14/04/2007
Mon Croaïzu
J'ai retrouvé ce texte dans mes archives écrit en patois savoyard donc en arpitan.
Un texte retrouvé grace à un de ces instituteurs qui faisaient soit-disant la chasse au patois mais qui avaient aussi une grande culture et une grande tolérance.
En mémoire d'Albert (de Rumilly) qui a dit ce texte, en patois (de Rumilly bien sûr) par un beau soir des années 80 à la MJC de Saint Julien
C'est un peu long mais je ne me suis pas senti de le couper.
Mon Croaïzu
- Le craizu était une petite lampe à huile -
A Eclié, pet dzot los egrâ,
Saquin jhor qu'd'itou égarâ,
D'avou fé la travaille
D'on viœu croaizu, qu'dromsive i
(Lo rat avo radia son Jaret)
Parmi d'atre faraille.
A Ecle, dessous les escaliers,
L'autre jour où je m'étais égaré,
J'ai fait la découverte
D'un vieux Croaizu qui dormait là
(Les rats avaient mangé sa mèche)
Parmi d'autres ferrailles.
Avoé grand suet, d't'é ramassâ,
Drolo croaïzu dé tèp passâ,
Viœu souveni d’famille
T'itâ coffo, t'fassâ pétia ;
Mais, yeuré que d'tai biet nétia,
Ton couivro jhauno brille !
Avec grand soin, je t'ai ramassé,
Drôle de Croaizu des temps passés,
Vieux souvenir de famille !
Tu étais sale, tu faisais pitié ;
Mais à présent que je t'ai bien nettoyé,
Ton cuivre jaune brille !
T'mé rappelle mon juéno tèp,
Pourra croaïzu ; ya jha longtèp
Qu'no sin d'villié congnsance !
D't'avaï rtrovâ, d'sé tot contèt ;
S'té vu, no bliagrin on momet,
To dou, dvant la crédance.
Tu me rappelles ma jeunesse,
Pauvre Croaizu ; il.y a déjà longtemps
Que nous sommes de vieilles connaissances
De t'avoir retrouvé, je suis bien content ;
Si tu veux, nous allons blaguer un moment;
Tous les deux devant la crédence.
U mai d’juet, pé rna bella né,
Quaque tèp après la miné,
Dejha l'pollet çhantâve ;
A pu-pré on hoeura avant jhor,
Quand ma mâre m'a mta u jhor,
E ton faret qu'mallmâve !!
Au mois de juin, par une belle nuit,
Un peu après minuit,
Le coq chantait déjà ;
A peu près une heure avant le jour,
Quand ma mère me mit au monde,
C'est ta mèche qui m'a éclairé !
Yœu-tou qu'ya l'tèp, quand rli faret
S'argalâve d'houillo d'navet,
Dzot la granda chospance !
Yœu-tou qu'ya rlé grandé veillé,
Quand los garçon, lé juéné flié,
Çhantivo loeu romance !
Où est le temps, quand cette mèche
Se régalait d'huile de navet (colza),
Dessous la grande suspension !
Où est-ce qu'il y avait les grandes veillées
Quand les garçons, les jeunes filles,
Chantaient leurs romances !
L'hivé, t'a viu faire d'bennon,
D'ruçhe, d'croblié et d'cavagnon ;
Viu pelâ lé çhatagne.
T'a viu bleyï los éçhangliu,
T'a viu lo gromaillon trizu
Tontbâ diet lé cavagné !
L'hiver, tu as vu faire des bannes,
Des ruches, des corbeilles et des paniers ;
Vu éplucher les châtaignes.
Tu as vu tailler les chénevottes,
Tu as vu les cerneaux (de noix) triés
Tomber dans les corbeilles !
Ntra famille étaï u compliet.
Su l'cul d'on lopin, to solet,
T'fassâ brilli ta l'mire,
Quand diet l'pélo, lot assèbliâ
Ptiou et grand, n'z'itô attabliâ
Su la granda pâtire !
Notre famille était au complet.
Sur le fond d'un pot(1), tout seul,
Tu faisais briller ta lumière,
Quand dans la salle à manger, tous assemblés
Petits et grands, nous étions attablés
Autour du grand pétrin !
Daipoé lor, adiu lo croaïzu ;
L 'pétrole qu'vos a soffliâ dsu
A etoffâ vitré fâre !
Maï tot-pari, on jhor qu'met taï,
D'naraï pliet d'houillo et d'mar mortraï
P'allâ rjuèdre ma mâre !
Depuis lors, adieu les Croaïzus ;
Le pétrole qui vous a soufflé dessus
A étouffé vos mèches !
Moi aussi, un jour, comme toi,
Je n'aurai plus d'huile et je mourrai
Pour aller rejoindre ma mère !
D't'é prometto qué quand d'saraï
Prêt à mori, d't'é rallmeraï.
Pisqué t'ma viu taï mêmo
Vgnï à çti monda tot ptiollet,
Su maï t'veillré, mon croaïzollet,
A rli momet suprémo!!!
Je te promets que quand je serai
Sur le point de mourir, je te rallumerai
Puisque tu m'as vu toi-même
Venir en ce monde tout petiot,
Sur moi tu veilleras, mon petit Croaizu,
A ce moment suprême !!!
Ecle, le 26 mai 1905.
Aimé Marcloz d'Ecle (1856-1906)
(1) voir dessin
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