18/02/2008
Ponticelli
« Cette guerre, on ne savait pas pourquoi on la faisait. On se battait contre des gens comme nous»
Sous les pressions amicales, Lazare Ponticelli a finalement accepté qu'on lui fasse des funérailles nationales. Donc les beaux parleurs et futurs fauteurs de guerre vont encore pouvoir nous abreuver de leur grands discours creux sur le patriotisme. Il a refusé à le Panthéon, c'est déjà ça.
J'ai relu la vie de Lazare Ponticelli, le dernier poilu français mais aussi en passe de devenir le dernier italien. J'ai découvert qu'il a vécu des choses sur le front autrichiens que racontait au compte-goutte mon grand-père uniquement quand il avait un peu trop bu.
Né à Bettola, petite ville du nord de l'Italie dans la région de Plaisance, dans une famille très pauvre de sept enfants Ponticelli vivait à Cordani, village de montagne.
Dès le début de la Première Guerre mondiale, en trichant sur son âge, il s'engagea dans le premier régiment de marche de la Légion étrangère, de Sidi-Bel-Abbès, où il retrouva d'ailleurs l'un de ses frères, et fut envoyé sur le front à Soissons.
En mai 1915, il se trouve près de Verdun, quand on lui annonce qu'il est démobilisé. L'Italie vient en effet d'entrer en guerre aux côtés des Alliés et il doit rejoindre son pays. Comme il refuse de quitter l'uniforme français, c'est entre deux gendarmes qu'il est escorté jusqu'à Turin. Versé dans le 3e régiment de chasseurs alpins («Gli Alpini», le régiment de mon grand-père?), il est envoyé dans les montagnes du Tyrol pour se battre contre les Autrichiens. «Nous n'avions aucun compte à régler avec ces pauvres gars et beaucoup de mes camarades du Tyrol italien parlaient l'allemand, poursuit Lazare. Avec des élastiques, nous leur avons envoyé des messages écrits: "Pourquoi on se bat? "»
Pendant trois semaines, Italiens et Autrichiens vont fraterniser, échangeant des boules de pain contre du tabac, organisant même des patrouilles mixtes à skis. Punie par l'état-major, sa compagnie est envoyée à Monte Cucco (aujourd'hui en Slovénie), un secteur âprement disputé. Là, il reste pendant une cinquantaine d'heures agrippé à sa mitrailleuse Fiat pour empêcher les Autrichiens d'écraser les Alpini montés à l'assaut. Atteint à la joue par un éclat d'obus, aveuglé par son sang, il tire sans relâche. 200 Autrichiens finissent par se rendre. Lazare est relevé, opéré à vif, puis envoyé en convalescence à Naples.
Retour au front en 1918, au terrible Monte Grappa, dans les Préalpes vénitiennes. «Des hommes, touchés par les gaz, gonflaient et mouraient par paquets. Ceux qui arrivaient derrière étaient obligés de leur marcher dessus. Les corps éclataient comme des ballons...», relate le vieux soldat. Une larme coule de ses yeux fatigués d'avoir vu tant de souffrances. (*) C'est pourtant là, sur le Monte Grappa, qu'il criera sa joie d'apprendre la fin de la guerre.
Lazare revient d'entre les morts. Réserviste, il ne rentre en France qu'en 1920. L'année suivante, il crée avec Céleste et Bonfils, leur cadet, Ponticelli Frères, une société de chauffage et de tuyauterie, qui est aujourd'hui une multinationale de 2 000 salariés spécialisée dans le pétrole et le nucléaire. Naturalisé français en 1939, l'ancien combattant mène, pendant l'Occupation, puis la Libération de Paris, des actions de résistance. Il prend sa retraite dans les années 1960, et reste dans ce département du Val-de-Marne où sont installés de nombreux Italiens originaires des environs de Plaisance, comme lui. Là-bas, du côté de sa ville natale de Bettola (jumelée avec Nogent-sur-Marne), peu de jeunes connaissent le destin de cet enfant du pays, rarement revenu en Italie.
(*) Ce passage m'a rappellé Uomini Contro le film de Rosi qui dénonce les horreurs inutiles pour la prise de la colline de Montefiore sous les ordres d'un général stupide, les mutineries, les exécutions qui s'ensuivent. Avec 2800 soldats fusillés pour l'exemple, l'Italie détient le record de 14-18 (Angleterre 1800, France 2500 condamnations dont 600 exécutées).
01:00 Publié dans Au fil de la toile | Lien permanent | Commentaires (5) |
Commentaires
Merci de ce texte . Cela me fait penser à "Sang Noir" paru en 35 de Louis Guilloux qui décrit aussi une permission de "Poilus", suivie de l'horreur du retour, des rares tentatives de mutineries . Un grand bouquin
Écrit par : Rodrigue | 18/02/2008
Salut Rodrique,
Le sang noir est un livre qui mérite d'être lu et relu...
J'en ai parlé ici:
http://www.google.com/search?q=sang+noir&btnG=ok&domains=http%3A%2F%2Fperinet.blogspirit.com%2F&sitesearch=http%3A%2F%2Fperinet.blogspirit.com%2F
Écrit par : Joël | 18/02/2008
J'ai eu la "chance" d'habiter dans ces régions de glaise où se sont déroulés les pires combats de France et j'ai compris sur le terrain ce dont mon grand-père me parlait. Il avait été estafette au Chemin des Dames et a découvert un petit matin d'horreur tous ses compagnons de tranchée gazés. Il m'a raconté aussi le point d'eau entre les tranchées et la fraternisation avec ses frères Allemands... et tant d'autres choses.
On peut citer aussi les Sentiers de la Gloire, et le tout récent "Fragments d'Antonin" qui parle d'à peu près tout.
Écrit par : fardoise | 20/02/2008
Je n'ai pas vu Fragment d'Antonin. A vrai je ne connaissais pas. Pour ceux qui sont comme moi, un lien:
http://www.zerodeconduite.net/blog/index.php?itemid=10729&iurl=Les+fragments+d'Antonin
Écrit par : Joël | 20/02/2008
« Cette guerre, on ne savait pas pourquoi on la faisait. On se battait contre des gens comme nous»
Retour à Prévert:
Rappelle-toi Barbara
N'oublie pas
Cette pluie sage et heureuse
Sur ton visage heureux
Sur cette ville heureuse
Cette pluie sur la mer
Sur l'arsenal
Sur le bateau d'Ouessant
Oh Barbara
QUELLE CONNERIE LA GUERRE
Écrit par : Antoine | 13/03/2008
Les commentaires sont fermés.