11/10/2008
Voyages
Les voyages selon Michel de Montaigne (en français moderne) :
Moi qui voyage le plus souvent pour mon plaisir, je ne me dirige pas si mal : s'il fait laid à droite, je prends à gauche ; si je ne suis pas en état de monter à cheval, je m'arrête. Et en faisant ainsi, je ne vois en vérité rien qui ne soit aussi plaisant que ma maison. Il est vrai que je trouve toujours la superfluité superflue, et des inconvénients même dans le raffinement et dans l'abondance. Ai-je laissé quelque chose à voir derrière moi ? J'y retourne : c'est toujours mon chemin.
(…)
Ma constitution physique et mon goût se plient à tout, autant que chez n'importe qui. La diversité des façons d'une nation à autre, ne me touche que par le plaisir de la variété. Chaque usage a sa raison. Que ce soit dans des assiettes d'étain, de bois ou de terre ; que ce soit du bouilli ou du rôti ; du beurre, ou de l’huile, de noix ou d'olive, chaud ou froid, tout me plait. Au point que, en vieillissant, je me plains de cette généreuse faculté car il faudrait que la délicatesse et le choix viennent tempérer mon appétit et soulager mon estomac. Quand j'étais hors de France et que, pour me faire courtoisie, on m'a demandé si je voulais être servi "à la Françoise", je m'en suis moqué, et me suis toujours assis aux tables les plus remplies d'étrangers.
J'ai honte de voir comment les gens de chez nous sont dominés par cette sotte manie de critiquer les usages différents des leurs. Où qu'ils aillent, ils s'en tiennent à leurs habitudes, et détestent celles des étrangers. Retrouvent-ils un compatriote en Hongrie ? Ils fêtent l'événement, et les voilà qui s'allient et se liguent pour condamner toutes les mœurs « barbares » qu'ils voient. Pourquoi ne seraient-elles pas « barbares » puisqu'elles ne sont pas françaises ? La plupart ne partent que pour revenir. (…) Je voyage parce que je suis las de nos façons de vivre, et non pour chercher des Gascons en Sicile. J'en ai suffisamment comme ça chez moi. Je cherche plutôt des Grecs, et des Persans : je les aborde, je les examine. Et il me semble que je n'ai guère rencontré de manières qui ne vaillent les nôtres. Mais je m'avance un peu : car pour l'instant, c'est à peine si dans mes voyages j'ai perdu mes girouettes de vue.
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