13/08/2008
Pointe Blanche
Une autre note sur l’épopée de dimanche à la pointe blanche. La photo montre la désescalade dans une phase cruciale. Photo prise par Raymonde, René étant très occupé avec les pieds de Josie. Le texte suivant de Josie décrit avec talent à quel point l’aventure fut pleine de drame.
Encre Noire pour une Pointe Blanche
Pris au col, le chemin court d'abord allégrement à travers la prairie.
J'entame joyeusement la marche, vivifiée par la brise et l'amitié de ceux qui me lient à leur bonheur, les amis de coeur, quinquas et sexas, à qui la montagne sait livrer ses secrets sous leurs semelles de randonneurs.
Bon début, donc, que le poids relatif du sac et l'esprit détaché de soucis oubliés n'entachent d'aucune lourdeur. Le ciel a la couleur de la mer, c'est un signe porteur... Je m’élève dans la légèreté, portée par la croyance que la course sera à la hauteur de ma forme , une belle balade de jambes alertes, bénéfique à mon corps amolli par quinze jours ensablés dans l'océan de la Galice.
Après un dénivelé d'environ 500 m, nous voici déjà au pied de la Belle, grisée de ses rochers hautains. Jusqu'ici tout va bien...
Mais le chemin se fait maintenant bien plus raide que mes douces pensées envers les montagnes aimées de ma jeunesse. Qu'il monte, passe encore, l'épreuve a toute sa normalité ! mais qu'il s'acharne à semer ses caillasses, ça n'est pas prévu dans mon programme mental ! Mes pieds piétinent, reculent, s'empierrent sans repère. Mes genoux se mettent à grincer et les dents font pareil, les mollets se raidissent, le coeur s'échauffe. Et je deviens bête... comme mes pieds, avec en tête les pensées des grands panseurs de santé : vivre chaque minute d'effort au plus près du corps car c'est lui qui mène l'affaire, il suffit de n'être qu'avec lui, entièrement dans la confiance de ses ressources. Tu parles! Le corps crie ses efforts sans pour autant me ressourcer, j'endure et j'en bave... comme un crapaud dans le désert.
Je suis belle dernière, suivant au pas le tracé persévérant et sage de Mimi qui avance lentement mais sûrement, me nourrissant de son attention et d'amendes et raisins requincants.
Mais ça se corse encore dans une montée de plus en plus dure et le sentier, non content d'être ardu, devient revêche dans son lit de pierres, fuyantes sous les souliers, histoire de nous rappeler que le sommet se mérite et qu'il ne suffit pas de dire « oh, la belle pointe! » mais de la faire!!
René m'a rejointe et suit ma pénible avancée. Bienfaiteur de la grimpe, il accompagne mes suées de conseils avisés. Je suinte de partout. Le corps sait sa douleur et ne la retient plus.
Hoquet sur rochers et envie de vomir la prétention à cette ascension qui me cogne maintenant aux bords de mes limites. Même l'expression « péter de trouille » prend son sens littéral: j'évente de pets foireux les narines de mon souteneur.
Mais l'allant du René a ses pouvoirs magiques. Après fortes poussées, aidée de la bienveillance des copines et les encouragements concoctés par la « cohésion du groupe », j'atteins presqu'en rampant- enfin!- le sommet que Lulu m'a vanté et vendu dans sa bucolique description de la veille.
La pointe blanche, au pic plutôt émoussé, me fait voir rouge, dans la chauffe d'un mauvais sang.
D'avoir pu la monter, j'attends d'elle un plaisir digne de tout ce que j'ai sué pour l'atteindre.
Mais à l'avoir maudite, je ne la trouve plus du tout sexy, ni dans sa forme aussi figée que la mienne, ni dans l'accueil austère qui reçoit mon corps meurtri. Un vent violent envole mes dernières tentatives à la vouloir aimante. Je la classe en pierre noire sur mon chemin de vie.
Pourtant, je dois le reconnaître, l'environnement est magnifique, cercle sacré par toutes les autres pointes montagneuses qui rappellent la modestie de se sentir petit devant leur majesté.
Oui, la vue est unique à ceux qui la méritent!
Bon! Je compte sur le repos et le pique-nique pour retrouver la certitude que mes coups de reins valaient mes peines, mes peurs et mes suées.
Niet! Car il faut tout de suite redescendre avant que « ça refroidisse ».
Dont acte! J'essuie mes larmes, je mouche la morve de ma régression infantile et je suis le groupe.
Vous dire que la descente sera pire que la montée est une énorme vérité qui s'affiche à mes yeux dès les premiers pas engagés vers le bas.
