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28/01/2008

Rencontre -4-

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Ma rencontre

avec

Alexandre Vialatte

-4- 

J’ai eu la chance de rencontrer Alexandre Vialatte. C’était pendant l’hiver 1969/1970 dans le train entre Clermont-Ferrand et Paris. Un train qu’il empruntait régulièrement pour relier sa chère Auvergne à la capitale.

(...)Il est étrange que le progrès de l'humanité aille au rebours du progrès des hommes. Que le type humain le plus beau soit celui d'avant le progrès. Le progrès se fait-il donc contre l'homme ? »

Je commençais à trouver l'homme bien trop conservateur et le temps bien trop long, ce tortillard n’avançait pas. Alexandre avait sorti un petit cahier et avait commencé à écrire d’une petite écriture très régulière et rapide. Peut-être notait-il des pensées sur le temps qui passe.

« Le temps perdu n'est jamais gaspillé ; les Auvergnats ne le souffriraient pas. J'y songe en lisant Thomas Mann. Quand il fut reçu docteur honoris causa de je ne sais plus quelle grande université allemande, il prononça un discours charmant où il expliquait qu'on l'honorait ainsi pour célébrer les résultats non point du temps qu'il avait employé à étudier dans les universités allemandes, mais de celui qu'il y avait perdu. Car c'était celui-là qui lui avait tout appris. Un grand professeur de Normale disaient à ses élèves : "Lisez, mais au hasard, lisez sans nul programme. C'est le seul moyen de féconder l'esprit." On ne peut savoir qu'après coup si le temps est perdu ou non. Sans le temps perdu, qu'est-ce qui existerait ? La pomme de Newton est fille du temps perdu. C'est le temps perdu qui invente, qui crée. Et il y a deux littératures : celle du temps perdu, qui a donné Don Quichotte, celle du temps utilisé, qui a donné Ponson du Terrail. Celle du temps perdu est la bonne. Le temps perdu se retrouve toujours cent ans après. » (1)

Il a levé la tête un instant de son cahier et m’a redemandé un précision sur ces fameux ordinateurs qui lui paraissait bien mystérieux et inutiles. Allaient-ils remplacer les règles de calcul ? Et même les tables de logarithmes ? Bravement, je l’assurais que oui et bien plus encore. Peut-être même qu’un jour il parleraient, lui dis-je sans sourciller. Il me regarda de son œil unique, visiblement sceptique. Il avait là-dessus des positions très affirmées :  

« On brise tout parce qu'on veut faire neuf. On a donc l'illusion de pouvoir tout remplacer. Mais ce n'est pas vrai pour cent raisons. Ne fût-ce que pour celle-ci, qu'avec de la vitesse on fait tout sauf de la lenteur. Et par exemple on perd son temps beaucoup plus vite. Avec de la lenteur on perd son temps lentement ; donc moins. Une civilisation qui se prive de la lenteur n'est pas dans le sens de la nature. On essaie d'y revenir par des voies détournées, on n'y arrive pas, on a perdu le génie du lent : pour prendre un exemple entre mille, la poubelle à pédale ne remplace pas le vélo. Je connais bien la question, ma belle-fille en a une. J'ai essayé, c'est très décevant. Même sur de très faibles distances. »(2)

Soudain, le train à ralenti puis s’est arrêté en rase campagne. Alexandre a continué d’écrire. Pour meubler la conversation, je lui ai demandé s’il prenait souvent le train. Il me répondit que c’était son principal moyen de transport et qu’il avait pas mal voyagé dans sa vie. Il aurait pu me sortir ce petit raccourci férroviaire qui dit tout Vialatte :

« Je suis allé de Paris à Nice par la Corrèze. Il n’y a personne. Sauf un cheval qui broute dans un pré entre Tulle et Brive-la-Gaillarde. Et une tortue géante entourée de plumes de paon au café de l’hôtel Central à Monterolles, à côté d’une scie de poisson-scie. Et à Vierzon, un monument qui s’appelle A la ville de Suez et dans lequel on vend des layettes. Le reste est beaucoup moins remarquable. » (3) 

(1)Chronique de la montagne 232 - 9 juillet 1957 p.531 Robert Laffont - Bouquins 2000

(2)Chronique de la montagne 567 - 14 anvier 1964 p230

(3)Chronique de la montagne 481 - 22 mai 1962 p.46

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06:00 Publié dans Vialatte | Lien permanent | Commentaires (4) |

26/01/2008

Rencontre -3-

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Ma rencontre

avec

Alexandre Vialatte

-3- 

J’ai eu la chance de rencontrer Alexandre Vialatte. C’était pendant l’hiver 1969/1970 dans le train entre Clermont-Ferrand et Paris. Un train qu’il empruntait régulièrement pour relier sa chère Auvergne à la capitale.
 

