15/06/2006
Nains de jardin
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Les nains de jardin
de
Jacques-Etienne Bovard
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publié
chez Campiche
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Ça commence par une histoire de copropriétaires qui se rassemblent « dans le garage souterrain » pour régler les problèmes de l’immeuble, en particulier le difficile choix des chaînes sur la nouvelle antenne parabolique. Le titre : « La fondue crée la bonne humeur» On s’ennuierait presque au début tellement c’est triste et helvétiquement chiant et puis cela dérape gentiment puis violement…
2. Dans la deuxième histoire, on arrive sur ces nains de jardin qui concentrent l’attention d’un presque sexagénaire qui réalise SON œuvre et néglige sa femme qui va se barrer, forcément.
3. Un dentiste planqué avec ses jumelles passe ses vacances à surveiller son quartier.
4. Des recrues de la Protection civile découvrent la Ferrari d’un pauvre type.
5. Un Fonctionnaire adepte culpabilisateur d’un sex-shop.
6. Le syndic Édouard Bavaud, juge et directeur d’école qui se découvre une passion gastronomique.
7. Le Nombril et la Loupe, publication sur la littérature romande où l’on retrouve le provincialisme mal déguisé d’un microcosme cuistrissime qui se veut élite.
Pour moi qui aime les histoires, quel bonheur que ce livre que je n’ai pas su garder jusqu’aux vacances. C’est méchant à souhait et pourtant l’humanité suinte sous les traits des ses héros. Bovard, le romancier ne s’exclut pas de ce tableau habile de la suissitude. D’ailleurs la Suisse dépasse parfois largement ses frontières quand il s’agit de petitesse et de médiocrité.
08:35 Publié dans Lecture | Lien permanent | Commentaires (3) |
30/05/2006
Amour -2-
"Si l'amour est réciproque et que nous avons donc affaire à un couple qui s'aime, les conséquences pour l'entourage immédiat et le reste du monde sont certes moins dangereuses, vu que le couple se neutralise largement lui-même, mais elles n'en sont pas moins, humainement et éthiquement, tout à fait déplorables. Les couples amoureux tendent en effet fréquemment à un commun autisme (voir le couple au dîner) ou à une commune arrogance (voir le jeune couple en voiture). Dans les deux cas ils se mettent hors du monde, soit que, dans leur mutuelle fusion et autosuffisance, ils oublient tout ce qui les entoure, soit que, dans l'exaltation que leur procure leur couple unique au monde, ils méprisent celui-ci et ne considèrent plus les autres humains, qu'Éros n'a pas touchés de sa folie sacrée, que comme des imbéciles auxquels ils peuvent faire un bras d'honneur.
Tout cela est étrange et irritant, alors que l'amour passe pour la meilleure et la plus belle chose que l'homme ait à donner et qui puisse lui arriver, et que prétendument cet amour le rend capable de produire ce qu'il y a de plus grand et de plus haut. Comment résoudre cette aporie? Comment ce qui nous abêtit, et qui est potentiellement capable de faire de nous des brutes, peut-il être ressenti et désigné comme le bonheur suprême? L'amour n'est-il, finalement, qu'une maladie, et non la plus belle, mais la plus terrible qui soit? Ou bien est-il un poison dont le dosage décide s'il est bénéfique ou dévastateur? Au secours, Socrate, au secours!
L'âme de l'homme, dit Socrate, n'est pas homogène, elle est divisée en trois, et il la compare à un attelage que nous pouvons nous représenter comme celui d'un char antique, constitué de deux chevaux et d'un cocher. Or c'est déjà une prouesse de maintenir un tel véhicule sur la piste. Mais cela devient une aventure à se casser le cou dès lors que, comme dans l'attelage de l'âme, seul l'un des chevaux est de bonne composition, docile et facile à dresser, tandis que l'autre est mauvais, sauvage et rétif. Lorsque de surcroît Éros entre en jeu, que l'âme triple commence donc à aimer et se trouve face à l'objet de son amour, l'attelage inégal échappe à tout contrôle. Le mauvais cheval prend le mors aux dents et doit être fouetté et maté, aussi souvent et longtemps qu'il le faut pour que les flancs lui cuisent et que sa bouche saigne et qu'enfin il se plie humblement à la volonté du cocher et, comme le brave cheval, approche l'aimé avec une hésitante modestie. Chez cet aimé, une fois qu'il est séduit et gagné, germe alors l'amour qui répond à l'amour : il se laisse toucher, embrasser et enfin entraîner sur la couche.
