Vanité
11/01/2008
« Car, de même que, quelque inégalité qui paraisse dans le cours des rivières qui arrosent la surface de la terre, elles ont toutes cela de commun, qu'elles viennent d'une petite origine, que dans le progrès de leur course elles roulent leurs flots en bas par une chute continuelle, et qu'elles vont enfin perdre leurs noms avec leurs eaux dans le sein immense de l'Océan où l'on ne distingue point le Rhin ni le Danube, ni ces autres fleuves renommés, d'avec les rivières les plus inconnues, ainsi tous les hommes commencent par les mêmes infirmités.
Dans le progrès de leur âge, les années se poussant les unes les autres comme des flots, leur vie roule et descend sans cesse à la mort par sa pesanteur naturelle; et enfin, après avoir fait, ainsi que des fleuves, un peu plus de bruit les uns que les autres, ils vont tous se confondre dans ce gouffre infini du néant, où l'on ne trouve plus ni Rois ni Princes ni Capitaines, ni tous ces autres augustes noms qui nous séparent les uns des autres, mais la corruption et les vers, la cendre et la pourriture qui nous égalent. Telle est la loi de la nature, et l'égalité nécessaire à laquelle elle soumet tous les hommes dans ces trois états remarquables, la naissance, la durée, la mort.
Que pourront inventer les enfants d'Adam, pour combattre, couvrir, ou pour effacer cette égalité, qui est engravée si profondément dans toute la suite de notre vie? Voici, mes Frères, les inventions par lesquelles ils s'imaginent forcer la nature et se rendre différents des autres, malgré l'égalité qu'elle a ordonnée. (…)
Dans le progrès de la vie on se distingue plus aisément par les grands emplois, par les dignités éminentes, par les richesses et par l'abondance. Ainsi on s'élève et on s'agrandit, et on laisse les autres dans la lie du peuple. Il n'y a donc plus que la mort où l'arrogance humaine est bien empêchée. Car c'est là que l'égalité est inévitable, et encore que la vanité tâche en quelque sorte d'en couvrir la honte par les honneurs de la sépulture, il se voit peu d'hommes assez insensés pour se consoler de leur mort par l'espérance d'un superbe tombeau, ou par la magnificence de leurs funérailles. Tout ce que peuvent faire ces misérables amoureux des grandeurs humaines, c'est de goûter tellement la vie, qu'ils ne songent point à la mort. (…)
C'est ainsi qu'ils se conduisent à l'égard de ces trois états; et de là naissent trois vices énormes qui rendent ordinairement leur vie criminelle. Car cette superbe grandeur, dont ils se flattent dans leur naissance, les fait vains et audacieux. Le désir démesuré, dont ils sont poussés, de se rendre considérables au-dessus des autres, dans tout le progrès de leur âge, fait qu'ils s'avancent à la grandeur par toutes sortes de voies, sans épargner les plus criminelles; et l'amour désordonné des douceurs qu'ils goûtent dans une vie pleine de délices, détournant leurs yeux de dessus la mort, fait qu'ils tombent entre ses mains sans l'avoir prévu.
4 commentaires
Somptueux!
"Vanité des vanités, tout est vanité": http://blog.legardemots.fr/post/2007/10/27/Vanite
Très beau texte.
Quelle classe ! J'avais utilisé cette même image pour un de mes posts. Amusant non ? Et chapeau pour avoir si bien résumer l'état actuel de mon blog :-) et du reste de ma vie présente d'ailleurs.
Ben , oui ! la vie !
Bisous.
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