No Suicide -10-
30/08/2007
Je ne suis pas croyante. Je n’ai pas la tête métaphysique. Je n’ai jamais cru en Dieu. Je ne crois pas non plus à la réincarnation. J’ai toujours cru que cette vie est la seule vie que l’on a. Il m’a toujours semblé que le mieux à faire était de la vivre complètement… pleinement, comme elle vient. C’est à l’Ecole Normale que je suis devenue mécréante. Dans ce milieu de futures institutrices, il était de bon ton de ne croire en rien. J’ai d’abord suivi le mouvement, par conformisme. Puis, plus tard, quand j’ai tenté de m’intéresser à nouveau à la chose religieuse, je n’y suis jamais vraiment arrivée…
Cette indifférence, c’était le désespoir de mes parents, de maman surtout. Eux, ils étaient du début de l’autre siècle. Le siècle de la France paysanne et catholique. Ils allaient à l’église. Ma mère a été très triste quand elle a réalisé que, Raymond et moi, ne ferions jamais baptiser nos enfants… Elle croyait que, sans cette goutte d’eau sacrée posée sur le front, on n’avait aucune chance, jamais, d’atteindre la vie éternelle. C’était une femme intelligente, elle s’est accommodée. Parfois, il m’arrive de penser que s’il y avait un au-delà où nous pourrions nous revoir, eux et moi, ce serait merveilleux… après toutes ces années… Mais cette pensée ne résiste guère à l’analyse…
C’est vrai que je n’ai jamais eu la tête métaphysique. Ceci dit, pendant cette petite éternité passée à ressasser mes vieux souvenirs, à attendre le prochain bol de soupe, j’ai un peu réfléchi à la mort, à la vie, au but de la vie, à tout ça. Forcément. Je disais, à l’instant, que, la vie, le mieux à faire, c’était de la vivre comme elle vient… Ce n’est pas si sûr… Non. On doit pouvoir décider, à tout moment, quand on veut arrêter de jouer… arrêter de vivre. Ce doit être mon choix. Le choix de tous. De quel droit veut on m’empêcher de mettre fin à cette partie stupide ? Qui a décidé que les APerHos doivent préserver ma vie à tout prix ? Qui ?
C’est LA question fondamentale. Les réponses, je les connais. Je me souviens encore de tous ces débats à l’assemblée européenne. Ces débats tardifs. On avait attendu le plus tard possible… Bien sûr, beaucoup ne voulaient pas croire à l’intelligence des robots. Pourtant, les plus têtus avaient dû se rendre à l’évidence : Ces satanées machines pensaient. Enfin… elles faisaient quelque chose qui ressemblait de bien près à de la vraie pensée.
Alors comme il fallait bien légiférer, ils sont partis des trois lois d’Asimov sur les robots. C’est un auteur de science-fiction qui a guidé leur pensée. Je n’ai rien contre… dans le fond… mais ça fait un peu peur quand même. Pour le coup, moi l’athée, j’aurais préféré un chef religieux… Le pape… même le pape... Enfin pas n’importe quel pape quand même. La fin du vingtième siècle nous a amené la science fiction comme base de la morale et de la religion. Ron Hubbart et Asimov. La scientologie d’Hubbart, les lois de la robotique d’Asimov. Les deux premières lois, c’était :
- Un robot ne peut blesser un être humain ni, par son inaction, permettre qu'un humain soit blessé.
- Un robot doit obéir aux ordres donnés par les êtres humains, sauf si de tels ordres sont en contradiction avec la Première Loi.
On n’a un peu modifié les articles mais rien de fondamental. Conclusion, avec un APerHos suffisamment malin pour éviter les ruses de « l’être humain », pas moyen de se blesser. Pas moyen de mourir quand on veut. Voilà pourquoi je suis condamnée à vivre. C’est la loi.
Vivre, puisque le Comité d’Ethique Mondial, le CEM, en a décidé ainsi. Vivre parce que les rapports de mon APerHos sont toujours très positifs. « Madame Laurent ne souffre pas. Elle jouit d’une remarquable santé… Pas de maladies dégénératives incurables… Pas de troubles psychologiques…» J’ai tout essayé pour faire partie des cas admis d’euthanasie. Il n’y a rien eu à faire… J’ai une santé de fer… Coincée dans ce lit-robot. En attente de prothèses plus performantes. J’ai peur. J’ai peur qu’ils me changent tous les morceaux. J’ai peur que le progrès me condamne à une vie… éternelle.
J’envie ces petites vieilles à qui on a, un jour, accordé le droit de mourir. C’était parce que leur maladie était jugée incurable. J’étais contente pour elles, qu’elles ne soient pas conservées dans l’azote liquide, pour ce jour, bien probable et peut-être lointain, où leur maladie pourra être soignée.
