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21/10/2023

Préparer sa mort.

Un joli pastiche du grand Alexandre par
 
Cette chronique se voulant utile, elle s’adresse à tous ceux qui vont mourir. C’est dire le nombre de ses lecteurs putatifs. Déjà le vieil Aristote, grand philosophe comme son nom l’indique, commence son traité de logique par l’affirmation « Tous les hommes sont mortels ». Il pose ensuite que Socrate est un homme. Il en déduit enfin que celui-ci est mortel. Voilà un raisonnement parfait. Mais qui ne mesure pas toute la profondeur de l’âme humaine.
 
4-e1613213477922-1024x671.pngCar la question se pose : condamné à boire la ciguë, ledit Socrate n’a-t-il pas douté de cette conclusion jusqu’au retour du navire sacré de Délos ? Tout condamné à mort ne croit-il pas jusqu’au dernier moment faire exception à la règle de l’universelle mortalité ?
« Morituri te salutant ! » (Ceux qui vont mourir te saluent !) disaient les gladiateurs en s’adressant à l’empereur qui présidait les jeux du cirque à Rome. Chacun d’eux était cependant convaincu qu’il sauverait sa peau. À condition de vaincre au combat, c’est-à-dire de massacrer son adversaire. Car l’homme a l’intime conviction que tout le monde mourra un jour, sauf lui-même. C’est en quoi il est le seul à penser comme tout le monde.
 
0001185063_OG.JPGAvançant en âge, sinon en sagesse, l’homme se regarde chaque matin dans la glace en se disant qu’aujourd’hui est le premier jour du restant de sa vie. Il aurait pu le dire vingt ans ou un demi-siècle plus tôt. Mais il faut un certain recul pour qu’il prenne conscience que la vie n’est faite que de restants. Les raisons en sont trop évidentes pour être perçues de près. Il y a d’abord cette loi de l’émulation générationnelle qui se lit dans le slogan « Place aux jeunes ! »
 
260px-Ugolino_Carpeaux_Petit_Palais_PPSO1573.jpgComment ceux-ci pourraient-ils vivre, si les vieux ne mouraient ? Car on ne peut pas, à l’exemple d’Ugolin affamé, manger ses enfants dans l’intention – au demeurant louable – de leur conserver un père bien nourri. Il y a aussi cette loi de l’usure du corps, du cœur et du cortex. On ne court plus comme jadis les cent mètres en trente secondes. On ne gagne plus aux échecs ou au concours d’orthographe. On chausse des lunettes, des souliers orthopédiques, des prothèses auditives, que sais-je. On oublie le patronyme de l’inventeur de la maladie d’Alzheimer ou la date anniversaire de ses proches.
 
Fl_P_yKWAAMldKA?format=jpg&name=360x360Il faut donc se préparer à mourir. Une des précautions utiles est de disposer d’un bon lit de mort. Il en existe d’excellents dans les grands magasins de banlieue. L’homme averti jettera son dévolu sur un meuble en chêne massif, avec sommier et matelas confortables. De même, il prévoira des couvertures polaires pour éviter un dernier rhume, le sage préfèrant mourir en bonne santé. Les jeunes diront qu’à cette mort bourgeoise, ils préfèrent tomber au champ d’honneur. Ils oublient que la guerre est dangereuse, surtout pour le soldat. Lequel peut être blessé, parfois mortellement.
Alphonse Allais avait déjà remarqué que la mortalité dans l’armée augmente sensiblement en temps de guerre. Car l’ennemi est méchant et on est par définition l’ennemi de son ennemi. Tué par celui-ci, on aura certes son nom inscrit sur le monument aux morts. Mais vu l’état de sa dépouille, on n’en profitera pas assez. Tandis que sur un bon lit de mort, on peut voir venir et mourir tranquille.
 
Il y a enfin le problème des dernières paroles, qu’il faut préparer avec soin. On ne dira pas, comme cette comtesse attablée qui sentait sa dernière heure venue : « Vite, le dessert ! » On évitera aussi de les prononcer trop tôt, car un mot historique suivi d’un propos banal du genre « Quelle heure est-il ? », devient une avant-dernière parole. Trop tard n’est pas non plus la bonne solution, car on a l’air fin si on parle encore après son dernier soupir. Le mieux est de noter sur un bristol une idée bien sentie, une sentence percutante, une dernière saillie, de la conserver sur sa table de nuit et de ne la prononcer qu’au tout dernier moment. De préférence en présence de son biographe en mal de copie.

