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01/08/2005

Internet Romance -9-

Cet étalage impudique de Nicolas dans French était étonnant. En général, il se livrait peu. Il fallait un temps infini pour qu’il s’apprivoise. Avec moi, cela a mis des mois pour qu’il ne se sente en confiance avant la déferlante des confidences. S’il se faisait une si haute opinion de lui-même, c’était à cause de son enfance. Il avait été un enfant maladif, le petit dernier de la couvée. Le petit canard que papa, maman avaient chouchouté. Quand ils avaient dû le mettre en pension, ce fut un déchirement. « Tu peux critiquer les curés, mais c’est chez les frères des écoles chrétiennes, que j’ai pris goût aux sciences, à l'abstraction, à la musique et à tout ce que j’aime ! » A la récré, sa petite santé le forçait à rester à l’intérieur où il jouait du clavecin. C'est ainsi que lui était venu ce culte pour Jean-Sébastien Bach. À l’âge où l'on se compare pour s'évaluer, Nicolas s'activait déjà à se différencier.

Ses petits copains d’école le traitaient de lèche-cul, de polar, d'avorton, de grosse tête et bien pire encore. Faute de pouvoir recourir à la force de ses poings, il apprenait le mépris, la force de la solitude. Il encaissait. Il bêchait son petit jardin. Il est devenu un enfant secret, un adolescent peu sociable. Les adultes l’aimaient beaucoup. Il était très bon élève : bon en français, bon en math, musicien… toujours cité en exemple. Il me racontait qu’il était à l'écoute des conversations, qu’il voulait percer les secrets des grandes personnes. Je n’avais aucune peine à l’imaginer, discret, l’air de rien mais tout ouïe. C’est comme ça qu’il avait acquis un vocabulaire si riche, le sens de la narration. Ceci lui valait de bonnes notes. Notes qui faisaient enrager ses petits camarades, rage qui le poussait dans ses retranchements où il travaillait de plus belle. La boucle était bouclée !

Chaque jour French apportait son lot de nouvelles et de mots doux entre Nicolas et Mary-Ann. J’avais parfois quelques coups d’avance : Nicolas me racontait ses téléphones en Australie. Dans la nuit, Mary-Ann jouait du piano pour lui au grand profit de France Télécom. Nicolas convenait volontiers qu’au téléphone, l’acoustique n’était pas fameuse, mais puisqu’il écoutait avec les oreilles de l’amour... Il rêvait d’Australie… Il me parlait d’un de ses ancêtres vendéens, un grand grand-oncle parti pour le Québec. Parti à quarante ans. Là-bas, il avait marié une bretonne qui lui avait donné une descendance immense. « Ils ont eu vingt trois enfants. Tu vois, moi, je me contenterais de deux ou trois. J'espère que je peux encore en avoir. »

 

22:35 Publié dans Internet Romance | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : Ecriture |

Pied

Kansas (AP) –Sam, 10 ans, voit le pied d'Ezekiel Rubottom dans un seau de formol sous l’escalier. La police confisque le pied. Ezekiel, chanteur hip-hop, né avec un pied bot amputé trois semaines auparavant, explique que même si son pied était malade, il y est très attaché. La police rend le pied.

09:09 Publié dans Brèves | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : Ecriture |