(...)Peut-être que derrière le jeune maoïste mal fringué il avait reconnu le futur  quinquagénaire  (...)

Mais Alexandre m’a regardé simplement l'air amusé et m’a questionné sur mes études. Surpris peut-être de découvrir que ce contestataire aux cheveux en bataille étudiait cette nouvelle technologie qu’on avait déjà baptisée informatique et qui vu d’aujourd’hui en était à ses balbutiements de cartes perforées et de mémoires ridicules... Visiblement très intéressé à comprendre ce que j’avais bien de la peine à expliquer, il me posait des questions subtiles. J’étais à l’époque convaincu de l’avenir incroyable de ces techniques, ce en quoi j’avais raison, j’étais aussi convaincu que tous ces progrès allaient amener le bonheur de l’humanité, ce en quoi j’avais tort.

Je ne savais pas qu’il avait écrit mille choses amusantes sur le progrès et qu’il en avait bien perçu les limites. Il disait : « Rien n’arrête le progrès. Il s’arrête tout seul » ou encore « Les progrès du progrès vont de progrès en progrès. » Il ironisait sur le rien et le presque rien dont le mystère ne serait jamais rongé par le progrès scalaire de nos connaissances comme l’avait écrit Jankélévitch dans son traité sur la métaphysique du « je ne sais quoi » et du « presque rien »

Comme je lui parlais de mon grand intérêt pour les mathématiques, il me posait des questions d’un air amusé. Dire que j’aurais pu lui parler de littérature. Dire que je lui montrais mon l’esprit de géométrie quand il aurait fallu que je l'écoute me parler de l’esprit de finesse. « La science explique le monde, elle répond aux questions. Elle veut savoir. La littérature veut s'étonner. Elle est à base d'éblouissement. Elle ne répond pas, elle questionne. Elle prend plaisir à ne pas comprendre, comme un enfant devant le prestidigitateur. Elle est en état de fascination. Le poète aime mieux être ébloui que renseigné. Ce qui la passionne, ce n'est pas le pourquoi, c'est le comment. Comment les choses se passent. Car on n'y comprend rien.  (…) Un instant d'attention et tout devient un mystère.(…) C'est la tâche de la littérature de rendre ce mystère des choses. Elle a pour rôle de faire le portrait de l'indicible. »  

A l’époque, je ne savais pas que j’allais me passionner à ce point pour la littérature. J’étais déjà un grand lecteur mais il ne me semblait pas possible d’écrire, mon orthographe était trop indigente, mon vocabulaire faible… et tout à l’avenant.

Et puis il faut dire que ce vieux monsieur vêtu sans ostentation mais à l’ancienne ne me paraissait guère digne d’intérêt. S’il n’avait fait mine de s’enquérir de ma petite personne, je l’aurais sans doute superbement ignoré. Tout à trac, Alexandre m’a demandé ce que je pensais de l’homme qui avait marché sur la lune. Je lui répondis que cela me paraissait fantastique et plein de promesse pour l’humanité. Pendant ce temps, il écrivait :

« Quoi qu'il en soit, l'homme ne paraît jamais plus beau que quand il emploie en même temps son coeur, son corps et son esprit dans quelque entreprise difficile. C'est pourquoi j'aime tant les marins, et pas tellement les cosmonautes : le cosmonaute est à peu près passif. Il est étrange que le progrès de l'humanité aille au rebours du progrès des hommes. Que le type humain le plus beau soit celui d'avant le progrès. Le progrès se fait-il donc contre l'homme ? »

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14:20 Publié dans Vialatte | Lien permanent | Commentaires (5) |

24/01/2008

Rencontre -2-

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Ma rencontre

avec

Alexandre Vialatte

-2- 

J’ai eu la chance de rencontrer Alexandre Vialatte. C’était pendant l’hiver 1969/1970 dans le train entre Clermont-Ferrand et Paris. Un train qu’il empruntait régulièrement pour relier sa chère Auvergne à la capitale.
 

(…)J’avais sorti de la poche de mon vieil anorak, le petit livre rouge des pensées de Mao Tsé Tung.

