03/08/2005
Internet Romance -10-
Au Trianon, les confidences allaient bon train : Nicolas aimait les chats. D’ailleurs, son grand frère, dont il ne parlait jamais, l’avait un jour comparé à un chat. L’image semblait juste : un animal câlin qui, acculé, sort ses griffes, L’enfant couvé était devenu un adolescent dont le cœur battait la chamade. Pas pour une fille, sur ce front c’était le désert. Son cœur s’emballait tout seul. Une tachycardie incontrôlable, qui se déclenchait sans prévenir. Un pouls à cent quarante et plus, pendant des heures. Puis, parfois, capricieux, sans plus de raisons que celles qui l’avaient fait s’emballer, son cœur cessait sa chamade. Retour à soixante pulsations. S’il ne s’arrêtait pas, il fallait recourir aux électrochocs… stopper la chevauchée. Violent!
Sa mère le traînait de médecins en spécialistes. C’était toujours le même diagnostic : opération. Au mieux : attendre la fin de la croissance. Jouer du clavecin au calme, puis… opération. Celle-ci avait finalement eu lieu dans l’urgence, à cœur ouvert. Longue convalescence, solitude, cicatrices dont les moindres étaient les deux longues marques sur son thorax. Résultats encourageants mais sans garantie décennale.
Sa fierté, son bac à seize ans et demi, sa mention très bien, jugée un peu en dessous de ses ambitions. Le félin méfiant allait devenir un étudiant fier. L’université à Nantes, licence, maîtrise, doctorat, la période d’insouciance, une voie toute tracée : mathématique et physique. Physicien doué, il cultivait déjà cette image de professeur Nimbus, perdu dans les étoiles, absorbé par ses équations. Ce n’est pas ce qui aidait à conquérir le cœur des filles, sujet sur lequel il ne venait pas facilement, sauf à rester vague, allusif, l’œil coquin…
C’est pourtant à la poursuite de Mireille, qu’il s’était retrouvé au CERN, le Centre Européen de Recherche Nucléaire à Genève. Je tiens cette histoire de son meilleur ami, Thierry, qui la connaissait bien vu que c’est lui qui était l’heureux époux de la belle Mireille. Quand Mireille a connu Thierry, Nicolas était dans la région de Genève depuis trois mois. Il ne s’était toujours rien passé entre le poursuivant et la poursuivie. Nicolas était content quand même, il travaillait dans le temple de la physique, au cœur des recherches les plus énergiques sur la matière, près de Mireille.
Pour sa belle, il jouait les chevaliers servants, il vivait en plein roman courtois et brisait des lances sur des particules élémentaires en espérant conquérir Dulcinée. Thierry avait été bien plus expéditif, décidé et sans excès de romantisme, une approche vingtième siècle, directe. La carte du Tendre parcourue en deux ou trois soirées chaudes des fêtes de Genève. Nicolas s’était fait griller la politesse. Il n’en gardait aucune rancune à son ami. Mireille, l’œil attendri sur son ex-soupirant, jouait les entremetteuses avec frénésie. Toutes ses copines célibataires y passaient. Nicolas mettait beaucoup d’énergie à les conquérir, beaucoup trop. Il en faisait des tonnes, devenait collant, elles se débarrassaient de lui. Il se consolait dans l’alcool, le travail, la musique. Il s’installait dans un train-train de vieux garçon sans perdre espoir. Il trouverait l’âme sœur. Non, il trouverait le grand amour !
Au CERN, Nicolas attendait un contrat permanent. Ses chances étaient excellentes. Échaudé une première année, on lui avait promis, juré-craché, que c’était pour l’an prochain. Il n’avait pas supporté qu’on lui fasse le coup deux ans de suite. Il s’était senti blessé dans sa fierté de scientifique. Sans réfléchir, il avait donné son congé pour suivre Thierry à Grenoble chez TKN, il était entré au département Management Science, études en tous genres…
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Sexe, nains de jardin
GREELEY, Colorado (AP) -- La police trouve 80 nains de jardin dans des sacs plastiques parmi un groupe d'enfants. Le sergent Dave Adams ne pense pas que les enfants soient impliqués. Le mystère s'épaissit. Elsie Schnorr, à qui on a volé 30 figurines assure qu’elle pourra reconnaître les siens.
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01/08/2005
Internet Romance -9-
Cet étalage impudique de Nicolas dans French était étonnant. En général, il se livrait peu. Il fallait un temps infini pour qu’il s’apprivoise. Avec moi, cela a mis des mois pour qu’il ne se sente en confiance avant la déferlante des confidences. S’il se faisait une si haute opinion de lui-même, c’était à cause de son enfance. Il avait été un enfant maladif, le petit dernier de la couvée. Le petit canard que papa, maman avaient chouchouté. Quand ils avaient dû le mettre en pension, ce fut un déchirement. « Tu peux critiquer les curés, mais c’est chez les frères des écoles chrétiennes, que j’ai pris goût aux sciences, à l'abstraction, à la musique et à tout ce que j’aime ! » A la récré, sa petite santé le forçait à rester à l’intérieur où il jouait du clavecin. C'est ainsi que lui était venu ce culte pour Jean-Sébastien Bach. À l’âge où l'on se compare pour s'évaluer, Nicolas s'activait déjà à se différencier.