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Les dernières paroles de Socrate :

« Criton, nous devons un coq à Esculape. Payez cette dette, ne soyez pas négligents. »

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10/06/2023

Grosses têtes

Au début du XXième siècle un penseur a failli prouver l'inexistence de Dieu avec une méthode des plus scientifiques. Hélas, cela a foiré. Vialatte nous explique pourquoi :
 
LE DIEU DES GROSSES TÊTES
 
L'Homo habilis serait notre vrai ancêtre (le singe n'était que notre cousin) parce qu'il a de vraies mains et une grosse tête. Ses vraies mains lui épargnaient de tout faire avec la bouche. Ce qui la libérait pour parler, et sa grosse tête lui permettait de penser, d'être maçon, notaire, roman­cier, que sais-je, conseiller général.
 
On a cru en effet remarquer que les grosses têtes contiennent de gros cerveaux qui peuvent enfermer beaucoup de pensées. Il y eut même au début du siècle un penseur qui usait de la grosseur de la tête pour nier l'existence de Dieu.
 
Il prouvait en se servant d'un mètre (un mètre souple de couturière) que la taille moyenne des chapeaux des séminaristes de Saint-Sulpice ( qui étaient déistes en général à cette époque [j'adore cette remarque]) était plus petite que celle des élèves de l'Ecole normale supérieure, où se rencontrait une majorité de sceptiques. Il en concluait qu'à Normale on était plus intelligent et que l'opinion de cette grande école était par conséquent plus probable que l'autre. D'où il suivait que Dieu n'existait sans doute pas.
 
[hélas] Un hydrocéphale ardéchois vint malheureusement fausser toutes les moyennes, ce qui jeta le trouble dans les esprits. Mais peut-être trichait-il? Certains l'en ac­cusèrent. Ils expliquèrent que l'hydrocéphalie consti­tuait par elle-même un subterfuge qui pouvait passer pour déloyal.
 
Antiquité du grand chosier, p.193.
 
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29/03/2023

Esquimau

J'avais jadis mis des notes sur l'inuktitut, la langue esquimaude du Nunavut. 
 
Mais Vialatte en avait parlé : 
 
 220px-Esquimaux_Dog.JPGQuoi de plus utile que l’esquimau ? C’est la seule langue que sache comprendre le chien de traîneau. Mais nous la méprisons. Pas un savant français ne parle au chien de traîneau sa vraie langue maternelle. Aussi n’avons-nous pas de traîneaux. Et c’est pourquoi notre route est marquée de tant d’accidents d’automobiles.
Quoi de plus beau que l‘esquimau ? C’est une langue étonnante. Un explorateur nous apprend qu’elle ne contient pas un juron, une insulte ou une invective. Aussi les Esquimaux n’ont-ils pas de parlement. Ils se contentent du despotisme ou de l’anarchie. Et le poisson ? Comment peuvent-ils vendre le poisson ? On ne saurait vendre le hareng sans invectives ! Ils ne le vendent donc pas, ils le donnent.
Ainsi vivent-ils pour rien dans des maisons de glace, vêtus de fourrure et graissés d’huile de foie de morue.
(Langages – La Montagne – 13 avril 1954)
Hachoir d'ivoire et de métal - Ile de Nunivak - début du 19ème siècle

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Machine

C'était avant Chat GPT 3 ou 4, il y a 60 ans :

maxresdefault.jpgL'université de Manchester a construit une machine parfaite qui sait faire les lettres d'amour. Trois mille à l'heure si on le désire. Dont six cents modèles différents. « Chère affectionée, écrit-elle, vous êtes mon avide sentiment. Mon affection s’adapte bizarrement à vous. Mon appréciation bleue tend vers votre cœur rose. Vous êtes ma songeuse sympathie. »
 
Ce qui est bien beau pour une mécanique. Elle sait d'ailleurs faire bien d’autres choses, traire les vaches et vieillir le vin. En Amérique même les mariages. Avec des fiches percées, comme les factures du gaz. Les caractères, la beauté, la fortune et les particularités sont marqués par des trous sur les fiches des clients. Et des clientes. Et la machine a des crochets. On jette les fiches dans la machine, quand les crochets en attrapent deux au même moment, c’est que les trous des fiches coïncident. On a trouvé le couple idéal. Il paraît qu'il y a peu de divorces. En tout cas moins que sans la machine. L’homme n'a plus à se mêler de lui-même.
La Montagne, 13 mars 1962.

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27/03/2023

Radis

Des nouvelles de l'homme. Un Vialatte pour jardinier :
 
i102154-radis-nu.webpIl n'est rien de plus étrange que l'homme.
Que fait-il ?
Il plante des radis.
Observez-le et vous verrez que c'est vrai. On n’ose jamais assez imaginer combien l'homme est en train de planter des radis. Ou alors il cherche à le faire croire. En tout cas, chaque fois que je le regarde il est en train de planter des radis. Il a un petit tablier bleu, il jette une planche sur un carré de terre nue bien noire, bien propre, bien friable ; et il plante des radis. Ou alors des salades. Des petites salades qui ont des feuilles transparentes. De toute façon des légumes minuscules. C'est un jardinier japonais.
 