Et alors seulement, dit Socrate et écrit Platon, « quand ils sont ensemble pour dormir, le cheval indiscipliné de l'amoureux a beaucoup de choses à dire au cocher, et il fait valoir son droit à de petites compensations pour toutes ses souffrances ». Au demeurant, l'âme selon Platon est immortelle. Et c'est vrai de toute âme. Même de celle chez qui le cocher est faible et où c'est le mauvais cheval qui donne le ton. Mais à une telle âme Éros ne donnera pas des ailes, pas plus qu'aux âmes qui croient pouvoir renoncer à Éros. Après la mort, elles se retrouvent toutes dans des cachots souterrains, pour y faire pénitence mille années durant. Les autres, en revanche - et à notre avis elles ne sauraient être bien nombreuses -, dont les cochers sont assez forts et réfléchis pour ne pas lâcher les rênes au mauvais cheval, et qui ne se sont toutefois pas détournées de l'amour, Éros après la mort leur fait pousser des ailes, et elles s'élancent et volent dans la lumière, et se rapprochent de la sphère où habitent les dieux."
Patrick Süskind - Sur l'amour et la mort
18:55 Publié dans Lecture | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : Littérature |
29/05/2006
Amour -1-
« ...dans l’état amoureux se manifeste une bonne dose de bêtise.
Je recommande, en la matière, la lecture des lettres d'amour qu'on a soi-même écrites voilà vingt ou trente ans. Le rouge vous monte au front à la lecture de documents qui ne sont qu'un fatras de sottise, de prétention, de suffisance et d'aveuglement : contenu trivial, style consternant. On a le plus grand mal à concevoir qu'un être d'une intelligence ne serait-ce que moyenne ait jamais pu être capable de ressentir, de penser et de mettre par écrit de telles insanités. On peut certes, si l'on est gentil, qualifier cela de puéril, d'apitoyant, voire de touchant. Il paraît néanmoins plus pertinent de parler d'un abêtissement passager de l'être humain par l'amour.
Il est notoire qu'avec un amoureux un discours rationnel n'est pas possible, et surtout pas sur l'objet de son amour. Les mises en garde les mieux intentionnées, les arguments irréfutables, les remarques manifestement vraies viennent se briser contre un grand «mais» Mais je l'aime! », ou, pis encore, sont ressentis comme des actes hostiles inspirés par l'envie, auxquels il est répondu en conséquence. Il n'est pas rare que se rompent ainsi de vieilles amitiés et des relations solides. L'amoureux n'en a cure. Il est prêt à renoncer à tout sauf à son adoration pour l'être aimé, à laquelle tout son entourage est prié de sacrifier également. Un regard sur le regard d'un amoureux regardant celle qu'il aime suffit pour constater ceci : ce regard est vide; il est, comme on dit fort justement, éperdu. Tout ce qu'il pouvait y avoir en lui d'esprit, d'intelligence, de vigilance, de curiosité et de prudence a disparu. Il ne reste - comme chez l'illuminé qui croit voir la divinité - que l'expression du plus pur ahurissement.
Ce phénomène d'abêtissement par l'amour n'est du reste nullement limité au genre d'amour où le sexe entre en jeu. Nous le trouvons tout aussi fréquemment dans l'attachement de chien que des parents ont pour leurs enfants les plus impossibles, dans l'amour spirituel des religieuses pour leur céleste époux - sans même parler de l'amour-culte des sujets pour la patrie ou pour le Führer idolâtré. L'amour se paie toujours par la perte de la raison, par l'abandon de soi et par la mise sous tutelle qui en résulte. Cela débouche, dans les cas anodins, sur le ridicule et, dans le pire des cas, sur la catastrophe politique mondiale. »
De qui est ce texte? Je ne fais pas concurrence à JLK, aucun livre offert, réponse demain
20:50 Publié dans Lecture | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : Littérature |
04/05/2006
Tulipomanie
1634
La popularité des tulipes se répandit dans une grande partie de l'Europe.
