M. Verdure
27/03/2010
Encore Vialatte...
La Montagne,
une lettre de lecteurs
… Et ensuite il y a M. Verdure, qui est professeur de philosophie, et qui m’écrit que j'aurais dit des bêtises dans La Montagne du 3 mars. Je lui réponds que c'est entièrement faux. Je les ai dites le 20 février. Et c'est tellement entièrement faux que même si j’avais voulu les dire, la chose m'eût été impossible, car le 3 mars était un samedi et ma chronique paraît le mardi. Je ne peux dire des bêtises que le mardi, c'est le triste sort du journaliste; au lieu que les professeurs peuvent en dire tous les jours; je ne parle pas pour M. Verdure, car sa lettre est pleine de bon sens; on voit par là pourtant combien ses calomnies sont dénuées de toute espèce de fondement.
« Vous parlez, m'écrit-il, dans votre paragraphe trois, d’un professeur qui a écrit trois mille pages sur les nuances et sur les gouffres qui séparent le Rien du Je-ne-sais-quoi. » (C’est fort exact.) « Il s'agit, ajoute-t-il, de mon maître Vladimir Jankélévitch. » (Pure vérité. M. Jankélévitch sépare déjà à 8 heures du matin, à la radio, le presque-rien du je-ne-sais-quoi, pour que l'homme se réveille dans l'utile de la chose et se trouve jeté tout nu dans le vrai sérieux de la vie.) . « Je vous signale, continue M. Verdure, que le titre de cet ouvrage n'est pas le Je-ne-sais-quoi et Rien, mais " le Je-ne-sais-quoi et le Presque-rien." Je le savais. Qui ne le sait ? Et on ne me l'apprend pas. Mais le Presque-rien cassait la cadence de ma phrase. Au lieu que le Rien s'emboîtait parfaitement. Les lois de la prose ne sont pas celles des événements: un historien vraiment soucieux de son style fait perdre ou gagner la bataille suivant les intérêts de sa phrase et non pas ceux d'une ressemblance photographique avec des faits qui auraient pu être tout différents ! C'est une question de conscience professionnelle. Ou alors qu'on nie Picasso ! M. Verdure songe-t-il à nier Picasso? Va-t-il acheter ses tableaux cher le boucher, chez le menuisier, chez le marchand de singes? Non, M. Verdure ne songe pas à nier Picasso, et c'est pourquoi, tel que je le sens, il est navré de ses affreuses calomnies, il bat sa coulpe, il souffre, il ne sait plus où se fourrer.
A suivre
4 commentaires
Excellent, quel plaisir de lire ces textes.
Et c'est ainsi qu'Allah est grand.
Un ami auquel j'ai transmis ce message, me répond :
"Le "Je-ne-sais-quoi" est une catégorie esthétique (littérature, peinture,
musique) caractéristique du style sublime tel que défini par Démosthène,
et revu par le Pseudo-Longin.
Il consiste à toucher la sensibilité du public d'une émotion au-delà du
dicible. En fait, le "je-ne-sais-quoi" est une mystique, et je dirais même
une mystique de la Grâce. C'est un effort pour atteindre le Tout, pour se
situer au point où toutes choses trouvent leur unité, dans un vertige
étourdissant, afin de faire ressentir en un tremblement sacré - l'espace
d'un instant - la grandeur de l'aventure humaine.
La madeleine de Proust, par exemple, relève incontestablement du
"je-ne-sais-quoi". C'est sublime, au sens rhétorique du terme. On dira la
même chose, pour te faire plaisir, de la cornue limousine ! (la trempes-tu
dans le tilleul de tante Léonie, comme le petit Marcel ?!)
Alors évidemment, lorsque j'expliquais à mes bacheliers que la madeleine
de Proust était un symbole phallique, ça cassait un peu l'ambiance de
terreur sacrée... Mais je n'y peux rien, moi, si Proust était un vaurien !"
Un bonjour en passant !
Merci de votre passage. La madeleine comme symbole phallique, cela a un je ne sais quoi ou meme un presque rien de derangeant
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