29/11/2005
Un Dieu voyageur
J'avais envie de partager ce beau texte du
Traité d'athéologie
de Michel Onfray.
C'est un peu long, je m'en excuse, mais je ne savais pas ce que je pouvais couper donc j'ai tout mis
Cartes postales mystiques.
J'ai souvent vu Dieu dans mon existence. Là, dans ce désert mauritanien, sous la lune qui repeignait la nuit avec des couleurs violettes et bleues; dans des mosquées fraîches de Benghazi ou de Tripoli, en Libye, lors de mon périple vers Cyrène, la patrie d'Aristippe; non loin de PortLouis, à l'île Maurice, dans un sanctuaire consacré à Gamesh, le dieu coloré à trompe d'éléphant; dans la synagogue du quartier du ghetto, à Venise, une kippa sur la tête; dans le choeur d'églises orthodoxes à Moscou, un cercueil ouvert dans l'entrée du monastère de Novodievitchi, pendant que priaient à l'intérieur la famille, les amis et les popes aux voix magnifiques, couverts d'or et nimbés d'encens; à Séville, devant la Niacarena, en présence de femmes en larmes et d'hommes aux visages extatiques, ou à Naples, dans l'église Saint-Janvier, le dieu de la ville construite au pied du volcan, dont le sang, dit-on, se liquéfie à dates fixes; à Palerme, au couvent des Capucins, en défilant devant les huit mille squelettes de chrétiens revêtus de leurs plus beaux vêtements ; à Tbilissi, en Géorgie, où on invite le passant à partager la viande de mouton sanguinolente cuite à l'eau sous les arbres dans lesquels les fidèles ont accroché des petits mouchoirs votifs; place Saint-Pierre, un jour où j'avais négligé le calendrier : je venais pour revoir la Sixtine, c'était le dimanche de Pâques, Jean-Paul II vocalisait ses glossolalies dans un micro et exhibait sa mitre effondrée sur un écran géant.
J'ai vu Dieu ailleurs, aussi, et autrement : dans les eaux glacées de l'Arctique, lors de la remontée d'un saumon pêché par un chaman, abîmé par le filet, et rituellement remis dans le cosmos d'où on l'avait prélevé; dans une arrière-cuisine de La Havane, entre un agouti crucifié et fumé, des pierres de foudre et des coquillages, avec un officiant de la santeria; en Haïti, dans un temple vaudou perdu dans la campagne, parmi des bassines tachées de liquides rouges, dans des odeurs âcres d'herbes et de décoctions, entouré de dessins effectués dans le temple au nom des loas; en Azerbaïdjan, près de Bakou, à Sourakhany, dans un temple zoroastrien d'adorateurs du feu; ou encore à Kyoto, dans les jardins zen, excellents exercices pour la théologie négative.
J'ai vu également des dieux morts, des dieux fossiles, des dieux hors d'âge : à Lascaux, sidéré par les peintures de la grotte, ce ventre du monde dans lequel l'âme vacille sous les couches immenses du temps ; à Louxor, dans des chambres royales, situées à des dizaines de mètres sous terre, hommes à têtes de chien, scarabées et chats énigmatiques en veille ; à Rome, dans le temple de Mithra tauroctone, une secte qui aurait pu transformer le monde si elle avait disposé de son Constantin ; à Athènes, en gravissant les marches de l'Acropole et en me dirigeant vers le Parthénon, l'esprit plein du lieu où, en contrebas, Socrate rencontra Platon...
Nulle part je n'ai méprisé celui qui croyait aux esprits, à l'âme immortelle, au souffle des dieux, à la présence des anges, aux effets de la prière, à l'efficacité du rituel, au bien-fondé des incantations, au contact avec les loas, aux miracles à l'hémoglobine, aux larmes de la Vierge, à la résurrection d'un homme crucifié, aux vertus des cauris, aux forces chamaniques, à la valeur du sacrifice animal, à l'effet transcendant du nitre égyptien, aux moulins à prière. Au chacal ontologique. Nulle part. Mais partout j'ai constaté combien les hommes fabulent pour éviter de regarder le réel en face. La création d'arrière-mondes ne serait pas bien grave si elle ne se payait du prix fort : l'oubli du réel, donc la coupable négligence du seul monde qui soit. Quand la croyance fâche avec l'immanence, donc soi, l'athéisme réconcilie avec la terre, l'autre nom de la vie.
20:50 Publié dans Onfray | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : littérature |
Commentaires
Joli texte en effet et surprenant sous la plume de quelqu'un qui se dit athée. On se dit que c'est presque dommage.
Écrit par : Antoine | 30/11/2005
"L'autre nom de la vie" n'est-il pas... l'autre nom de Dieu!
Merci pour ce beau texte! Sublime!
Écrit par : Bergamote | 01/12/2005
Merci pour ces commentaires.
Bergamote, ça fait plaisir de te retrouver ici, j'aime beaucoup ton blog.
Écrit par : joël | 01/12/2005
michel onfray reste un verbieur: ce n'est pas en énumérant une série de cartes postales qu'on peut se revendiquer philosophe:
l'athéiste n'est qu'un croyant négatif et rien d'autre.
les deux plus grands massacreurs de l'histoire s'appellent hitler et staline, pour mémoire.
aujourd'hui, cette "brillante" "civilisation" occidentale, admiratrice d'idoles nommées "valeurs" laisse crever de faim 135 millions de personnes par an qu'elle a les moyens de nourrir depuis plus de 30 ans.
pourquoi michel onfray ne compare-t-il pas ces faits aux croyances diverses et variées qu'il dénonce?
pourquoi onfray ne se contente-il pas d'essayer de répondre à la question "qui suis-je?"
pourquoi michel onfray croit-il à tort être un corps+un mental, alors que ceci n'est qu'un mécanisme fonctionnant en mode automatique?
pourquoi onfray n'est-il pas capable de lire dans le mot diable le mot moderne mental et dans le terme démons le néologisme projections et délires mentaux?
michel onfray n'est qu'un esclave de l'illusion sans aucune volonté oecuménique. michel onfray est un vendeur de salades de bas étage.
michel onfray est un fonctionnaire ayant trouver un moyen d'ajouter du beurre à ses épinards, rien de plus.
Écrit par : gmc | 03/01/2006
Gmc,
Qui es-tu pour te décerner de tels oscars
Qu'est-ce donc que cet afflux de mauvais noir?
Écrit par : Verbeux | 04/01/2006
personne et c'est suffisant; ceci n'est pas du mauvais noir, c'est un point de vue
Écrit par : gmc | 10/01/2006
Pour une discussion critique des textes d'Onfray:
http://bernat.blog.lemonde.fr
Écrit par : bernat-winter | 27/02/2006
Les commentaires sont fermés.