Bestial Business 4
18/06/2012
La suite...
Le père Nicanor Reyna arrive à Macondo pour célébrer le mariage entre Aureliano Buendia et Remedios Moscote. Il découvre que le village vit dans le péché et décide de rester pour les évangéliser. Il fait construire un temple et pour attirer les fidèles, il propose des spectacles de lévitation. Le secret de sa lévitation repose sur une intense consommation de chocolat. Du coup, je suis pris d’une furieuse envie de manger du chocolat… Je n’en ai pas acheté. Tant pis ! Je mets en branle mon club sandwich, poulet, salade, fromage à raclette et sauce BBQ entre deux tranches de pain complet grillées. Je me sers un verre de Saint-Estèphe. Cet après-midi, je ramènerai les bestioles en essayant de raser les murs. Ensuite, il n’y aura plus qu’à attendre l’appel de la belle Gaëlle…
Il y a maintenant cinq jours que j’ai ramené les bestioles à leur propriétaire. J’avoue que je préfère les savoir au vivarium que dans la valise sous mon lit. Je me suis installé dans ce taudis. Bien sûr, je pourrais attendre n’importe où qu’on me contacte. Après tout, ils ont mon numéro de portable, mais il me semble que, pour ma couverture, je dois rester dans ce studio, une intuition, et puis, j’avais envie d’une petite retraite pour faire le point. J’ai terminé Cent ans de Solitude et commencé un polar qui ne vaut pas tripette. Je suis sorti chaque jour me promener dans le quartier. Ces tours sont vraiment hideuses mais une demi-heure de marche suffit pour se retrouver dans un grand parc. Il fait beau.
Cet après-midi, j’ai eu le sentiment très net qu’on m’observait. Avant-hier, j’avais déjà eu cette sensation. Sans doute ma parano. Ce n’est pas si facile de vivre cette vie de reclus. Le changement est radical, du bruit au silence, de la foule des relations à mon vide intérieur. N’empêche, je suis content d’avoir pris cette mission. J’ai eu un peu de peine avec les bestioles au début, les serpents surtout. C’est très impressionnant de manipuler ce corps froid qui se tortille en puissantes ondulations, il y faut du calme, des gestes précis, surmonter sa trouille.
J’arrive sur mon banc. Hé oui, à peine quelques jours et je me suis déjà approprié ce banc. Etonnant de voir à quelle vitesse on se crée des habitudes. C’est mon banc. J’ai hésité à acheter un autre bouquin puis, j’ai décidé de reprendre Cents ans de Solitude. Je veux comprendre la généalogie de cette famille et tenter d’éclaircir le mystère de ce roman foisonnant. J’étais fait pour la littérature, pas pour la police.
C’est vrai que j’ai surpris tout le monde en me proposant pour cette mission. Il y a longtemps que j’avais envie de revenir sur le terrain. Quand j’étais jeune flic, il n’y avait rien qui m’énervait plus que de voir ces grands pontes qui avaient perdu le contact avec le vrai boulot. Depuis, j’ai pris du galon, je suis devenu un petit ponte. Je fais de la paperasse et j’ai des activités mondaines. Quand la police bolivienne nous a donné des éléments au sujet de Julius Patinaud, je me suis dit qu’il y avait un coup à tenter pour infiltrer cette filière de trafic animalier. Au fur et à mesure que le projet mûrissait, je me suis convaincu que c’était ma chance de revenir sur le terrain.
Ça n’a pas été facile de convaincre ma hiérarchie et encore moins mes subordonnés et puis il y avait le maniement des bestioles et la trouille. Finalement, ça valait le coup. J’avais besoin de faire un break, de réfléchir. Ma vie est vide. Ma vie s’est vidée. Bientôt quarante ans, divorcé, pas d’enfant, trop de femmes et pas de femmes. Je voulais faire le point. Alors une petite méditation sur un banc ne peut pas faire de mal.
Classique, ma méditation est interrompue par une sonnerie. C’est l’appel attendu de Gaëlle. Elle a mis le temps. Elle prend de mes nouvelles et me propose un rendez-vous. Demain matin ? Est-ce que j’aurai mes animaux ? Je réponds que c’est possible mais est-ce bien nécessaire ? Indispensable me dit-elle, les mêmes animaux, exactement. Elle me prévient que j’aurais de la visite à 10 heures précises. Un homme. C’est parfait. A demain.
J’hésite à passer chercher mes bestioles tout de suite. Non, je les prendrai demain matin. Je préviens le préparateur qui me dit qu’il fera son possible pour neuf heures. Je serai au vivarium à neuf heures et je ne compte pas attendre. Je rentre par le chemin des écoliers en passant à l’épicerie. Peut-être ma dernière soirée tranquille. J’achète du chocolat et des raviolis frais au brocciu. Raviolis à la crème et Côtes du Rhône au menu.
Lever de bonne heure. Huit heures et quart, je sors. Cette fois, j’en suis sûr, on me suit. Je sème mes poursuivants, passe au vivarium et je reviens avec ma valise spéciale. A dix heures pile on sonne. Un grand moustachu qui dit « C’est moi. ». C’est donc lui. Autant Gaëlle était accorte autant celui-ci est patibulaire. Visage blafard taillé en coin et barré par une moustache épaisse, il est tel que j’imagine le colonel Aureliano Buendia. Il m’annonce qu’il est venu pour organiser les livraisons. Il me donne une longue liste d’animaux mais avant tout, il veut voir les échantillons. Il est dingue de serpents, paraît-il. Gaëlle lui a mis l’eau à la bouche avec mon manba vert et surtout le corail albinos. Il n’en a jamais vu. On parlera de la commande plus tard.
Je ressors donc la valise de sous le lit et l’ouvre avec mille précautions. J’attrape le manba derrière la tête. On dirait qu’il a grandi depuis l’autre jour. Il tortille nerveusement sa queue émeraude. A sa vue Gaëlle avait reculé, le colonel s’approche. Il a dans l’œil une flamme. Il attrape le manba par la queue… Quel con ! J’ai failli lâcher la bestiole. Il me demande de lui passer l’animal. Je résiste. Il veut me le prendre des mains et, soudain, cet imbécile se fait mordre ! Il veut que je le conduise à l’hôpital. Il a l’habitude. L’an dernier c’était une vipère de Russell. Sa voix se fait pâteuse... Il s’évanouit…
« Vous savez, on ne s’habitue pas aux morsures de serpents. La mithridatisation, c’est des conneries. La première morsure avait sans doute laissé des traces sur son métabolisme… Et on n’avait pas de sérum pour le manba vert… Du moins, il est arrivé bien trop tard. » C’est ce que me dit, trois jours plus tard, un spécialiste des venins. Le colonel moustachu n’a pas repris connaissance. « C’est sa seconde morsure en quelques mois, le cerveau est atteint. S’il se réveille, ce sera un légume. »
Je ne vais pas verser de larmes, mais ce n’est quand même pas de chance… Il va falloir que je trouve un autre contact… Ils vont se méfier.
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