Ses petits copains d’école le traitaient de lèche-cul, de polar, d'avorton, de grosse tête et bien pire encore. Faute de pouvoir recourir à la force de ses poings, il apprenait le mépris, la force de la solitude. Il encaissait. Il bêchait son petit jardin. Il est devenu un enfant secret, un adolescent peu sociable. Les adultes l’aimaient beaucoup. Il était très bon élève : bon en français, bon en math, musicien… toujours cité en exemple. Il me racontait qu’il était à l'écoute des conversations, qu’il voulait percer les secrets des grandes personnes. Je n’avais aucune peine à l’imaginer, discret, l’air de rien mais tout ouïe. C’est comme ça qu’il avait acquis un vocabulaire si riche, le sens de la narration. Ceci lui valait de bonnes notes. Notes qui faisaient enrager ses petits camarades, rage qui le poussait dans ses retranchements où il travaillait de plus belle. La boucle était bouclée !
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Pied
Kansas (AP) –Sam, 10 ans, voit le pied d'Ezekiel Rubottom dans un seau de formol sous l’escalier. La police confisque le pied. Ezekiel, chanteur hip-hop, né avec un pied bot amputé trois semaines auparavant, explique que même si son pied était malade, il y est très attaché. La police rend le pied.
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31/07/2005
Internet Romance -8-
J’aurais dû me taire. « La plus belle fille de Sydney » avait mis le feu aux poudres. Dans les semaines qui ont suivi, French est devenue le forum exclusif de Nicolas et de Mary-Ann. Nicolas a démarré la discussion intitulée « En avant la musique » qui commençait par : « La musique est un langage plus universel que toute science ou toute philosophie, disait Beethoven… » Ensuite, il invitait musiciens et mélomanes de l’univers à partager ce langage avec lui. Il expliquait sa passion pour les beaux sons, son goût pour les auteurs classiques, ses amis Wolfgang Amadeus, Jean-Sébastien et Ludwig von. Il parlait de son incompréhension de certaines œuvres du vingtième siècle, de son aversion presque générale pour la plupart des contemporains cacophoniques et abscons. C’était un long texte de sept ou huit écrans, trois pages imprimées, écrit avec passion au risque de lasser le lecteur.
La sauce avait pris. Les french-noteurs mélomanes s'étaient mis à leur clavier. Certains concis, trop occupés pour l’instant, disaient-ils, promettant de donner un avis plus tard. Certains prolixes avec moult détails sur leur apprentissage, leur pratique de la musique. Chaque jour voyait sa moisson de notes. Nicolas s’en délectait. Il répondait à tous en termes lyriques, en envolées verbeuses. On lisait des avis contradictoires, des modernes, des jazzy, des contrepoints plus rock n’roll. Une belle gamme d’instrumentistes : pianistes, violoncellistes, joueurs de trompette, choristes. Un orchestre. Nicolas était aux anges. Il avait donné le LA et Mary-Ann s’était mise à chanter. Voici un exemple copié-collé de l’échange de nos deux pinsons :
From: maryann.nelson
Sydney 12-Feb-1992
J'ai joué toute la nuit sur mon vieux piano. C'est le dernière fois. J'avais réellement besoin d'un neuf. Cependant, j'aimera celui-ci pour toujours; il était le témoin de mon enfance et commencement de ma passion plus grande. J'espererai bien que mes parents accepterons de le garder car je ne peux pas penser un seul minute de le vendre...
From: YSATIS::nicolas.larue
Grenoble 12-Fev-1992
(…) ton vieux piano. Je comprends bien cette sensation. J’ai moi aussi dû me séparer de mon vieil orgue électronique ; celui sur lequel je me suis perfectionné pendant tant années avant d’oser jouer à l’église, le dimanche. J’aimerais que tu nous en dises plus. Qu’as-tu joué toute la nuit ? Toujours du Bach ? L'andante KV 457 de Mozart ou bien encore ton cher, notre cher Beethoven ? Dis-nous tout, nous voulons tout savoir !
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Ce « dis-nous tout, nous voulons tout savoir ! », j'en ris encore. Ce fonctionnement exhibitionniste de couple virtuel nous amusait… L’exhibition allait durer plusieurs mois pour la franche rigolade de certains, l’énervement de quelques autres, l’amusement ému de beaucoup. Enervés, ceux qui suggéraient, dans l’oreille d’un sourd : « Nico, un peu de discrétion, s’il te plait ! » Pour moi, cela mettait de l’animation dans mon équipe de divas et c’était bien. La plupart bossaient dur dans leur coin. Même devant une bière, on ne sortait guère des conversations de boulot. C'est pourquoi je trouvais que l’idylle entre Nicolas Mary-Ann était un bon dérivatif. Plus tard, l’histoire d’amour prendrait des proportions telles qu’elle finirait par perturber le travail de toute l’équipe. Je ne saurais plus comment éteindre le feu.