Intrigué, il me posa deux ou trois questions sur le livre faisant preuve d’une vraie curiosité. Il connaissait pourtant mieux que moi la pensée du grand timonier qui devait conduire la Chine au chaos en encourageant sa jeunesse la plus ignorante à dénoncer le pouvoir des intellectuels les plus érudits, à les contraindre à des autocritiques truquées pour finalement les envoyer cultiver la terre. Il avait écrit des chroniques sur Mao. Il aurait sans doute pu me réciter cette chanson populaire à Pékin en ce temps là : « Les poissons ne peuvent quitter l’eau, les cucurbitacées ne peuvent lâcher la plante grimpante, Le peuple ne peut abandonner le parti communiste, La pensée de Mao est un soleil qui ne se couche jamais. » Il aurait pu  ironiser sur ces chinois qui s’attachaient à Mao comme la citrouille à l’ampélopsis, ces chinois qui brandissaient le livre, le récitaient à l’arrêt d’autobus, qui se jetaient dans le Fleuve Jaune pour suivre Mao dans ses exploits natatoires, des chinois qui allaient jusqu’à gagner des médailles olympiques grâce à lui et à ce petit livre que je tentais en vain de décrypter.

Alexandre me regardait d’un air amusé qui s’expliquait peut-être par la préparation de sa 876 ième chronique de la Montagne, celle du 22 novembre 1970 dans laquelle il parle de l’effrayant témoignage dans les mémoires du petit empereur de Chine victimes de toutes les cruautés mentales. Élevé comme un dieu vivant dans une cour d’un autre age où il n’avait droit de faire aucun mouvement, paralytique en quelque sorte, la rééducation maoïste avait réussi au bout de nombreuses années de sévices à lui faire coller des boites en cartons. Cette chronique 876 qui raconte d’autres prisons culturelles de Mao toutes très horribles et qu’il termine par « Voilà pourtant ce dont rêve toute une jeunesse française » juste précédé de son célèbre « Et c’est ainsi qu’Allah est grand. » qui devait clore toutes ses chroniques montagnardes du 9 décembre 52 au 25 avril 71.

Peut-être que, derrière le jeune maoïste mal fringué, il avait reconnu le futur  quinquagénaire chauve et bedonnant, le père de famille soucieux de transmettre des vraies valeurs, voir le grand-père en puissance, ou l’informaticien rangé et fou de littérature qui un jour voudra à tout prix encombrer les rayons des librairies de ses œuvres.  

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05:45 Publié dans Textes | Lien permanent | Commentaires (8) |

23/01/2008

Théatre

431fcd0afe11c77304e8411d9b9a0501.jpgPremière hier soir de Central Park Ouest de Woody Allen au Casino Théatre. C’est excellent ! On retrouve le NewYork branché de Woody avec ses névroses et ses adultères et un humour fou. Le rôle de la psychanalyste est magni- fiquement jouée par Sara Barberis. Derrière Gaspard Boesch, plus vrai que nature en écrivain raté et cocu, on ne peut s’empêcher de voir Woody Allen lui-même. Caroline Cons, Sabrina Martin et Erik Desfosses en mâle dominant sont tous à la hauteur d’une interprétation de qualité. Allez-y!

du 22 janvier au 9 février 2008 au Casino-Théâtre, 42 rue de Carouge à Genève

mardi, vendredi et samedi à 20h30, mercredi et jeudi à 19h.

Billets à l’entrée: 30.- / Etd. AVS 20.- Collège 15.- / Enfants 10.-

Location : 022 839 21 02

09:30 Publié dans Blog | Lien permanent | Commentaires (0) |

22/01/2008

Rencontre -1-

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Ma rencontre

avec

Alexandre Vialatte

J’ai eu la chance de rencontrer Alexandre Vialatte. C’était pendant l’hiver 1969/1970 dans le train entre Clermont-Ferrand et Paris. Un train qu’il empruntait régulièrement pour relier sa chère Auvergne à la capitale. Fils de militaire itinérant, Vialatte avait adopté l’Auvergne de ses années de collège. Avant de voyager, il s’était enraciné du côté d’Ambert, la ville où les Copains de Jules Romains avaient fait leurs 400 coups. C’est là qu’il a situé la plupart de ses romans.

A propos de l’Auvergne, il disait que Pascal aimait tellement l'Auvergne qu'il naquit à Clermont-Ferrand et qu’en Auvergne, il y a plus de montées que de descentes.