31/07/2005

Internet Romance -8-

J’aurais dû me taire. « La plus belle fille de Sydney » avait mis le feu aux poudres. Dans les semaines qui ont suivi, French est devenue le forum exclusif de Nicolas et de Mary-Ann. Nicolas a démarré la discussion intitulée « En avant la musique » qui commençait par : « La musique est un langage plus universel que toute science ou toute philosophie, disait Beethoven… » Ensuite, il invitait musiciens et mélomanes de l’univers à partager ce langage avec lui. Il expliquait sa passion pour les beaux sons, son goût pour les auteurs classiques, ses amis Wolfgang Amadeus, Jean-Sébastien et Ludwig von. Il parlait de son incompréhension de certaines œuvres du vingtième siècle, de son aversion presque générale pour la plupart des contemporains cacophoniques et abscons. C’était un long texte de sept ou huit écrans, trois pages imprimées, écrit avec passion au risque de lasser le lecteur.
La sauce avait pris. Les french-noteurs mélomanes s'étaient mis à leur clavier. Certains concis, trop occupés pour l’instant, disaient-ils, promettant de donner un avis plus tard. Certains prolixes avec moult détails sur leur apprentissage, leur pratique de la musique. Chaque jour voyait sa moisson de notes. Nicolas s’en délectait. Il répondait à tous en termes lyriques, en envolées verbeuses. On lisait des avis contradictoires, des modernes, des jazzy, des contrepoints plus rock n’roll. Une belle gamme d’instrumentistes : pianistes, violoncellistes, joueurs de trompette, choristes. Un orchestre. Nicolas était aux anges. Il avait donné le LA et Mary-Ann s’était mise à chanter. Voici un exemple copié-collé de l’échange de nos deux pinsons :

From: maryann.nelson
Sydney 12-Feb-1992

J'ai joué toute la nuit sur mon vieux piano. C'est le dernière fois. J'avais réellement besoin d'un neuf. Cependant, j'aimera celui-ci pour toujours; il était le témoin de mon enfance et commencement de ma passion plus grande. J'espererai bien que mes parents accepterons de le garder car je ne peux pas penser un seul minute de le vendre...

From: YSATIS::nicolas.larue
Grenoble 12-Fev-1992

(…) ton vieux piano. Je comprends bien cette sensation. J’ai moi aussi dû me séparer de mon vieil orgue électronique ; celui sur lequel je me suis perfectionné pendant tant années avant d’oser jouer à l’église, le dimanche. J’aimerais que tu nous en dises plus. Qu’as-tu joué toute la nuit ? Toujours du Bach ? L'andante KV 457 de Mozart ou bien encore ton cher, notre cher Beethoven ? Dis-nous tout, nous voulons tout savoir !

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Ce « dis-nous tout, nous voulons tout savoir ! », j'en ris encore. Ce fonctionnement exhibitionniste de couple virtuel nous amusait… L’exhibition allait durer plusieurs mois pour la franche rigolade de certains, l’énervement de quelques autres, l’amusement ému de beaucoup. Enervés, ceux qui suggéraient, dans l’oreille d’un sourd : « Nico, un peu de discrétion, s’il te plait ! » Pour moi, cela mettait de l’animation dans mon équipe de divas et c’était bien. La plupart bossaient dur dans leur coin. Même devant une bière, on ne sortait guère des conversations de boulot. C'est pourquoi je trouvais que l’idylle entre Nicolas Mary-Ann était un bon dérivatif. Plus tard, l’histoire d’amour prendrait des proportions telles qu’elle finirait par perturber le travail de toute l’équipe. Je ne saurais plus comment éteindre le feu.

20:45 Publié dans Internet Romance | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : Ecriture |

29/07/2005

Minuscule

La règle veut que l’on mettre une majuscule à Dieu. Comme je n’aime pas les règles et que je ne crois pas en Dieu, je suis tenté d’y mettre une minuscule mais alors, le lecteur se dit : « Tiens, c’est un familier de dieu ! » et je ne souhaite pas que l’on me croit proche de quelqu’un qui au mieux n’existe pas et au pire est un méchant démiurge.