J’ai une santé de fer. Santé physique, santé mentale aussi : « Bonne pour la vie » d’après le fameux test de J. Lacan soigneusement mesuré et étalonné chaque jour par Olga. Ça me fait bien rigoler ce test. Un test de fou. N’empêche que ce n’est pas si facile de le déjouer. C’est peut-être même impossible. J’ai essayé souvent. Il n’y a pas moyen… Enfin, je crois… Il faut voir… Depuis que j'ai rencontré le président... Olga... Oui, il faut voir…
C’était, Mesdames et Messieurs les députés, mes chers collègues, les toutes dernières paroles de madame Laurent. Vous avez entendu sa voix. Une voix à peine reconstituée, un petit peu amplifiée. Je m’adresse particulièrement à vous, les membres du parti AVIE, vous les défenseurs de la survie à tout prix, vous qui vous enchaînez aux grilles des rares hospices qui acceptent de pratiquer l’euthanasie. Vous avez, je l’espère, perçu toute la souffrance qui s’exprimait dans cette voix d’outre-tombe.
Madame Laurent était une de mes concitoyennes savoyardes. Il y a trois ou quatre ans, à l’occasion de son cent trentième anniversaire, la presse a un peu parlé d’elle. À cette occasion, je lui ai rendu visite, dans son hospice de la Vallée Verte, dans ce paysage si riant, si plein de vie. J’étais fier de m’y rendre. L’événement n’a eu qu’un petit retentissement local. Ce genre de cérémonie n’est plus très rare de nos jours. Nous savons déjà que, les progrès aidant, le vingt-deuxième siècle verra nombre d’entre nous atteindre leur deux-centième anniversaire. Nous voilà au cœur du sujet dont nous allons débattre.
Aujourd’hui, je l’avoue, cette visite rendue à madame Laurent, je n’en suis pas très fier. Pas fier du tout, de n’avoir pas su détecter la souffrance derrière les flashs des photographes. Pas fier, de m’être laissé abuser par tant de calme champêtre. Oui, cette parole d’outre-tombe, ces derniers mots de madame Laurent sont plus forts que tout ce que je pourrais ajouter ce soir… et même, que toutes les phrases jamais prononcées dans cet amphithéâtre. J’ajouterais que, grâce à son intelligence, finalement, Madame Laurent a réussi à tromper la vigilance d’OLGA. Elle est morte, il y a deux mois, étouffée par les soins de cette même OLGA. Une commission d’enquête est en cours à ce sujet. Le président a rappellé qu'il n'avait pas à répondre aux questions des juges...
Laissons faire la justice. Quant à nous, Mesdames et messieurs, notre rôle est de changer rapidement ces lois d’un autre âge.
- FIN-
5 commentaires
Merci d'avoir sacrifié un peu de ton blogmat !
Cette histoire est très triste. Il faut qu'on se prépare dès maintenant à réussir son suicide et à échapper aux AperHos.
La vie, la mort, tout pousse à résister...
Sacfrifier le blogmat n'est rien mais constater que ce que tu écris n'intéresse personne (ou presque:-) c'est pire!
Quant à la tristesse, elle est relative. Mon but était d'illustrer ce que l'allongement de la vie à tout prix peut avoir de minant même pour un personnage qui ne devrait pas avoir de raison de se plaindre. C'est aussi une de mes nouvelles qui met en scène des robots... Ce n'est pas d'une immense originalité mais je crois que les rêves ou cuachemards asimovien sont en train de se réaliser et que bizarrement le sujet est presque devenu ringard.
Ben, fallait attendre al fin pour voir le déroulement... et s'autoriser un commentaire.
Peut-être trop clichés des premiers livres de SF, peut-être y ajouter une vision de Philips K. Dick ?
Sur la vieillesse, je viens de lire le roman de Chandernargor, qui s'autorise à dénoncer le changement d'idée, en finir au plus tôt, au plus tard. En tous les cas, la robotisation est antagoniste du choix d'essayer d'économiser les dépenses de la sécurité sociale.
Bonne continuation.
Ha, h'oubliais l'essentiel : Est-ce que le nom de Zardoz vous dit quelque chose, un des premiers film SF basé sur l'acquisition de l'immortalité.... avec Sean Connnery. Il n'est plus à voir, trop lent à notre époque. C'est une bizarre association qui m'est venu à l'esprit lors de cette pérégrination.
Balein,
Merci pour les commentaires. Oui je me souviens d'avoir vu Zardoz. Je n'ai pas cherché à faire preuve d'originalité en matière de SF. Le recueil de nouvelles contenait des situations actuelles et qq anticipations autour de nouvelles technologies. Ce qui m'importait quand je l'ai écrit c'était de faire vivre le personnage. Je suis conscient que ce n'est pas vraiment réussi. En fait, j'ai hésité à publier cette nouvelle sur le blog et devant la chute d'audience des premiers jours (ce qui m’était déjà arrivé), je me suis dit que j'étais un peu maso. C’est pas grave. Pas du tout. J’apprends chaque jour et en plus ce texte date de cinq ans.
Je ne suis pas sûr que les robots n'allègent pas un jour, pas si lointain, le trou de la sécu. Aujourd'hui, un robot aussi sophistiqué couterait une fortune mais demain, on le fabriquera peut-être pour pas grand chose. Qui aurait cru naguère que le pékin lambda se payerait un ordi aussi puissant que celui que j'utilise pour taper ce bête texte? Ce qui est probable par contre c'est que d'ici là on risque bien de passer par un stade "santé pour les riches" c'est ce que j’ai voulu suggérer.
Merci encore.
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