No Suicide -9-
26/08/2007
A la demande générale... La suite...
"Ça devait avoir son côté pratique, tous ces étages : En bas les valides, ceux qui ont encore besoin d’espace. En haut, les impotents, ceux qui font l’objet de plus de soins. Le problème, c’était qu’avec le manque de personnel, à partir du quatrième cela tenait de plus en plus de la poubelle pour les vieux. J’y suis restée… des années, aux Cyclades. Vingt ans… Plus peut-être ! Je n’arrive même plus à compter, encore moins à me souvenir des années passées à chaque étage. En fait, il n’y a qu’au sixième où je ne suis pas allée. Au cinquième, comme je l’ai déjà raconté, j’ai fait une grève de la faim. C’était après la disparition de ma chère Raymonde. Ils m’ont nourrie à la perfusion puis ils m’ont fait une autogreffe de moelle épinière. Comme disait Lucien : « Ils trouvent plus facilement un chirurgien pour te greffer un trou du cul qu’un infirmier pour te torcher le derrière… »
Avec la nouvelle moelle, mon état s’est nettement amélioré si bien qu’ils m’ont redescendue au deuxième… Oh ! Pas de quoi se réjouir ! Ils en ont profité pour me changer d’APerHos. Sans-nom4, il me semble. Une vraie catastrophe, cet engin. S’il décidait que je ne pouvais plus bouger de la chambre, il m’empêchait de sortir, voilà tout ! Pas de recours. Rien. J’étais coincée, faite comme un rat, jusqu’à ce que la foutue machine change d’avis. Trois ans, j’ai dû me le farcir, ce bidule récalcitrant. Trois ans à vivre avec un vrai bourreau électronique, une tête de bourrique butée et complètement sinoque. Ensuite ils m’ont donné Rodia, une expérience, qu’ils disaient… Comme d’habitude. Enfin, c’était déjà mieux, Rodia, mais c’est à ce moment que j’ai commencé à me sentir plus mal, au physique et au moral…
C’est à croire que les périodes de bonne santé correspondent à des assistantes de mauvaise qualité. J’aurais du tenir un journal. Je pourrais compter mes périodes de déprimes, dans les quatre asiles de vieux par lesquels je suis passée. Moi qui étais d’un tempérament si gai… Pendant toutes ces années aux Cyclades, je m’en suis faites, des dépressions à répétition. Des coups de blues. Trois tentatives de suicide. Mais aujourd’hui, Olga veille. Elle me drogue quand il le faut. N’est-ce pas Olga ? Alors, le blues passe. Elle m’aide à rédiger mes petites histoires. C’est un bon médicament… Merci Olga !
Merci Olga ! Enfin, merci… peut-être… Je ne sais pas… Il y a des jours où je ne sais plus si c’est encore moi qui raconte. Et puis, depuis que le président est venu me voir en personne, c’est pas croyable la manière dont les gens ont changé avec moi. Ce qui les a épaté c’est qu’il soit resté presque une heure dans ma chambre. Depuis on me traite comme une bête curieuse. On attend avec impatience que je devienne la doyenne de l’humanité pour que le président revienne comme il s’y est engagé.
Je n’arrive pas à me concentrer très longtemps. Avant, je lisais des livres de médecine. Je suis devenue super calée : génétique, maladies auto-immunes, clonage thérapeutique… Je leur rivais leur clou, aux internes comme aux mandarins. La dernière en date, une petite jeunette impertinente à la langue bien pendue… Elle me dit qu’il y en a beaucoup qui voudrait avoir mon niveau de lucidité à mon âge. Moi, si elle était d’accord, je changerais bien pour ses trente ans ! Non mais sans blague ! Petite pimbêche !
Je repense à une petite phrase de Josy Gay, restée dans les tréfonds de ma mémoire : « Sans le senti, le mental ment. » Mais je m’égare. Je me rends bien compte que je perds sans arrêt le fil de ce récit. Ça m’agace ! Je ne veux pas que ce soit toi, Olga, qui fabrique mon histoire… Compris ? Doucement sur la mise en forme. D’ailleurs, je vais changer de manière…
Mon butoir finistérien, dans le tréfonds du trou, ce n’est pas de raconter ma vitesse. Point du tout. Ni ma vitesse d’avant, ni la triste vitesse des démangeaisons de vieux. Toutes ces perpétuations d’éternités passées à mangeouiller des cochoncetés dans ces déraisons de vieillardes. Quel chocmare ! Toutes ces mamies catoles qui radicotent en dodelinotant sans cesse de la tête ! Tous ces vieux dégoûlotants qui poursuivent les cortèges de visitandines effilochées dans les coulisses ! Chocmare et mallucination !
Oui Olga, s’il te plaît, laisse les mots comme je te les dicte. Exactement. Je sais qu’ils n’ont pas de sens. On dit dégoûtant. Je sais. On ne dit pas visitandines mais visiteuses, maisons, et non pas démangeaisons ou déraisons, je sais ! Mais, bon sang, c’est comme ça que je les veux. Pas autruchement ! Pas de bons sentis qui truquent, pas de bons mentaux qui mentent. Des mots. Les miens. Je veux voir, comme au poker. Je veux voir mon jeu, au moins le mien. Mon butoir, c’est de parler de ma vie, puis ensuite de la vie en général, pas seulement de la mienne en particulier.
« Mesdames et messieurs, chers collègues, un peu de silence, s’il vous plaît. Si la voix de madame Laurent se fait un peu faible, vous aller voir que son verbe reste haut et fort. Un peu de patience et nous pourrons débattre plus tard tout à loisir. Merci. »
Oui, dans le fond du fond, c’est ça mon but. Ce n’est pas de raconter ma vie. Ma vie à moi, Pauline Laurent, ça ne peut intéresser personne. De mon Raymond, de mon Alphonse, de Lucien, tout le monde s’en moque… Ce que je veux, c’est expliquer qu’il faut changer ce maudit système. Que la santé n’est pas tout. Que si, sans la santé, la vie n’est pas une vie, sans la vie, la santé n’est pas une vie non plus. Ce n’est pas un but en soi, je veux dire… C’est dur à faire comprendre.
2 commentaires
g etais attirée par l'image ,et g bloqué sur le texte;moi je comprend car je suis auxiliaire de vie.y aurait tellement de choses a changer dans notre systeme!!
J'ai un peu de peine à comrprendre votre commentaire. Avez-vous lu tous les épisodes? Aimez-vous l'histoire ou non?
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