(Photo: Dieu nous parle)

 

18:50 Publié dans Brèves | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : Ecriture |

28/07/2005

Internet Romance -6-

Nicolas ne s’était pas dégonflé. Il avait fait Grenoble-Boston et retour pour assister à un spectacle d’amateurs. Et moi qui le décris comme résistant aux changements ! Il avait pris sur le pouce une décision qui allait lui coûter un mois de salaire. Contradiction ? Pas vraiment. C’est tout Nico : un homme d’habitudes doublé d’un homme de tête, de coups de tête. La décision prise, il pouvait devenir obstiné, borné… Il n’allait tout de même pas se déballonner, il ne s’agissait que de quelques jours de congé et d’un simple billet d’avion…
Julia et Nicolas avaient convenu par e-mail que ce dernier arriverait avec un petit ballon rouge à la main. On imagine la salle de la générale, les spectateurs, la famille, les copains venus en avance pour soutenir, dans cette épreuve leurs acteurs  tous très heureux et excités. La tension monte. Le trac s’empare des amis autant que des comédiens. Ces derniers donnent aux responsables de la caisse les dernières consignes pour leur famille ou leur petit ami, petite amie… C’est au milieu de tout ce beau monde très bostonien, un poil guindé, que débarque notre Nico avec son petit ballon rouge. La vieille dame mi-gênée mi-amusée vient lui faire la bise, c’est Julia cachée sous une perruque blanche. Je ne résiste pas au plaisir de citer un extrait du très long compte rendu qu’en avait fait Nicolas, dans French, de retour de Boston. On retrouve toute la verve, tout l’excès dont il peut faire preuve dans les grands moments d’exaltation :
« (…) Acteurs et chanteurs sont tous magnifiques. Pour beaucoup on croirait avoir affaire à des professionnels Les enfants débordent de vitalité. Les adultes juifs s’organisent, parfois avec les moyens du bord. La chorégraphie est belle et  précise, les voix sont bien plus que des voix Toutes les tessitures sont au rendez-vous (…) A ajouter : la musicalité de l'orchestre amateur, l’encadrement d’un professionnel, une mise en scène toute de goût et de justesse, une qualité artistique digne du meilleur Broadway, des décors alpestres fabuleux, une reconstitution de ce couvent, un couvent presque mystique, une direction d'acteurs hors pair (…) » Signé « Tonton Nico ».
Cette folie, ce panache dans ce petit texte, c’est tout lui. Pour compléter le tableau, on peut ajouter qu’il est plutôt petit, maigre, presque malingre, avec une barbe en collier très étroit. Toujours surexcité, hypernerveux, sous pression constante. Son enfance expliquait bien des choses.
S’il avait parlé de Julia actrice, il n’avait rien dit de la femme. Par French, nous savions qu’elle était divorcée, qu’elle avait des enfants, ce n’était pas ce qui pouvait arrêter tonton Nico. Entre les lignes, j’avais cru comprendre que Julia était un peu boulotte, pas trop sexy. Donc, sortie discrète de Julia et de Delphine côté cour, entrée très remarquée de Mary-Ann côté jardin. La belle Mary-Ann !

19:00 Publié dans Internet Romance | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : Ecriture |

