Locoboeuf
02/08/2013
A propos de Kaeppelin, Vialatte ajoute:
"On pense souvent à Jérôme Bosch. A cause d’un alliage de l’humain, de l’animal, du zoologique, avec la forme industrielle. Kaeppelin a des brochets bâtis comme des espèces de sous-marins, ou plutôt de contre-torpilleurs, avec des ponts et des coursives. Gris comme du plomb. Mais avec un oeil morne, en je ne sais quoi ; en émail ? en chair ? ou peut-être en bouton de bottine ? Des automates, et une locomotive à tête de boeuf et à cuisses de poulet, qui actionne elle-même ses roues au moyen de bras si grêles qu‘on songe à des pattes d‘araignée.
Des bras de faucheux. Et la queue en l’air. Une queue de boeuf finie en pompon, comme un accessoire de tapisserie, une embrasse de rideau, ou quelque bonnet grec sorti d’une comédie de Labiche. En tirant dessus, on amène un tiroir où se trouve une lampe à alcool. On allume, ça chauffe une chaudière. Le boeuf tousse et part droit devant lui.
Une fumée noire lui sort de la cervelle. Par la cheminée. Elle se répand sur le public. Le boeuf s’affole et part en arrière. Puis à droite, puis à gauche. Dans toutes les directions. Il agite ses petits bras qui font tourner les roues. Ses cuisses de poulet ne bougent jamais. Elles sont terminées en tampon. Pour le tender. (C’est le contraire du pédalo, sur lequel les jambes de l’homme s’agitent ridiculement, tandis que le buste reste cérémonieux.) La tête demeure majestueuse ; et même stupide ; avec une barbe en cuivre. Et des yeux de monstre mythique ; d’ogre congestionné ; de patron de bar alcoolique ; de bistrot de banlieue qui a de la tension. Toute l’assistance est noire de suie.
Sur quoi le boeuf s'arrête, épuisé. Trois soubresauts le secouent encore. Après ça, c'est fini. Il fait un peu pipi. On essuie avec une éponge. Et on continue à regarder.
1 commentaire
Merci, merci
Les commentaires sont fermés.