Pourtant, elles demeuraient un luxe surtout réservé aux riches. Il est vrai qu'à l'époque, les jardins étaient plutôt une collection d'objets précieux.
La tulipe, déjà onéreuse, y jouait un rôle principal. Mais le prix de la tulipe ne cessait d'augmenter et en 1634 précisément, il connut une véritable explosion. Ce fut le début de la "Tulpomanie ".
Le commerce des bulbes devint une véritable spéculation. On les achetait et on les revendait sans que l'argent ou les marchandises aient changé de propriétaire. Tout se passait sur papier. Sans oublier qu'on ignorait ce qui allait sortir du bulbe. Le négociant ne pouvait donc qu'avoir confiance qu'il s'agît bien d'une belle tulipe. Il n'était pas certain que le bulbe vendu par le marchand fût passé entre ses mains, ni que l'acheteur eût la somme d'argent ou la marchandise requise. Le plus souvent, l'opération en restait sur une promesse. L'acheteur devenait à son tour marchand et revendait le bulbe à la personne suivante. Non sans bénéfice... Le nombre d'intermédiaires ne cessant d'augmenter, les prix poursuivaient leur escalade. En tête de liste, se trouvait la Semper Augustus. Son prix le plus fort atteignit cinq mille florins, un prix équivalent à la valeur d'un immeuble bourgeois de l'époque à Amsterdam. Mais l'argent n'était pas le seul moyen de paiement. A l'époque, les marchandises s'échangeaient ou se payaient souvent en nature. Ainsi, pour un bulbe de tulipe Viceroi (qui valait deux fois moins que la Semper Augustus) il avait été convenu le paiement de:
2 charretées de blé, 4 charretées de seigle, 4 bœufs gras, 8 cochons gras, 12 moutons gras, 2 fûts de vin, 4 fûts de bière, 100 livres de fromage, un lit, un vase d'argent et des vêtements.
Le commerce des bulbes de tulipes avait généralement lieu dans des petites pièces en retrait dans les auberges, les tavernes et les gargotes. Il était illégal mais personne n'ignorait son existence. Les enfants jouaient le rôle d'espion. La Tulpomanie prit fin trois ans plus tard. Les prix commencèrent à chuter, de nombreux marchands firent banqueroute, ce qui, à l'époque, était susceptible de lourdes peines de prison. Des fortunes fondirent comme neige au soleil et beaucoup se retrouvèrent au chômage. Pour finir, les autorités durent intervenir et en avril 1637, tous les accords spéculatifs furent annulés et le prix maximum pour un bulbe de tulipe fut fixé à 50 florins.
Trouvé sur : http://www.bakker.fr/
00:05 Publié dans Lecture | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : Ecriture |
15/04/2006
Fantomas
La poésie
de Fantomas
vue
par
Alexandre
Vialatte
... Il est bon, dans ces conditions, de continuer à lire Fantômas, dont la publication complète menace de submerger les rayons des libraires... Mais il serait déloyal de cacher au lecteur qu'il y trouvera le roi de Hesse-Weimar séquestré sous le bassin de la place de la Concorde ; que la complice de Fantômas est la grande-duchesse Alexandra ; que le ministre de la Justice sera tué par Fantômas en costume de souris d'hôtel avec des clous répandus sur le sol, un sac de sable asséné sur la tête et une aiguille plantée dans le cœur ; que le célèbre bandit fera accuser de ses crimes un roi régnant et le policier qui l'arrêtera ; que les malheureux seront écroués ; et que si l'on continue à ce train on ne tardera pas à apprendre que le vrai Fantômas est le Pape. Ou alors la reine d'Angleterre. Car il suffit, dans l'univers de Fantômas, de mettre rapidement une fausse barbe pour ressembler aux yeux de tout le monde à qui l'on veut. J'ajoute, par scrupule de conscience, que dans le monde où cet homme magique promène le lecteur fasciné, les détectives américains qui arrivent dans une chambre d'hôtel commencent toujours par raccourcir les pieds de leur chaise de 25 centimètres avec une scie qui ne les quitte jamais, et ne reçoivent leurs visiteurs qu'en les faisant étendre par terre, parce qu'ils ont flairé à l'avance la présence d'un fusil braqué sur l'endroit où leur tête devrait être normalement et actionné par des ficelles. Il faut aussi avouer tout de suite que Fantômas, quand il cherche à dissimuler sa complice, lady Hamilton, la fait nommer ingénieusement mère supérieure d'un couvent réputé dans un endroit un peu central de la capitale, ce qui lui permet d'aller la voir incognito dans la chapelle en grand costume de Fantômas (cape romaine, cagoule, collant noir) en passant par un haut vitrail : il a suffi à lady Hamilton d'interdire l'accès de la chapelle en sonnant joyeusement la cloche à deux heures de l'après-midi.