20:45 Publié dans Internet Romance | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : Ecriture |
Internet Romance -R1-
Résumé des chapitres précédents
Le narrateur et son héros Nicolas travaillent ensemble à Grenoble, chez TKN, la multinationale du savoir et des ordinateurs. Le narrateur dirige une équipe ingérable de divas, plutôt mauvaises langues. Il améne Nicolas à bloguer (noter) sur French, un forum interne à l’entreprise. Sur ce même forum se retrouvent des noteurs francophones employés de GKN dans plusieurs pays dont la belle Mary-Ann, l’australienne.
Nicolas est un grand voyageur, il part à Boston rencontrer une noteuse qui joue la mélodie du bonheur et qu’il ne trouve sans doute pas à son goût, il va même en Australie mais ne réussi pas à rencontrer Mary-Ann.
Car cette histoire est l’histoire de Nicolas, quarante ans, qui après deux ou trois bières, confie que, s’il ne trouve pas l’âme sœur très prochainement sa vie sera ratée, et celle de Mary-Ann, une petite fille de trente ans qui vit à Sydney qui trouve sa vie bien triste, qui veut un enfant, des enfants. Ces deux vies que Mary-Ann et Nicolas croient avoir bientôt ratées, c’est tout Internet Romance.
Comme il n’est pas question de tuer le suspens tout de suite, on ne dira pas si Mary-Ann est vraiment la plus belle fille de Sydney comme le prétendent John et Peter, les deux managers égrillards de TKN rencontrés à Boston devant une Samuel Adams ou si elle n’est qu’un leurre qui va s’évanouir entre les doigts du pauvre Nicolas comme le craint Maryne. Bien entendu, pas question non plus de dire si cette histoire finit mal comme le subodore Dilletante. Bon, on sait que les histoires d’amours finissent mal, les histoires d’amours finissent mal, les histoires d’amours finissent mal, les histoires d’amours finissent mal… en général… Mais, dans notre cas... il faut voir…
Mon espoir, c’est qu’à Port Leucate et ailleurs dans le monde on continue de se passionner pour l’avenir de cette rencontre.
07:25 Publié dans Internet Romance | Lien permanent | Commentaires (1) |
29/07/2005
Internet Romance -7-
En partant en Australie, en janvier, Nicolas voulait absolument rencontrer Mary-Ann. Pendant ce temps, de mon côté, j’avais dû me rendre à Boston pour une de ces grandes assemblées managériales de TKN. Une grand-messe, comme disait Nicolas. Grand-messe pendant laquelle, on refaisait l’entreprise à coups de décisions essentielles que l’on tiendrait quelques semaines. Il y avait des participants du monde entier. Du moins, du monde qui a les moyens de s’acheter les services d’ordinateurs et de consultants hors de prix.
Il y avait là mes homologues Australiens et comme les choses sont bien faites, nous étions descendus dans le même hôtel : le Westford Regency. La bière y est excellente. On y boit de la Samuel Adams. Mes nouveaux amis australiens, Peter et John, aiment la Samuel Adams autant que moi. A la troisième bière, j’en suis venu à parler de French et de Mary-Ann. La seule personne que je connaissais en Australie, du moins chez TKN. Sans hésiter, avec un grand sourire, ils m’affirmèrent que Mary-Ann était « la plus belle fille de Sydney. » Ils semblaient tout savoir d’elle. Mes deux gentlemen étaient soudain devenus égrillards, une petite lumière s’était allumée au fond de leurs yeux, j’étais stupéfait et amusé. Pour Nico, ce serait une bonne nouvelle !
Le lendemain je voulais lui envoyer un courriel pour lui parler de Mary-Ann mais j’ai pensé qu’en vacances, il ne lirait sans doute pas son mail. J’oubliais donc la plus belle fille de Sydney et son futur chevalier jusqu’à son retour de vacances. C’est dans mon bureau, un double cube, qu’il m’a appris, tout catastrophé, qu’il n’avait pas rencontré Mary-Ann
- Une suite de contretemps incroyables… Une série noire… vraiment pas de bol ! J’ai pas pu faire autrement…
- Dommage ! Tu sais que je suis allé à Boston
- Ah oui, la grand messe annuelle.
- Dans le même hôtel que moi, il y avait deux gars de TKN Sydney : John et Peter. Et bien, figure-toi, que d’après eux, Mary-Ann est la plus belle fille de Sydney, du moins de TKN Sydney.
- Non. C’est pas vrai ?
Catastrophé. On aurait dit que je lui avais annoncé un décès dans la famille. C’était tout Nico, se faire un sang d’encre pour une fille qu’il ne connaissait qu’à travers un forum électronique. Il était amoureux. L’autosuggestion tient une grande place dans le sentiment amoureux.
19:17 Publié dans Internet Romance | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : Littérature |