Fuir les forêts
21/04/2006
Fuir les forêts
de
Fabrice Gabriel
(Seuil)
Selection du Livre Inter
Je ne sais pas si c’est l’éditeur qui veut ça mais les deux romans publiés au Seuil sont des objets pas faciles à résumer. Il y a six chapitres intitulés Grünewald, Nerval, David Balfour, Paris, Parsifal, Gabrielle. Chaque chapitre contient 26 paragraphes correspondant aux lettres de l’alphabet. Entrelardant ces chapitres on trouve six descriptions de photos façon exercice de style. Le frère décédé de l’auteur sert de fil rouge. On retrouve aussi quelques personnages comme l’oncle Martin, le recteur… Il ne faut pas compter sur l’auteur pour expliquer qui est qui ou décoder quoi que ce soit ni même pour traduire un quelconque mot d’allemand. Ce serait trop facile.
S’il cite un vers en allemand, un seul vers : Vom Blau, das noch sein Auge sucht... (qu’il conclu par « C'était cuistre , mais sensuel ») c’est sans traduction et il y faut la culture ou la sagacité du lecteur aidé de Google pour retrouver Paul Celan, un écrivain bien étrange de son vrai nom Paul Antschel - Ançel/l'Ange/Angjelo. Celan correspond à Ançel en roumain prononcé à l'envers où ç roumain correspond à gi en italien.
Celan est né en Bucovine dans une famille juive, il parlait toutes les langues mais mettait un point d’honneur à n’écrire qu’en allemand. Il fréquentait, René Char, Nelly Sachs, prétendait que le langage doit se libérer de l’histoire, et doit être utilisé pour mettre des mots qui répondent au silence imposé sur la situation terrible de l’Holocauste. Celan traduit Jean Cocteau, Henri Michaux, Osip Mandelstam, Guiseppe Ungaretti, Fernando Pessoa, Arthur Rimbaud, Paul Valéry, René Char, André du Bouchet, et Jacques Dupin… En 67, Celan, le juif martyrisé, rencontre le philosophe Martin Heidegger, ancien membre du parti nazi, et qui ne renia jamais cette appartenance, ce qui lui inspire le poème Todtnauberg dont est extrait le vers cité plus haut. Après la guère, il s’installe finalement à Paris, où il est professeur d'allemand à l'École normale supérieure. Il se suicide à 50 ans en se jetant dans la Seine. Voilà je viens de vous documenter une ligne du livre : « Vom Blau, das noch sein Auge sucht... C'était cuistre, mais sensuel. »
L’histoire se passe quelque part dans l'Est de la France, un Est qu’il faut fuir en le racontant, en se racontant. Les lettres de l’alphabet, les mots qui caractérisent un chapitre sont à la fin du livre. C’est fait pour que le lecteur ait envie de jouer à la devinette. C’est, à mon avis, une fausse bonne idée. On se retrouve dans la situation que connaissent bien les lecteurs de la Pléiade. On va a la fin chercher la note et on trouve « Herr und Hund » bien sûr on ne voit vraiment pas pourquoi « Herr und Hund », on cherche… manque de pot on a pas son dictionnaire franco-allemand sous la main… dommage !... D’ailleurs si on l’avait on ne serait pas avancé… On est totalement déconcentré et il faut poursuivre l’histoire, se plonger dans le paragraphe suivant, la lettre I comme Imprévu, puis J comme Jeudi ou Jankélévitch... Il aurait été bien trop simple de mettre le mot-titre en début de paragraphe avec la lettre en majuscule.
J’ai l’air critique comme ça mais je dois dire que c’est bien écrit et qu’on se prend à cette cuistrerie. Ce livre m’a plutôt moins énervé que certains. Ceci dit le prix du Livre Inter est un prix décerné par un jury populaire…
Fabrice Gabriel est agrégé de lettres et critique littéraire comme Jean Baptiste Harang d’ailleurs. Cela doit faciliter la recherche d’un éditeur.
3 commentaires
Je suis en train de lire ce roman - et j'y vois un jeu assez adroit sur les couleurs - le vert d'abord, celui des forêts qu'on fuit (d'où "Grünewald"). Riche ouvrage: votre point de vue est totalement différent du mien, mais s'avère instructif et pertinent. Merci de ce billet!
Bonjour Daniel,
C'est un aspect sympa des notes sur le blog et particulièrement des notes sur la littérature. Grâce à Google, plus le sujet est rare et plus la chance de le retrouver est grand. Inutile de chercher un article particulier sur "La recherche du temps perdu" mais sur "Fuir les forêts" ou "Citadelle" d'AJ Cronin... On se retrouve entre happy few.
http://perinet.blogspirit.com/archive/2005/06/25/a_jean-marie.html
Je découvre votre blog avec plaisir.
Merci de votre visite!
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