08/08/2014
Conte d'été -6-
La campagne bat son plein...
Dans les débats publics, plutôt que de batailler avec les autres candidats, Jòn préfère raconter des anecdotes . Les professionnels de la politique en sourient. Du moins jusqu’à ce que le Meilleur Parti atteigne 10 % dans les sondages. Là, le ton change. On accuse Jòn de ne prendre ni la situation ni la population au sérieux. La presse commence à ne plus trouver ça drôle du tout. L'establishment commence à s'échauffer. Le pouvoir est à eux de tradition.
Jòn se fait tailler en pièces lors d’un entretien télévisé. Interrogé sur l’aéroport [sujet sensible], il répond : “Aucun avis.” Il quitte le plateau découragé, humilié, avec le sentiment d’être un idiot. Mais à sa grande surprise le public le félicite : “Enfin un qui avoue qu'il ne sait pas !” Le Meilleur Parti atteint 20 % dans le sondage qui suit.
C’est alors qu’arrive la fameuse vidéo, peut-être la plus drôle et la plus réussie de toute l’histoire politique : une version adaptée pour les besoins de la cause de Simply the Best de Tina Turner, chantée en chœur par les candidats après une brève introduction bien tournée de Jòn, qui commence ainsi : “A vous, concitoyens, de décider maintenant du fond du cœur si vous voulez un avenir radieux avec le Meilleur Parti ou si vous voulez une ville en ruines.” “C’était facile pour nous de tourner une telle vidéo : on était tous des musiciens et des pros du clip”, expliquera plus tard un des amis de Jòn. Quoi qu’il en soit, c’est un beau clip politique : il vous met en joie pour le reste de la journée. Les gens adorent
Lors du dernier débat, Jòn monte à la tribune et déclare : “Nous, au Meilleur Parti, nous avons toujours dit que nous ferions de la politique aussi longtemps que ça nous amuserait. Tout cela est devenu désormais très sérieux. C’est pourquoi je retire ma candidature ainsi que celle du Meilleur Parti aux élections municipales.” Stupeur. Le public reste muet, les autres candidats se regardent. Et Jòn lance : “Mais non, je rigoooooole !” Pour les journaux de l’île, c’en est trop. Ils écrivent que Jón vient de lancer sa dernière blague et le Meilleur Parti de perdre toute crédibilité.
Pourtant, le 15 juin 2015, le Meilleur Parti, sept mois après sa création gagne les élections de la grande ville. Arrivé en tête des votes avec 34,7%, soient six des quinze sièges du conseil municipal. Jòn devient maire de la capitale, le deuxième personnage de l’île après le premier ministre. Il va resté maire jusqu’au bout de son mandat. Sa gestion sera considérée comme la meilleure que la ville n’ait jamais eue.
A ce stade du récit, s’il reste des lecteurs, ils se divisent en deux camps : Ceux qui ne connaissent pas l’histoire et qui se disent que vraiment ce conte d’été ne tient pas debout, qu’on ne peut pas inventer n’importe quoi, pour ceux-ci, je suis désolé de casser à la fois le suspens et vos illusions… Et puis, il y a ceux qui connaissent l’histoire parce qu’ils lisent les journaux et se tiennent au courant où qu'ils ont trouvé Jòn sur Internet. Pour ceux-ci, j’espère que cette histoire les étonne et les réjouit encore, comme elle m'étonne et me réjouit toujours.
Demain je parlerai plus en détail de Jòn Gnarr devenu maire de Rejkavik, la capitale de l’Islande.Mais écoutez, s'il vous plaît, le clip de campagne...
07:28 Publié dans Courrier International, Textes | Lien permanent | Commentaires (0) |
07/08/2014
Conte d'été -5-
Rappel des épisodes précédents : Après une enfance et une adolescence difficile, le petit Jòn que l’on juge idiot fait l’imbécile à la télé et devient célèbre dans son île. A 40 ans, il fonde le Meilleur Parti.
Quand le parti arrivait a 0,7%, Jòn parlait déjà de raz de marée, mais il fait bientôt 10 fois plus dans les sondages.
