 31/12/2005

HISTOIRE TROUBLANTE ...

Écrit par : PANZER | 08/01/2006

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