Internet Romance -5-

L’affaire n’était pas faite. Si Nicolas avait remarqué Mary-Ann dans French, il avait aussi noté Julia à Boston, Anna à Munich, Françoise à Paris, Paola à Milan et d’autres encore. Toute la force de l’imaginaire, la puissance des mots ! Et puis, il y avait Delphine.
La chance aurait pu donner un coup de pouce immédiat et nous faire gagner quelques mois. Nicolas partait pour l’Australie. Il allait accompagner Delphine, qui, elle-même, suivait sa mère, mère qui partait courir le marathon de Melbourne, catégorie vétéran. Delphine c’était son amie du moment, sa confidente peut-être, certainement une relation bizarre, probablement platonique. A la troisième bière, il m’avait avoué : « Entre Delphine et moi, c’est fini mais le voyage était arrangé de longue date. Tu sais que j’aime bien Laure, la maman de Delphine. Alors je vais aller à Melbourne. J’en profiterais pour voir Mary-Ann. »
- Tu vois Sylvie, c’est un homme à femmes le Nico !
- Justement. C’est bien la preuve, Il est homo, je te dis. Pédé comme un phoque !
Avant Mary-Ann, il y a eu Julia, une autre French-noteuse mélomane, qui avait su retenir toute son attention. La personnalité éclatante et les aventures de Mary-Ann ont tellement obscurci l’épisode de Julia que, pour en retrouver les détails, j’ai du relire French en entier. Par chance, j’en ai fait une copie avant que le forum ne meure. Je suis donc l’heureux propriétaire de neuf ans de discussion. Je l’ai sur mon l’ordinateur, celui de la maison, celui sur lequel j’écris aujourd’hui. Tous les textes, toutes les notes sont là, accessibles d’un clic de souris.
Donc, Nicolas avait décidé d’aller voir Julia à Boston. C’était avant qu’il n’inaugure sa fameuse note « En avant la musique. » La note et ses deux cent et quelque réponses, dont quatre-vingt de Nico, la plupart en réponse à sa chère Mary-Ann.
Julia était une french-noteuse américaine, passionnée de théâtre et de musique. Elle avait ouvert le sujet intitulé : « Comédies musicales. » Un débat peu suivi, sauf par Nicolas. En banlieue de Boston, elle montait, avec sa troupe d'amateur, la comédie du bonheur. Elle annonçait les dates des représentations, invitait les french-noteurs à venir et signait Julia l'amer-loque. Nicolas, tout excité, m’avait proposé de me rendre avec lui à Boston. J’étais amusé. Je ne savais pas trop de quel prétexte justifier mon refus. Il avait proposé à d’autres membres de l’équipe de l’accompagner. Le sujet avait provoqué des débats, ira, ira pas, et de franches rigolades à la cafeteria.


00:31 Publié dans Internet Romance | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : Ecriture |

26/07/2005

Internet Romance -4-

Totalement séduit par French, Nicolas est très vite entré dans le vif des débats. Quelques jours plus tard, il connaissait, mieux que moi, tous les protagonistes. Il avait repéré les amateurs de musique, déploré le faible niveau général en mathématique et en physique. Il me prenait à partie sans cesse comme si j’étais le grand modérateur, le démiurge responsable de la marche de French. Puis, parmi tous les participants, il a vite remarqué Mary-Ann, sans doute à cause de leur goût commun pour la musique classique. Et pour une autre raison…
Nicolas et son rapport aux filles, un sujet complexe. Peu de solution dans l’espace réel. Il y fallait French et son potentiel d’imaginaire. Malgré ses presque quarante ans, Nico est resté un grand adolescent immature. Avec les femmes, il perd tous ses moyens, il devient tout miel, gentil, obséquieux. Dans notre groupe de Divas, Nicolas était un bon sujet de conversation. Nous étions rompus aux hypothèses les plus hardies sur sa sexualité. Il y avait la théorie de Vincent, mon bras droit, qui prétendait que Nico était impuissant. Sylvie, la belle Sylvie, notre pin-up, affirmait : « C’est un homo, j’en suis certaine, un homo caché. Le genre qui n’ose même pas se l’avouer à lui-même. C’est enfoui, très profond, ça vient de l’enfance… C’est typique ces manières là. Typique, je te dis ! » Sylvie est une langue de vipère mais ses arguments étaient convaincants. Je pensais à Pierre, un très bon ami de Belle-île, notoirement homo. C’est vrai qu’avec les femmes, ils avaient des traits de comportement communs. Des manières, comme disait Sylvie.
Homo ou pas, Nico cherchait une femme à tout prix. Après deux ou trois bières, il confiait que, s’il ne trouvait pas l’âme sœur très prochainement sa vie serait ratée. Pendant ce temps, en Australie, à Sydney, une petite fille de trente ans, Mary-Ann, trouvait sa vie bien triste, elle voulait un enfant, des enfants. Trente ans, pour elle c’était la limite, si elle ne trouvais pas un homme pour satisfaire son projet, sa vie était ratée. Ces deux vies que Mary-Ann et Nicolas croyaient bientôt ratées, c’est l’histoire d’Internet Romance. Entre ces deux âmes esseulées French allait devenir un trait d’union.

20:49 Publié dans Internet Romance | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : Ecriture |