Il faut dire qu’il ne passe pas inaperçu : coiffé en iroquois, fringué comme Lady Gaga ou dans n'importe quelle tenue improbable, il lui arrive de venir sur les plateaux de télé en maillot de bain.
Dans le passé sa conversion au catholicisme est restée dans toutes les mémoires : pendant des mois, il a énervé toute la ville avec ses chroniques enthousiastes sur le pape Benoît et sur ses cardinaux, pour décider finalement qu’il restait agnostique*.
Pourtant, hors des studios et de la scène c’est un homme paisible marié à une femme qui le seconde bien dans ses activités de comédien et qui lui a fait cinq enfants.
Malgré un programme indigent* le Meilleur Parti grimpe dans les sondages.
Quelques exemples des promesses de Jòn et ses amis punks :
- Distribution de serviettes gratuites dans les piscines de la ville
- Un seul Père Noël pour faire des économies
- Un ours polaire pour le zoo de la ville.
- Disneyland à l’aéroport
- Un Parlement sans drogue d’ici 2020
- Importer des Juifs “pour qu’il y ait enfin des gens qui s’y connaissent en économie sur cette île
- Un conseil municipal inactif : “Nous avons travaillé dur toute notre vie, nous souhaitons maintenant être très bien payés à ne rien faire” ;
- des transports collectifs gratuits. Etc…
Mais attention : “Le meilleur parti peut faire bien plus de promesses que les autres partis parce que nous n’en tiendrons aucune.” disent-ils.
En attendant le parti grimpe dans les sondages, 5% puis 10%... Jusqu’où va grimper le Meilleur Parti de Jòn ?
* Agnostique. Du grec agnostos inconnu – Personne qui considère que le connaissance de Dieu est inaccessible à l’homme.
* indigent, du latin indigere, egere être dans le besoin. Qui manque des choses essentielles (à la vie). Rabelais l’utilise dans le sens de pauvre.
07:26 Publié dans Textes | Lien permanent | Commentaires (0) |
06/08/2014
Conte d'été -4-
En 2007, commence la crise des subprimes aux US. Le jeux de domino capitaliste va commencer à faire tomber les banques du monde une à une. L’économie de l’île, pas vraiment petite, pas vraiment paradisiaque et deux fois moins peuplée que le Luxembourg, économie bâtie sur la spéculation et la fuite en avant va s’écrouler comme une muraille de dominos. Beaucoup de petits épargnants vont y laisser les plumes de leur retraite et vont descendre dans la rue et assiéger les banques. Habitués de tout temps à faire confiance aux possédants et à leurs banquiers, ils se réveillent les poches faites avec la gueule de bois.
Fin 2009, le petit Jòn a quarante ans (nel mezzo del cammin). Il aime bien son pays et regarde la situation avec consternation. Il décide, avec quelques copains aussi farfelus que lui, de créer un parti et d'entrer en politique. Il hésite entre « Le Meilleur parti » et « Le parti Cool » et se décide pour le Meilleur. Tant qu'à faire autant envisager The Best.
Dans six mois, la grande ville de l’île va voter pour remplacer l’équipe municipale passablement chahutée ces dernières années. Le Meilleur parti sera candidat. Pas facile de trouver des candidats quand on est saltimbanque* et que son parti, fusse-t-il le meilleur, n’a aucun adhérent. Jòn épuise la liste des ses potes pas très chauds pour une telle aventure.
Il prend le risque et annonce sa candidature à la mairie. Au bout de quelques jours, le Meilleur Parti fait 1%, puis 2%, les îliens rigolent, Jôn fait le pitre… après deux semaines il fait 5% puis 10% dans les sondages et les politiciens de métiers commencent à tirer à boulet rouge sur le Meilleur Parti et à tenter de discréditer le petit Jòn et ses copains punks qui ont un programme d'enfer.
* Le saltimbanque est celui qui saute sur la banque. Le mot banque a la même origine que les mots banc et banque. Le banquier faisait son commerce sur un banc qui devient une banque, un comptoir. Le comédien fait son spectacle sur un banc qui devient une estrade.
