Tous fous
02/05/2013
Est-ce que "tous fous" est le pluriel de "tout fou" ? Pas vraiment. Dire d’un jeune garçon qu’il est tout fou est un compliment, dire des membres de sa famille qu’ils sont tous fous n’en est pas un. Ceci dit, on peut être "tout fou de jazz" et "tous fous de jazz". Mais, se peut-il que dans la famille humaine nous soyons tous fous, tout court ?
On a beaucoup écrit sur la folie. Erasme en a fait l’éloge dans une satire célèbre écrite en 1509 chez son ami Thomas Moore (l’auteur d’Utopia). La Folie y est présentée comme une déesse, fille de la Richesse et de la Jeunesse ; parmi ses compagnons fidèles on trouve Philautia (le narcissisme), Kolakia (la flatterie), Léthé (l'oubli), Misoponia (la paresse), Hedone (le plaisir), Anoia (l'étourderie), Tryphe (l'irréflexion), Komos (l’intempérance) et Eegretos Hypnos (le sommeil profond).
Au début du XXième siècle, on a eu Freud et ses adeptes qui ont tenté de nous prouver qu’en plus d’être des fous nous étions tous des obsédés sexuels pervers. Avec l’avènement de la neurologie, qui se propose d’étudier le cerveau, on aurait pu penser que la science allait rendre la psyché moins opaque et inconsciente. Et bien cela reste à prouver comme nous l’allons voir.
Un médecin français de génie, Henri Laborit, avait ouvert la voie des neuroleptiques* dans les années cinquante. Comme d’habitude, le fric s’est mis de la partie. L’industrie pharmaceutique en a fait un big business avec tous les leurres des techniques de marketing. Donc, à chacun sa pilule. Ils n’en mourraient pas tous (comme Michael Jackson) mais tous étaient frappés.
Pour mettre de l’ordre dans les rendements des actions (thérapeutiques bien sûr), l’association américaine de psychiatrie (sigle APA - du gain ?) édite le DMS (manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux. Dans la version 5 du DSM publiée ce mois, la notion de maladie mentale y est largement élargie (sic). Si des fois vous le lisiez, lecture que je déconseille pour moult raisons, vous vous trouveriez automatiquement fous et même plusieurs fois fous.
Les homosexuels sont sortis du DSM5 mais les hypersexuels y sont. En 1952, on y dénombrait 60 types de troubles psychotiques (pathologies) infantiles, près de 300 aujourd’hui dans le DSM5. Les symptômes (de la folie) font l’objet d’une classification qui fait qu’à coup sûr vous allez trouver votre catégorie de fou et sans doute plusieurs. Si vous vous mettez en colère trop souvent, si vous avez des envies de suicide ou de meurtre (de votre patron, votre femme, votre mari, vos clients.), si vous vous ne remettez pas d’un deuil en deux ou trois mois, ou d’une séparation dans un délai jugé « normal », attention à la folie!
Par chance, le monde des molécules est bien fait, l’industrie pharmaceutique a remède à (presque) tout, comme vous le dira l’APA…
Lecture Aimez-vous le DSM ?et Comment la psychiatrie et l'industrie pharmaceutique ont médicalisé nos émotions ou encore
La folie est le propre de l’homme disait Cendrars, Samuel Beckett optimiste disait : "On naît tous fous, quelques uns le demeurent". Le grand William faisait dire à Macbeth : la vie est une histoire racontée par un idiot et qui n’a point de sens
*Psychotrope - Psycho comme dans psyché, l’âme, l’esprit et trope comme dans tropisme, direction. Le psychotrope devrait donner une direction au cerveau.
*Neuroleptique – Grec neuro comme dans nerfs et lepto – mince- qui diminue, amoindrit.
1 commentaire
Il faudrait mentionner l'article du LANCET:
...ce qui veut dire que des sentiments de tristesse, perte, manque de sommeil, pleurs, incapacité à se concentrer, fatigue et manque d'appétit continuant durant plus de deux semaines après le décès d'un être aimé pourraient être diagnostiqués comme une dépression plutôt que comme une réaction normale de chagrin.
...Médicaliser le chagrin, de façon à légitimer l'administration en routine d'un traitement antidépresseur par exemple, est non seulement dangereusement simpliste, mais aussi faux.
...Le chagrin n'est pas une maladie. Il doit être plus utilement considéré comme une partie du fait d'être humain et une réponse normale au décès d'un être aimé (...). Pour ceux qui ont du chagrin, les médecins auraient mieux à offrir -du temps, de la compassion- que des pilules.
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