Au-delà de nos âges, je n’avais pas vingt ans, il en avait bientôt septante, tout nous séparait. Je n’avais aucun humour. J’étais en pleine révolte, l’idée même de service militaire me faisait vomir, je voulais tout casser, j’en voulais à toutes les hiérarchies et je prétendais briser toutes les chaînes et détruire toutes les règles. Même les règles de grammaire si chères à Vialatte me paraissaient tout à fait superflues. J’avais les cheveux longs frisés et un accoutrement en rapport avec ma révolte…

Alexandre, assis dans ce compartiment, donnait l’impression d’un homme posé et réfléchit. Le cheveu grisonnant, vêtu d’une veste assortie et d’une cravate un peu terne, il me regardait de son œil unique qui l’empêchait de voir le relief des objets. Il avait perdu l’autre œil en 40 dans la cavalerie. J’ai su plus tard qu’il était un homme de droite, que son père était un militaire guindé et qu’il avait gardé de son éducation une rigidité dont il savait se moquer à l’occasion. J’ai su que malgré son œil manquant, il savait merveilleusement trouver le relief des hommes et des choses. Pour l’instant il m’observait, à moins qu’il ne fût simplement absorbé dans ses pensées. J’avais sorti de la poche de mon vieil anorak, le petit livre rouge des pensées de Mao Tsé Tung.

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09:10 Publié dans Vialatte | Lien permanent | Commentaires (3) |

20/01/2008

Central Park West

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CENTRAL PARK WEST

Une comédie de Woody Allen

Traduction: Jean-Pierre Richard

Mise en scène: David Bauhofer

Avec: Sara Barberis, Caroline Cons, Sabrina Martin, Gaspard Boesch et Erik Desfosses

Théâtre Confiture 

du 22 janvier au 9 février 2008 au Casino-Théâtre

42, rue de Carouge - 1205 Genève

Les Riggs ont une adresse des plus chics. Sauf que leur appartement, où l’épouse, Phyllis, exerce aussi en tant que psychanalyste, est sens dessus dessous : dans la bagarre, une statue égyptienne a même perdu son pénis... Sam, le mari, a failli mourir. Alors arrivent Carol et Howard, leurs meilleurs amis. Et tout vole en éclat jusqu’à l’arrivée de Juliet, une jeune patiente de Phyllis. Compte tenu de la présence d’un vieux revolver allemand sur la table du salon, tout cela risque de très mal se terminer…

Woody Allen s’attaque à la complexité des rapports humains à travers des dialogues hilarants et des situations aussi absurdes que cauchemardesques.

Central Park West, ou les états d’âme de la bourgeoisie new-yorkaise. Infidèles et trompeurs, ses personnages aussi chics à la ville que lâches dans l’intimité de leurs luxueux appartements se trouvent mis à mal par la révélation de leurs plus troublants secrets. Ça risque de faire des étincelles… Venez-y donc en couple… Illégitime bien sûr!

mardi, vendredi et samedi à 20h30, mercredi et jeudi à 19h.

Relâche dimanche et lundi.

Location: Service culturel Migros / 7, rue du Prince - 1204 Genève

Stand-Info Balexert  27, av. Louis Casaï - 1209 Genève

Billets à l’entrée: 30.- / Etd. AVS 20.- Collège 15.- / Enfants 10.-

Location : 022 839 21 02

18:55 Publié dans Blog | Lien permanent | Commentaires (2) |

19/01/2008

Annonay

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 Festival du  Premier Film

Annonay

Février 2008

Après avoir été choisi pour participer au jury du livre Inter, une aventure exceptionnelle relatée dans une trentaine de notes en 2006, je viens d'être selectionné pour participer à un autre jury. Le festival d’Annonay sélectionne ses jurés selon le même principe de lettres de motivation et j’ai eu la chance d’être pris du premier coup parmi les 8 jurés du festival qui aura lieu du 1 au 11 février.

Je vous en reparlerai. 

Yves Bouvet, un des jurés de 2006, nous envoie chaque année des photos superbes, ses lectures en cours et cette année un petit texte poétique et dépaysant sur une randonnée qu'il vient de faire sur les hauteurs du Carmel pas loin de Haïfa :

« La peau de mon front dégarni me tire un peu  et j'ai encore l'odeur du soleil dans les cheveux. L'air était doux et avait un goût métallique dans les bosquets de chênes kermès d'ou s'envolaient des merles piailleurs effrayés. La tempête soufflait dans les pins sur la crête. Ciel d'un azur profond, grande visibilité rendant la frontière libanaise toute proche. Seule ombre au tableau les coups sourds de  la marine (la proximité des touches du clavier m'avaient fait taper lamartine !!!!, quel lapsus poétique.) à l'entraînement dans la baie de Haïfa. Toujours sur le pied de guerre, bande Gaza a nouveau bloquée, essai de missile logistique, c'est chaud a nouveau. Mais j'étais bien loin de tout cela au milieu des anémones et cyclamens sauvages. »

21:45 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0) |