24/11/2012
Sport
Un texte de Jacques Perret piqué sur le site qui lui est consacré. Un texte dans lequel tous les sportifs conceptuels se reconnaîtront et que n'aurait pas renié Oscar Wilde qui disait : "Le seul sport que j'ai pratiqué dans ma vie, c'est d'avoir marché derrière le corbillard de mes amis sportifs.
« …je ne suis pas ce qu'on appelle un sportif, au sens plein du mot. Et pourtant je suis habité par le concept du sport, un concept de classe internationale, capable de marquer un drop-goal à quatre-vingts mètres et de réussir deux cent cinquante kilos à l'arraché, sans toutefois que la performance dépasse les limites réglementaires du concept. Si vous préférez, ma sportivité serait plutôt virtuelle et mon sportisme une disposition de l'âme, une latence dans la texture de mon en-moi le plus passionnément velléitaire. Du point de vue de l'amateurisme, il est évident que mon affaire est d'une pureté remarquable. Du point de vue strictement concret, en revanche, disons que j'arrive tout doucettement à l'âge où on enlève un cent mètres en trois minutes cinquante-neuf secondes, avec une pelure d'oignon au départ et un bordeaux rouge à l'arrivée.
N'importe comment, il n'est pas nécessaire de pratiquer les sports pour en admirer les instruments. Dans un autre genre, on peut s'intéresser à la devanture d'un luthier sans être violoniste, et, pour un esprit libre, contempler une vitrine de pompes funèbres n'engage à rien ; mais quand même, vous aurez senti en vous s'ébrouer je ne sais quelle disposition ineffable à la musique ou à la mort. Devant un étalage d'articles de sport, les plus détachés de la réalité sportive se sentent parcourus de secrètes aptitudes à coiffer tous les palmarès et, personnellement, dans une musculature plutôt moyenne, je perçois le gonflement prestigieux de mon complexe athlétique avec toutes les démangeaisons et les picotements distinctifs de l'influx olympique. J'avais l'étoffe d'un champion, c'est indiscutable, et j'ai bêtement perdu ma jeunesse à différer le choix de ma spécialité en interrogeant les devantures de magasins de sport sans pouvoir me décider.
Ce qu'il aurait fallu pour satisfaire ma passion indéfinie, c'est une panoplie à la fois récapitulative et synthétique, un équipement polysport comprenant, par exemple, escarpins cyclistes, jambières de hokey, visière de tennis, lunettes sous-marines et gants de boxe, ensemble étudié pour disputer le championnat de cyclo-tennis nautique à coup de crosse en dix rounds pour le titre des stayers bantams en piscine de terre battue. Là comme ailleurs, hélas ! je suis trop en avance sur mon siècle et il n'est pas de club pour entrainer les gens comme moi, challenger de l'absolu. Comment trouver un adversaire et où trouver l'arbitre ? A la rigueur on peut se passer d'adversaire, mais l'arbitre est indispensable, surtout quand il n'y a pas d'adversaire, car, au rebours de l’opinion commune, on triche volontiers quand on court après son ombre, et le boxeur de soi-même est tenté par les coup bas.»
Le vélo, in Le Machin, Gallimard, Paris, NRF
(Le Machin est la source du vistemboir sans e.)
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