07:27 Publié dans Textes | Lien permanent | Commentaires (0) |
05/08/2014
Conte d'été -3-
Jòn se lance dans la carrière de comique. Gags téléphoniques à la radio, stand-up, chroniques, sketchs et séries télévisées. Sur la grande île, il y a peu d’humoristes. Au début, il passe pour un dérangé mais ça il en a l’habitude alors il persiste. Il s'est occupé de malades mentaux, il les connait bien.
Il a un deuxième enfant. A l’école on se moque du plus âgé qui a un père un peu brindezingue. Mais petit à petit, sa notoriété augmente avec le succès, il devient un peu connu, connu, puis finalement célèbre. Ceci passe sans doute par quelques déboires mais bientôt ses enfants commencent à être fiers de leur papa. Un père pas si idiot après tout.
« Célèbre dans cette île, cela ne veut pas dire grand-chose. » dit-il. « Tu achètes une bouteille de lait et paf, t’es célèbre. »
Il fait parfois dans le comique trash* se grimant en Hitler ou encore en jouant dans une série télé un stalinien éduqué, chauve, égoïste, désagréable, d’une maladresse touchante, traumatisé dans son enfance par une mère militante féministe pas rigolote du tout. Jòn est une sorte de Coluche des îles qui serait animé par un Godot absurde dialogué par son maître Samuel Beckett.
L’analogie avec Coluche ne va pas s’arrêter là. Il incarne des personnages faussement naïf, qui lui ressemble ou qui pourraient lui ressembler
Le petit gringalet est devenu un bel homme qui sait jouer de son physique à merveille. Il a chaque jour une idée loufoque pour se faire remarquer. Dans ses blagues, il n’est jamais vraiment méchant. Il revendique même sa sincérité y compris lorsqu'il profère quelque énormité. Dans le fond c'est un vrai gentil. Les gens commencent à l’aimer.
* trash vient de l'anglais pour ordure. Trash bin, poubelle.
* Le mot farfelu vient du latin fanfaluca, transcription phonétique du grec pompholux qui désigne une bulle d'air, une chose vaine. Même origine que fanfreluche, petite chose qu'emporte le vent puis ruban de tissu...
* quant à loufoque, c'est fou et largonji, un drôle de jargon des loucherbem.
07:21 Publié dans Textes | Lien permanent | Commentaires (0) |
04/08/2014
Conte d'été -2-
L’île où est né le petit Jòn, pas vraiment petite, pas vraiment paradisiaque, est bien plus grande que le Luxembourg quoique deux fois moins peuplée.
Pendant l'enfance du petit Jòn, l'économie de l'île est orientée vers la pêche. Plus tard, au début du siècle, la privatisation des banques va entraîner l’économie vers les services financiers et les investissements pour en faire un des pays les plus riches du monde. Cette richesse soudaine va entraîner de grandes inégalités dans l’île.
A seize ans, le petit Jòn en est déjà à sa deuxième tentative de suicide. Il traîne son mal de vivre dans des foyers pour jeunes en difficultés. Il se considère comme idiot puisque tout le monde lui dit qu'il est idiot. Il passe plusieurs années en institutions spécialisées pour enfant à problèmes. Pourtant il a des projets, il veut être punk. Un punk no future mais un punk comique. Il fait déjà le pitre pour ses camarades. Il ne veut rien apprendre à l'école mais il sait faire l'idiot pour faire rire les copains. Et puis, il a son jardin secret.
Il a ses propres lectures. Il s’intéresse au mouvement anarchiste, aux surréalistes, aux Monty Python, il lit même le Tao Tö King de Lao Tseu. Il devient aide-soignant en psychiatrie puis chauffeur de taxi. Le soir il est bassiste au sein du groupe punk Les Morveux. Musicien jusqu’à ce qu’il s’aperçoive qu’il n’aime pas vraiment la musique, que ce qu’il aime c’est raconter des blagues entre les morceaux.
Il parle de plus en plus, du coup il décide de faire une carrière de comique. A vingt ans, il a un un premier enfant.
