Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

18/05/2007

Libération

Vingt-cinq ans...
Je revois la couleur du ciel au-dessus de Genève. La forme des arbres au bout de la rue de Carouge. Sous le soleil de ce printemps là, la nouvelle envahissait doucement la ville. En début d'après-midi, peu de gens avaient entendu la radio. Joyeuse et peu précise, la voix de ma mère téléphonant de Lausanne, sans dire bonjour :« Voilà, voilà, ça y est !»... - Allô, quoi ? qu'est-ce que tu... « Mais oui ! Ça y ,st ! C'est fini !»... - Mais qu'est-ce qui est fini, Maman !... « La guerre, mon chéri ! La guerre est finie !... »
Et ce besoin physique de le dire, immédiatement, moi aussi à quelqu'un là tout de suite sans raccrocher - dans ce téléphone encore chaud. A qui ? je ne sais plus très bien car j'ai fait le premier numéro qui me venait au coeur, mais ce devait être celui des Lauriac puisque ma mémoire â cet endroit résonne du grand rire de Rirette, ma sœur perdue.
Et puis sortir, voir, toucher des hommes, embrasser des femmes, plonger dans la foule des braves gens, partager ! ah oui ! partager cette joie qui s'est allumée dans mes tripes et qui monte à ma gorge comme un premier amour.
Dans les rues, la nouvelle gagne les passants, ouvre des boutiques, arrête un couple, rattrape un tram, sort de la pharmacie, me bouscule, disparaît dans une allée, monte dans les étages, saute du 5e, ne rejoint aux Bastions, me devance à la Corraterie, déboule dans les Rues Basses, voilà, voilà, ça y est, la guerre est finie, à bas les Boches, vive la France, le Molard sort ses drapeaux, la foule arrive Je partout sans savoir où elle va, revient sur ses pas, cherche à ~avoir ou ça va se passer...


Car enfin il faudrait bien que quelque chose se passe, n'est-ce pas, puisqu'on est tous venu pour ça !

Alors ça va se passer partout, la rue est à nous, les fenêtres pavoisent, des types se mettent à jouer de l'accordéon sur le trottoir, de bar en bistrot des bandes d'amis s'improvisent, trinquent, s'embrassent, font « Schmolitz » et repartent à la recherche d'autres amis. Ça va durer toute la nuit - dans ce grand délire des hommes qui boivent pour se jurer que le monde va devenir meilleur...
Toute la nuit, nous avons bu au bonheur de la France, à la grandeur de l'Amérique, au courage des Anglais, à l'héroïsme des Russes. Nous avons arrosé l'Europe future, inondé l'Humanité de demain, noyé la Victoire du Bien sur le Mal.

Délivrée du nazisme, la Terre des Hommes de bonne volonté allait connaître enfin la Paix, la justice, le Bonheur !
Nous avons bu toute la nuit - jusqu'au matin radieux de ce nouveau printemps qui se levait sur un monde fraternel.
Il y a vingt-cinq ans.

Nous avons bu toute la nuit.

Mais c'est aujourd'hui que j'ai la gueule de bois...

Jack Rollan - Bonjour publié dans "La Suisse" 9 mai 1970

11:15 Publié dans Textes | Lien permanent | Commentaires (2) |

Commentaires

Quel texte! Et cette finale! Magnifique.

Écrit par : alain bagnoud | 18/05/2007

Frissons nondidiou ! Frissons que j'te dis !

Écrit par : libou | 18/05/2007

Les commentaires sont fermés.