Le bas? Il ne se voit pas, je le soupçonne au fin fond d'un abîme, loin, très loin de mes certitudes... D'habitude, j'aime les descentes et mes pieds connaissent mon allure quand ils vont vers le plaisir d'une bonne bière à l'arrivée!
Mais là, face au Vide, gouffre aspirant et attirant, c'est une autre bière qui me vient à l'esprit.
La peur revient en force, le mental galope au plus noir des pensées.
Je suis chiffe molle et jambes coupées.
Je m'accroche à mes guides, Bernard, d'abord qui s'essaie en vain à se faire écouter et de nouveau René ... les hommes sont mes secours mais je n'y crois plus guère. Que peuvent ils pour ce que je suis, dans cette heure mortifère, petite fille qui a régressé de 50 années, pleurant ses angoisses et l'attention des autres. J'essaie de me raisonner mais la vague aspirée du plus profond de mes peurs archaïques me submerge et me déraisonne...de vieux démons s'agrippent en sangsues dévorantes.
Grâce pourtant d' un moment de répit où je crois enfin être au bout de mes peines.
Mais non, ça se corse de plus belle par une désescalade obligée. Obligée? Non, je ne le ferai pas! Autant sauter, qu'on en finisse!
Où est cette voie du milieu qui me donnerait une alternative? Le miracle d'un envol hors de ce trou rempli de vide? Mais pas de choix, il faut passer !
Derrière moi, Lulu se réjouit des bouquetins et me tient la jambe pour divertir ma panique.
Joël me rappelle la force élémentaire du physique pour conjurer les mauvais esprits : concentration entière sur la terre. Retrouvailles avec le cerveau reptilien, organe de survie à sortir de son sac quand le péril sonne en la demeure...
« Sans le senti, le mental ment! » tiens, ma petite phrase fétiche prend ici un nouveau sens : sentir sans ressentir. Les mains pour l'accroche et les pieds au sol... mais le sol se dérobe ou du moins je me dérobe à lui.
Le « René » me prend en mains et aux chevilles pour fixer, pas après pas, mes godillots aux assises du rocher. Je tourne le dos au vide et suspendues à la roche, je comprends qu'en effaçant de mon mental l'image vertigineuse qui me tient lieu de décor arrière, je retrouverai un brin d'assurance.
Plus loin devant moi, la force tranquille des femmes du groupe me montre le chemin.
J'admire d'ailleurs leur avancée silencieuse et concentrée face à laquelle mes râles et mes larmes prennent un ton détonnant, certainement perçu en fausses notes incongrues là où la maîtrise s'impose. Les copines me donnent ainsi sans le vouloir une leçon de retenue, que je ne retiens pas...
Je progresse tout de même jusqu'au pied de l'hostile façade... et là où je croyais la fin de mon calvaire et la grande résurrection, l'évidence du vide, encore lui, me souffle à plein visage
Non, ce n'est pas encore le bout du bout et le trouver nous fera passer par le chas de l'aiguille, au fil du rasoir et à deux pas du col qui porte le même nom et qui va le tranchant de son appellation!
Les bouquetins nous ravissent et me narguent. Pourquoi ne serais-je pas cet animal aux pattes agiles qui sait si bien sauter les rocheuses épreuves?
Maintenant, le sentier avance péniblement dans un pierrier de poussières caillouteuses qui permettrait le risque d'oser le descendre « en ramasse » pour autant que la pente ne nous affole pas.
La trouille et la fatigue me retiennent, me vissent, me clouent et j'avance au pas lent de celle qui ne sait plus marcher.
Mais elle arrive enfin... la prairie attendue, vertueuse et généreuse de son herbeuse couche et de d'un coin de pause pour compenser en vins et victuailles l'énergie dépensée.
Ah! le goût du repas et du repos, pris dans l'humeur joyeuse et riante de la cohésion du groupe pour donner de la langue à ce qui s'est vécu et vaincu.
J'arrose de paroles la solide conviction que s'ils n'étaient pas là, je n'y serai plus et je salue les dieux pour ces instant bénis où les maux se ridiculisent dans une mignardise à la saveur si subtile qu'on hésite à l'avaler, dans une salade de pâtes qui nous fait regretter l'italien de notre enfance, dans un cake fait maison comme je n'ai jamais su le faire.
La pointe est derrière moi... les amis sont devant et je me sens un peu caqueuse de mon irrationnel émoi et moi et moi... je jure que cette pointe, je ne la referai pas mais, dans le fond de ma vérité présente, je ne regrette surtout pas ce défi qui m'a défaite pour mieux me refaire, à la pointe de mes émotions
Merci les amis! Josie -11 Août 08
09:50 Publié dans Montagne | Lien permanent | Commentaires (6) |