07:10 Publié dans Textes | Lien permanent | Commentaires (0) |
03/08/2014
Conte d'été -1-
Il était un fois un petit garçon prénommé Jòn qui vivait sur une île. Une île pas vraiment petite, ni déserte, ni même paradisiaque. Une île plutôt froide et même glaciale par moment.
Aucune fée ne s’était pas penchée sur le berceau du petit Jòn en ces jours de janvier 1967. Ses parents étaient déjà âgés et aigris. Son père, policier de son état, abonné à la Pravda n’avait jamais eu d’avancement à cause de ses opinions communistes. Chaque soir, assis face à la photo de Staline, il rabâchait devant son fils et sa femme un discours aigri que la mère de Jòn, grenouille de bénitier, ne partageait pas mais que tous deux écoutaient en silence par souci de ne pas mettre le pater-familias en colère.
Malheureusement pour Jón ce n’était pas à l’école qu’il pouvait trouver quelques compensations. Jòn était un cancre. On le déclara même attardé et on eut aucune difficulté à le convaincre qu’il était attardé. En plus, il était petit, maigrichon, hyperactif et toujours à se plaindre de mots de tête et de migraines. Il n'allait pas apprendre à écrire avant l’adolescence et à quinze ans il ne parvenait pas à citer les mois du calendrier dans le bon ordre.
Voilà un bien triste début d’histoire me direz-vous. C’est l’été, on veut se marrer ! Juillet a été assez pourri comme ça, Joël, sois gentil arrête ça tout de suite, c’est trop triste !
Eh bien non. Je vais continuer car cette histoire pourrait finir mieux qu'elle n'a commencée.
07:15 Publié dans Textes | Lien permanent | Commentaires (0) |
17/05/2014
Nuages
Le nuage est à la mode. L'anglais l'appelle CLOUD car cela fait moins éthéré, plus business oriented. Le français se contente de rester la tête dans les nuages.
Quand il ne rêvasse pas il a le cerveau embrumé, il est dans le brouillard. Le plus souvent il voit son avenir plein de nuages, noirs de préférence.
Les informaticiens américains ont inventé le CLOUD computing qui consiste à mettre les données dans les nuages. C'est dangereux, on ne sait pas qui pourrait les trouver. Et bien que les nuages se déplacent habituellement d'ouest en est, vos données risquent de traverser l'atlantique d'est en ouest. C'est pourquoi une entreprise nommées Nu@ge veut relocaliser le cloud computing en France. Son ambition : Un Cloud computing open, écologique et relocalised. Voilà qui est parlé.
A propos de nuages, les vrais cette fois, Hervé, fidèle lecteur, m'envoie un communiqué de presse que je vous livre tout chaud, enfin tout frais, et donc pas réchauffé.
Genève, le 16 mai 2014. Dans un article publié aujourd’hui dans la revue Science, l’expérience CLOUD1, au CERN, rapporte que les vapeurs biogènes émises par les arbres et oxydées dans l’atmosphère jouent un rôle important dans la formation des nuages et contribuent ainsi au refroidissement de la planète.
Ces aérosols biogènes sont ce qui donne aux forêts, vues de loin, leur halo bleu caractéristique. L’étude de CLOUD montre que les vapeurs biogènes oxydées se combinent avec de l’acide sulfurique pour former des particules embryonnaires, lesquelles peuvent ensuite grandir et devenir les noyaux de condensation autour desquels les gouttelettes des nuages peuvent se former.
Voilà, si vous pensiez que l'acide sulfurique pouvait, à lui seul, former les nuages, vous aviez tord. Il y faut aussi des vapeurs biogènes. Depuis la plus haute antiquité, l'homme vit dans un nuage de vapeurs biogènes émises par les arbres. Contrairement à la femme, il ne voit pas la vie en rose. Dans le meilleur des cas, il monte sur la montagne pour pouvoir contempler le bleu qui émane de la forêt. Mais le plus souvent il reste dans la grisaille nuageuse en attendant le réchauffement climatique qui ne saurait tardé nous dit-on.
07:51 Publié dans Au fil de la toile, Textes | Lien permanent | Commentaires (1) |