Toutes ces précautions étant prises, il ne s'agit plus, pour l'acheteur hésitant, que de savoir s'il aime l'inouï dans le grandiose, voire le grandiose dans l'inouï, bref tout ce qui faisait dire à Daudet, à la suite du discours d'un autre député : " Monsieur le Président, permettez-moi d'emporter monsieur à la maison afin de divertir nos enfants. "
On ne sera pas peu étonné d'y voir Mme Toulouche, âgée de 70 ans, grimper à bord d'un paquebot luxueux pour y égorger des détectives américains. A coups de dents. Sans que personne ne s'en doute.
Et c'est ainsi qu'Allah est grand. (et c'est ainsi qu'Alexandre terminait toutes ses chroniques)
(Extrait de Chronique de la poésie pure, La Montagne, 28 novembre 1961)
00:05 Publié dans Au fil de la toile, Lecture, Vialatte | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature |
25/03/2006
Onclo BO
Oncle Bo est le premier roman de Chieh Chieng.
Né à Hong-Kong, l’auteur est arrivé en Californie à l’age de 7 ans. Dans un livre léger, il nous raconte l’histoire des Lum, une famille de chinois, californiens comme lui, dont certains membres ont disparu dans des circonstances tragiques.
Louis Lum, 24 ans, le narrateur, revient vivre chez son père qui veut se venger du meurtrier accidentel de sa femme. Dans un récit assez savamment construit, Chieng nous fait vivre la vie de trois générations de Lum partagés entre le souci de devenir américains et celui de perpétuer les traditions. Au-delà des péripéties de l’histoire familiale, on est surtout intrigué par le personnage titre : Oncle Bo. Le jeune frère de son père, l’enfant chéri de sa grand-mère Mah, une maîtresse femme dont Bo était le fils préféré, ne donne plus de nouvelles. A la demande de Mah, Louis part à la recherche de son oncle, un personnage secret, exilé à Hong-Kong. Le maniement du cantonais est-il, pour Louis, aussi aisé qu’il le pense ?
Un petit roman dépaysant et authentique, familial et humoristique, rafraîchissant et un brin excentrique
Editeur: Buchet Chastel
00:05 Publié dans Lecture | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : Littérature |
19/03/2006
Le sang noir
A.J Cronin
et
Louis Guilloux
J’ai été un peu sévère avec Archibald Joseph Cronin et c’est avec plaisir que j’ai lu le commentaire de Laura à propos de Citadelle.
Citadelle raconte l’histoire d’un jeune médecin arrivé au pays de Galles rapidement partagé entre l’envie de se faire une clientèle riche et celle de continuer ses recherches sur les maladies des mineurs ? Le sort se charge de le rappeler cruellement au sens de sa mission.
Cette évocation d'un écrivain oublié m’a donné envie de parler d’un chef-d’oeuvre qui contrairement à Citadelle (1,5 euro) ne se trouve même pas en livre de poche et ceci est une pure injustice.
Le Sang noir est le grand livre de Louis Guilloux, un écrivain de sensibilité anarcho-communiste. Un roman de l'humiliation et de la colère, qui a pour cadre une petite ville française, en 1917, pendant une guerre qui n'en finit plus, à la recherche d'un bouc émissaire: Cripure, figure dostoïevskienne et inoffensif professeur auquel on fera payer cher son non-conformisme.
Roman dostoïevskien donc ; puissant, bouleversant, plus existentiel que politique un récit captivant, très moderne dans le fond et la forme, un pur moment de bonheur.
22:35 Publié dans Lecture | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : Littérature |