Trystan
24/04/2014
On dit souvent qu’après trente ans, on ne se fait plus de vrais amis. C’est faux. Trystan en est la preuve… enfin en était la preuve. J’avais coutume de dire qu’il était un ami d’enfance rencontré sur le tard. C’est à sa perte que je mesure combien je l’aimais, combien nous l’aimions, Catherine et moi, et aussi tout ce que nous avions encore à faire ensemble.
Nous nous sommes connus grâce à ce blog. Il était un de ses fidèles lecteurs. Il commentait peu ou alors par email. Son premier mail date de mai 2011, il disait « Lentement je découvre le coin, Neydens, Archamps, St Julien et ce Salève tant de fois gravi par Ella Maillart...! » Après le Salève et Ella Maillart, on a bien sûr parlé de Nicolas Bouvier, de son Usage du monde. Puis nous avons enchainé sur bien d’autres écrivains voyageurs.
Le voyage et la littérature, c’était nos dadas, dadas surréalistes bien sûr. En matière de littérature, Trystan était un puits de science. Il avait beaucoup lu et parlait avec talent aussi bien de Virgile, de Montaigne, de Robert Musil, de Kazantzakis, de Vialatte, que de Mankell ou d’André Blanchard. De bien d'autres. Quelle richesse d’échanges !
Il parlait aussi de sa famille, de son père ingénieur chez Peugeot, de son frère, de son fils… Il était très fier du petit Malo qui changeait son statut social... Depuis le 4 Juillet je suis le grand père d'un petit Malo parfaitement bâti selon la médecine moderne...! Il ne peut pas se plaindre de moi car je l'ai copieusement arrosé le long de ma virée ( Berlin-Prague-Vienne- Budapest ). Pudeur de sa part ou malchances du calendrier, on n’a jamais rencontré Barbara qui l'avait pourtant amené par ici.
A la relecture de ces mails, je constate la difficulté que nous avions à nous rencontrer, moi à mes occupations municipales, lui à ses voyages. Ses passages vers Genève ne permettaient pas forcément la rencontre, c’était toujours avec moult regrets. Après l’Europe centrale, c’était l’Anatolie, l’Iran puis repos à Turin avec Barbara avant d’aller à Bangkok et à Pékin. Turin… il adorait ce coin d’Italie : Je me sens piémontais parfois tant le mode de vie me convient. On parlait de nos origines transalpines.
C’était un bourlingueur convivial. Il nous a recommandé une échoppe à Venise, deux ou trois gîtes en Crète. Des adresses précieuses car il avait vécu là et rencontré les gens, de vrais gens, des gens simples, des gens qui vivent, des gens qui existent… Pour Trystan, ce qui comptait c’était d’être, de vivre, de profiter de l’instant… C’était un homme libre. Il ignorait les gens qui vivent pour posséder et encore plus ceux à qui importe le paraître, ou alors il se moquait d'eux avec humour. A l’image de Montaigne qu'il aimait citer, il savait sonder les grâces et façons de chacun pour engendrer l’envie des bonnes et le mépris des mauvaises.
Notre voyage en Crète, c’était un peu le sien. Je le comparais à Zorba et il me répondait : comme j'aimerais avoir la spontanéité solaire de Zorba et son détachement. La mine fera faillite certes mais l'ingénieur apprendra le sirtaki. Quoi de mieux ..?
C’est aussi à cette époque qu’il a commencé à parler de ses problèmes de scalp qui devaient mal finir comme on sait.
Ce matin, j’ai parcouru tous nos mails et constaté à quel point sous son dilettantisme Trystan cachait une grande érudition et un goût profond pour la vie et pour les êtres. Je réalise aussi tout ce que l’on aurait pu faire si ce maudit mélanome… quel vilain mot mélanome !
On t’attendait Trystan. La chambre d’amis était prête. On aurait trinqué au spritz vénitien, Apérol et Proseccho, ensuite tu nous aurais concocté ce petit plat que tu nous avais promis. Le lendemain, nous aurions été dégusté le menu gastro à l’Angelick, ensuite on aurait fait une petite marche sur la Salève à admirer le Mont-Blanc et le Jura en parlant d’Ella Maillart, de Nicolas Bouvier, de tous nos chers auteurs, de la Crète, du Piémont ou encore des progrès du petit Malo.
Adieu l’artiste !
1 commentaire
400 ans ces jours-ci que Cervantes et Shakespeare ont cassé leur pipe, le même jour parait-il. Pour Trystan cela fait seulement deux ans. Desproges disait : "Le jour de la mort de Brassens, j’ai pleuré comme un môme. Je n’ai vraiment pas honte de le dire. Alors que - c’est curieux – le jour de la mort de Tino Rossi, j’ai repris deux fois des moules.").
Eh bien malgré mon amour de la littérature, les 400 ans des deux écrivains ne m'ont pas ému une seconde et j'aurais bien repris des moules. Alors que la mort de mon copain Trystan, je n'arrive pas à m'en remettre. Je l'attends encore. Je l'attends souvent. Je me dis qu'il va bien passer un de ces jours, que l'on a pas fini de parler de voyages et de littérature, qu'on avait encore tellement de choses à se dire. On savait bien, tous les deux, à quel point tout ceci est absurde comme du Beckett ou du Ionesco mais c'est moi qui reste pour en boire toute l'amertume.
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