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03/12/2005

Eléphant 2

NAIROBI (AFP) - La croissance économique de la Chine et l'augmentation du pouvoir d'achat de ses habitants, traditionnellement amateurs d'objets en ivoire, constituent "une grande menace pour les éléphants de forêt africains"

Monsieur et cher éléphant,

(...)Si l'homme se montre capable de respect envers la vie sous la forme la plus formidable et la plus encombrante - allons, allons, ne secouez pas vos oreilles et ne levez pas votre trompe avec colère, je n'avais pasl'intention de vous froisser - alors demeure une chance pour que la Chine* ne soit pas l'annonce de l'avenir qui nous attend, mais pour que l'individu, cet autre monstre préhistorique encombrant et maladroit, parvienne d'une manière ou d'une autre à survivre.

Il y a des années, j'ai rencontré un Français qui s'était consacré, corps et âme, à la sauvegarde de l'éléphant d'Afrique. Quelque part, sur la mer verdoyante, houleuse, de ce qui portait alors le nom de territoire du Tchad, sous les étoiles qui semblent toujours briller avec plus d'éclat lorsque la voix d'un honlmee parvient à s'élever plus haut que sa solitude, il me dit : "Les chiens, ce n'est plus suffisant. Les gens ne se sont jamais sentis plus perdus, plus solitaires qu'aujourd'hui, il leur faut de la compagnie, une amitié plus puissante, plus sûre que toutes celles que nous avons connues. Quelque chose qui puisse réellement tenir le coup. Les chiens, ce n'est plus assez. Ce qu'il nous faut, ce sont les éléphants, et qui sait, il nous faudra peut-être chercher un compagnonnage infiniment plus imposant, plus puissant encore..."

Je devine presque une lueur ironique dans vos yeux à la lecture de ma lettre. Et sans doute dressez-vous les oreilles par méfiance profonde envers toute rumeur qui vient de l'homme. Vous a-t-on jamais dit que votre oreille a presque exactement la forme du continent africain? Votre masse grise semblable à un roc possède jusqu'à la couleur et l'aspect de la terre, notre mère. Vos cils ont quelque chose d'incongru qui fait presque penser à ceux d'une fillette, tandis que votre postérieur ressemble à celui d'un chiot monstrueux.

Au cours de milliers d'années, on vous a chassé pour votre viande et votre ivoire, mais c'est l'homme civilisé qui a eu l'idée de vous tuer pour son plaisir et faire de vous un trophée. Tout ce qu'il y a en nous d'effroi, de frustration, de faiblesse et d'incertitude semble trouver quelque réconfort névrotique à tuer la plus puissante de toutes les créatures terrestres. Cet acte gratuit nous procure ce genre d'assurance « virile » qui jette une lumière étrange sur la nature de notre virilité.

Romain Gary -1968- * A quelle Chine fait-il référence ?

 

02/12/2005

Eléphant 1

Je suis en train de lire une lettre de Romain Gary datée de 1968 et aujourd'hui je tombe sur:

 

 

 

NAIROBI (AFP) - La croissance économique de la Chine et l'augmentation du pouvoir d'achat de ses habitants, traditionnellement amateurs d'objets en ivoire, constituent "une grande menace pour les éléphants de forêt africains"

Monsieur et cher éléphant,

(...)Nous ne nous sommes plus jamais rencontrés, et pourtant dans notre existence frustrée, limitée, contrôlée, répertoriée, comprimée, l'écho de votre marche irrésistible, foudroyante, à travers les vastes espaces de l'Afrique, ne cesse de me parvenir et il éveille en moi un besoin confus. Il résonne triomphalement comme la fin de la soumission et de la servitude, comme un écho de cette liberté infinie qui hante notre âme depuis qu'elle fut opprimée pour la première fois.

J'espère que vous n'y verrez pas un manque de respect si je vous avoue que votre taille, votre force et votre ardente aspiration à une existence sans entrave vous rendent évidemment tout à fait anachronique. Aussi vous considère-t-on comme incompatible avec l'époque actuelle. Mais à tous ceux parmi nous qu'écoeurent nos villes polluées et nos pensées plus polluées encore, votre colossale présence, votre survie contre vents et marées, agissent comme un message rassurant. Tout n'est pas encore perdu, le dernier espoir de liberté ne s'est pas encore complètement évanoui de cette terre, et qui sait, si nous cessons de détruire les éléphants et les empêchons de disparaître, peut-être réussirons-nous également à protéger notre propre espèce contre nos entreprises d'extermination.