Ou alors il se cure les dents, il ronge un os, il ouvre une boîte d'anchois, il démonte une montre-bracelet, il dessine la coupe d'une sauterelle, il porte une assiette au client, il écrit des nombres de trois chiffres, quelquefois de quatre, jamais de cent. Résumons-nous : il ne fait que des gestes minuscules, il ne fait que des jardins du Japon.
La Montagne, 10 avril 1962
 
Les radis se sèment. 

Tracez de longs sillons espacés de 30cm, et déposez les graines rougeâtres des radis en ligne, sans les serrer. Recouvrez d'1cm de terre les variétés rondes, et de 2-3 cm de terre les variétés demi-longues et longues. Tassez légèrement le sol et arrosez juste après.

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26/03/2023

Printemps

Un petit Vialatte de printemps :
 
C’est aux premiers jours du printemps que le phénomène se produit.
Les fossés sentent la verdure neuve, la vase séchée. Des nuages passent ; le soleil et l’ombre se poursuivent. Les oiseaux qui volaient par bandes, viennent de former les premiers couples ; le moustique attaque l’agriculteur ; l’homme éprouve le besoin de manger du veau froid dans des endroits inconfortables (c’est la tradition du pique-nique). La mi-carême lance dans la rue le sous-préfet déguisé en Peau-Rouge et le gendarme en bergère Watteau. Le papillon se marie au hasard des zéphyrs, attiré de loin par le parfum de la papillonne.

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L’homme devient plus affectueux : le jeune offre sa main, le vieux son testament. L’acridien mâle entonne le « chant nuptial » propre à bouleverser l’acridienne. L’amour égare les animaux les plus paisibles. L’escargot prélude au mariage par une sorte de « coup de poignard ». L’araignée mâle fuit l’épouse dévorante, et la mante avale son mari. L’érythropize danse devant les dames. L’anguille va se parier aux Sargasses. La sauterelle mord la cuisse de son époux mourant.
(Les oiseaux du printemps – La Montagne – 21 avril 1964)

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25/02/2023

Vix

Une petite pensée pour Eric Zemmour qui aimerait bien que la France revienne en arrière. Oui mais jusqu'à quand ? Vercingétorix n'est pas la limite. Une fameuse découverte en 1953 avait alerté Alexandre Vialatte sur le sujet :
 
"Nos aïeux les Gaulois étaient blonds. Ils avaient les yeux bleus, ils sablaient l’hydromel (dont nous sommes restés si friands qu’on interdit de le vendre aujourd’hui à moins de cinq cents mètres des gares), ils cueillaient le gui, obéissaient au druide, pratiquaient le folklore gaulois, et portaient la moustache tombante ; ils se livraient, pour tout dire en un mot, à mille façons naïves et locales d’être eux-mêmes d’où sont sortis Jeanne d’Arc et le vase de Soissons.
Tel était leur métier de Gaulois.
Jules César compliqua les choses en important dans le pan de sa toge les verbes déponents, les oies du Capitole et les subtilités de l’ablatif absolu.
On pense généralement qu’ils en furent très vexés. Il est difficile de le savoir. Il n’est resté d’eux, en effet, que deux squelettes en pièces détachées exposés dans le jardin de la gare de Sarliève, comme un Lebel pour la revue de détail, parmi des bijoux folkloriques. Le reste a disparu. C’est l’effet du pillage.
Et nous dormions sur des notions connues.
Un éboulement avait cependant sauvé à Vix, dans la Côte d’Or, près de Châtillon, une « chambre de mort » qu’un jeune professeur a nouvellement découverte. C’était celle d’une riche gauloise.
Et qu’y a-t-on trouvé ? Des recettes d’hydromel ?
Non, un cratère d’Athènes, aussi haut et large qu’une foudre, en bronze et décoré d’hoplites d’une facture qui rappelle les frises du Parthénon. Un vase romain. Un diadème d’or qui a l’air de venir de la rue de la Paix. En sommes, le mobilier de Pétrone.

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Cinq siècles avant Jules César, nos aïeux les Gaulois appréciaient donc les arts des gens les plus civilisés au point de faire venir d’Athènes – comment ?... – à Châtillon-sur-Seine les œuvres les moins transportables des sybarites méditerranéens.
Quelles ressources ! Quelle culture ! Quel raffinement !
Mais quel mépris du folklore local ! Qu’eût dit Vercingétorix ?
(Alexandre Vialatte - Nouveautés – La Montagne – 12 janvier 1954)

10:35 Publié dans Vialatte | Lien permanent | Commentaires (0) |