Paroles
25/03/2015
Chronique de la parole et parfois de la pensée
La parole date de la plus haute antiquité. Qui ne se rappelle les tournois d’éloquence des grecs et des troyens devant le mur de Troie ? Les guerriers de toutes les époques se sont lancé de magnifiques insultes. Les rois nègres, naguère, de colline en colline, s’entre-vitupéraient dans le style le plus grandiose. Les Peaux-rouges. Les apaches, Les automobilistes. Voire les marxistes-léninistes. Et même les époux en colère. Ils se traitaient, et se traitent même parfois encore, de chiens, de fils de chien, de fromages mous, de vipères lubriques, que sais-je ? D’affreux. De déviationnistes de droite. Les arabes disaient à leurs ennemis « Qu’Allah te change en vespasienne ! »
(…tous les paroles ont été dites…)
Et de toutes les choses qui ont été dites, il reste à peine, selon les bons juges, une ou deux pages qui soient valables. Je connais même un vieux monsieur qui assure qu’il ne s’est jamais écrit au monde que deux ouvrages de quelque poids, l’un dans une langue que l’on ne sait plus traduire, et l’autre qui à été brûlé dans l’incendie de la bibliothèque d’Alexandrie.
La plupart des gens, cependant, n’en continuent pas moins à parler. Depuis l’époque où naquit le langage, et qui remonte à la nuit des temps.
Selon les uns, comme Joseph de Maistre, le langage naquit avec tous ses cheveux, parfait, complet dans les moindres détails, et les idiomes que nous parlons maintenant n’en sont que des ruines et des débris.
Selon d’autres, il naquit de l’onomatopée, du cri de chasse et du ronflement, qu’on perfectionna petit à petit jusqu’à en faire ces jouets savants et instructifs ornés de règles impressionnantes dont les exceptions contradictoires font le délice des vrais gourmands.
Les Romains les ornèrent de l’ablatif absolu et de la proposition participe, les Allemands du rejet, les Chinois du hoquet, les Eskimos de l’aboiement du chien de traîneau.
Chacun y mit sa fioriture, selon son génie national. Il y eu des langues agglutinatives, des langues cumulatives, des langues distributives et des langues monosyllabiques, des langues chantées, des langues parlées, voire éternuées (comme le chinois et le hollandais), des langues mortes et des langues maternelles.
« La langue est la meilleure des choses. » C’est Esope qui l’a constaté.
Il ajoutait que c’était aussi la pire des choses. Ce qui a poussé certaines peuplades à ne pas parler, ou à parler extrêmement peu. Tel l’Auvergnat et le Britannique.
(La Montagne – 2 mars 1969)
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