03/01/2015
Portrait
Saurez-vous trouver l'auteur de ce texte étonnant et sa date approximative ? Le portrait, c'est pour brouiller les pistes...
Seul, presque sans effort, il apprit en deux ans ce que le despotisme abêtissant de tous les pions de la terre n'aurait pu lui enseigner en un demi-siècle. Il se trouva soudainement rempli des lettres anciennes et commença de rêver un avenir littéraire. Au fait, que diable voulez-vous que puisse rêver, aujourd'hui, un adolescent que les disciplines modernes exaspèrent et que l'abjection commerciale fait vomir ? Les croisades ne sont plus, ni les nobles aventures lointaines d'aucune sorte. Le globe entier est devenu raisonnable et on est assuré de rencontrer un excrément anglais à toutes les intersections de l'infini.
Il ne reste plus que l'Art. Un art proscrit, il est vrai, méprisé, subalternisé, famélique, fugitif, guenilleux et catacombal. Mais quand même, c'est l'unique refuge pour quelques âmes altissimes condamnées à traîner leur souffrante carcasse dans les charogneux carrefours du monde. Le malheureux ne savait pas de quelles tortures il faut payer l'indépendance de l'esprit. Personne,dans sa sotte province, n'eût été capable de l'en instruire et l'ironique mépris de son père, résolument hostile à tout ambitieux dessein qu'il n'eût pas couvé lui-même, ne pouvait être qu'un stimulant de plus. D'ailleurs, il se croyait un cœur de martyr, capable de tout endurer.
Un jour donc, ayant, à force de démarches, obtenu à Paris le plus misérable des emplois, il s'en vint docilement agoniser, après cent mille autres, dans cet Ergastule* de promission* où l'on met à tremper la fleur humaine dans le pot de chambre de Circé*. La hideuse Goule des âmes qui n'a qu'à les siffler pour qu'elles accourent à ses sales pieds des extrémités de la terre, une fois de plus, avait été obéie !
Il tenait de sa mère, morte depuis longtemps, le ridicule romantique d'une origine espagnole, partagé d'ailleurs avec cette multitude de prêtres infâmes dont on peut lire les identiques forfaits dans la plupart des romans anticléricaux. Cette origine, — à peine démentie par des yeux d'un bleu si naïf qu'il avait toujours l'air de s'en servir pour la première fois, — était surabondamment attestée par l'extraordinaire énergie de tous les autres traits sans exception. Seulement, c'était l'énergie contemplative de ces amoureux de l'action héroïque qui n'estiment pas que l'action vulgaire vaille la dépense de l'autre énergie.
Hirsute et noir, silencieux et avare de gestes, exécrateur victimaire du propos banal et de la rengaine, il portait sur l'extrémité de sa langue une catapulte pour lancer d'erratiques monosyllabes qui vous crevaient à l'instant même une conversation d'imbéciles. Bouche close, narines vibrantes, sourcils presque barrés et entrant l'un dans l'autre à la plus légère commotion, il avait parfois des colères muettes et blanches de séditieux comprimé qui eussent donné la colique à un éventrable despote. En ces rencontres, le cannibale sortait du rêveur, instantanément.
* Pourquoi une majuscule ? Un ergastule est une caserne servant à l'hébergement des groupes d'esclaves employés aux travaux des champs dans l'Italie antique. C'est aussi une prison souterraine, un cachot dans l'Antiquité romaine.
Promission : Promesse (je prenais des campanules pour des fleurs de la passion.
Circé : Sorcière et enchanteresse.
20:00 Publié dans Textes | Lien permanent | Commentaires (3) |
Commentaires
IL s'agit de Léon Roy. Un natif de Dordogne. Il a fréquenté Huysmans.
Tu nous prépares à la lecture du livre de Houellbecq ! Dans Libé ce jour, plusieurs pages sur ce livre où le personnage principal est un prof spécialiste d'Huysmans.
Écrit par : Aredius | 03/01/2015
Bravo. Bon, c'est Bloy, un typo. C'est dans le désespéré, un livre assez fascinant par le style. Via latte mentionne Léon Bloy deux ou trois fois dans LaMontagne.
Écrit par : Joel | 03/01/2015
A la même époque on trouve plusieurs écrivains de ce type.
Aujourd'hui on a des spécialistes de la pipeautique et de la zéphologie, et ça paye !
http://www.berthomeau.com/article-chap-15-operation-chartrons-de-francois-mitterrand-alain-juppe-le-cynisme-lui-a-toujours-tenu-lieu-d-125307946.html
Écrit par : Aredius | 04/01/2015
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