F. Bégaudeau
29/03/2006
Entre les murs
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François Bégaudeau
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Editions Verticales
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Une année scolaire (2004 ?) dans un collège parisien (19ième arrondissement) black-blanc-beurre ou plutôt black-yellow-beurre. Une classe de troisième. Un prof narrateur plutôt malicieux et plein d'humour.
Les communautés chinoises et maghrébines s’affrontent dans un français très approximatif et assez amusant. La narration lâche (on est perdu pendant les premières 40 à 50 pages) tente de reproduire l’enchaînement des jours dans les salles de classe alternées de salle des profs. Des profs souvent aussi gamins que leurs élèves et qui se battent avec les 50 centimes qu’exige la machine à café.
On finit par mémoriser les noms des quelques élèves que l’on n'arrive pas vraiment à suivre à l’exception de Dico, la tête de turc du narrateur. Dico visite chaque jour le bureau du directeur et il le cherche bien. Il est tannant Dico, achalant comme on dit au Québec. On en repère quelques autres, la belle Hinda qui pourrait faire craquer son prof de français et qui ressemble à qui, à qui… « Vous trouvez pas monsieur qu’elle ressemble à Jennifer de la Star-ac, Hinda ? » Ah oui, bien sûr, à Jennifer… et en mieux. Un récit parfois décousu et semé de perles du langage djeune. « Je sais pas c’est quoi, monsieur, l’invraisemblance » dialogue bien (re)construit, travail sur le langage, sur ce vocabulaire de base qui semble manquer à ces jeunes qui se noyent dans le verlan et les constructions approximatives.
Quelques paragraphes un peu inutiles dans un livre plutôt sympa et agréable à lire, une fois passé le premier agacement des manques de repères. Livre qui s'apprécie au fil des pages et qui donne une agréable sensation de former une oeuvre. « Entre les murs » a reçu le prix Télérama / France Culture.
Aura-t-il le prix du livre Inter ?
Extrait :
À la craie j'ai écrit laxiste = permissif. Alyssa a copié sur un bout de carnet.
- En ce moment par exemple, on se demande si l'école est pas un peu permissive, si elle devrait pas punir plus, par exemple des gens comme Mezut qui se retournent dix fois par heure, hein Mezut ?
- C'est parce que y'a un truc j'comprends pas. _ Ah?
- J'sais pas c'est quoi un gène, m'sieur.
- Ben quand même... Je viens d'expliquer... Washington DC, Bien-Aimé savait.
- C'est quand on a envie de tuer et qu'on peut pas s'en empêcher.
- Attention, le gène est pas forcément du crime. Et je répète que le gène du crime, actuellement personne ne l'a trouvé. ,
Alyssa avait commencé à noircir une feuille, Mezut n'avait toujours pas compris, Fayad riait de je ne sais quoi, les boucles d'oreilles en plastique d'Hadia frétillaient à l'unisson de son cerveau.
15 commentaires
J'en suis à la moitié du bouquin mais je trouve glauque. Société sans structure, école pauvre et sur la défensive, envie de dire: où sont les adultes? Dépassés les profs s'accrochent au réglement et au programme. Le climat de la classe donne parfois l'impression d'entreprise impossible. L'auteur a-t-il une intention politique?
Bon je vais finir le bouquin, j'y verrai peut-être plus clair.
C'est drôle Ruth parce que ce que tu dis ne m'a pas frappé. Pourtant, à la réflexion, c'est assez juste. Moi j'ai eu de la peine au début avec le récit ensuite j'ai aimé la manière dont est traitée l'ambiance.
Je suis d'accord c'est assez pessimiste mais j'ai bien peur que ce soit par ailleurs une toile impressionniste qui peint un décor bien réel même si pas vraiment généralisable. J'attends l'avis d'enseignant(e)s de mes amis.
Merci d'avoir donné le tiens. N'hésite pas à le compléter après avoir fini le bouquin.
Lors de mes lectures j'ai la manie de m'interroger au fil des pages: mais qu'est-ce qu'il cherche à dire? Je cherche les passages clés.
p. 150:
"Je pense que c'est à l'adulte de s'affirmer et d'imposer ses règles selon ses valeurs, et non pas au nom d'une mode qui reviendrait en force et qui consisterait à être plus sévère envers les élèves." Et tout le travail d'Alyssa dont est tiré cet extrait. Ce texte sonne faux sous la plume d'une ado, on dirait qu'il a été mis là un peu artificiellement comme pour dire quelque chose.
p. 169-170:
Mariama effondrée: "J'suis perdue", "J'comprends rien".
Comme d'hab le prof s'embourbe, et il échappe en parlant orientation (peut-il autre chose?).
Et en lui-même: "Je n'aurais pas parié qu'elle réalisait qu'elle était socialement foutue."
p. 176:
Le prof répond à une demande d'explication du mot "autrichienne", et cela dans une classe d'immigrés!
"... j'ai dit qu'Autrichienne c'était assez connu en fait, mais que bon c'était vraiment un petit pays, qu'on s'en fichait un peu des Autrichiens. [...]
Bon ben franchement c'est pas la peine de s'esquinter le cerveau là-dessus, parce qu'en gros c'est un pays qui n'a aucune importance dans le monde, et pas même en Europe. [...] Si une bombe rayait l'Autriche de la carte, personne s'en rendrait compte."
No comment!
Merci Joël de nous avoir fait connaître ce livre :-)
Heureusement qu'il ne s'en ait pas pris à la Suisse, là je sens que tu allais lui écrire un lettre incendiaire :-)
Blague à part, j'ai été, comme toi, étonné par cette remarque complètement cucul au sujet de l'autriche. Cela fait parti de ce qui me gène dans le fait que Bégaudeau ne pose pas mieux ses repères. On est dans l'impressionnisme, il se trouve qu'il est plus gênant de penser que l'auteur se trompe de mot pour décrire sa réalité que de penser que Van Gogh se trompe de couleur.
Ceci dit, je pense qu'un roman n'est pas un livre de philosophie et je suis personnellement tolérant par rapport aux idées exprimées. Ce qui doit primer à mon avis est l'émotion et même une émotion esthétique. Débat que, comme fan de Céline, j'ai eu et re-eu avec certains de mes amis. Il y a bien sûr une limite (les pamphlets antisémites de Céline par exemple) mais le propos sur l'Autriche peut être tenu par un prof et il n'y a donc pas de raison de ne pas dépeindre ce prof le tenant. Fiction et auto-fiction...
J'ai attaqué mon sixième livre, c'est un exercice intéressant et plein de découvertes, ceci dit, en temps normal, je crois que je ne lirais pas ces livres, pas tous en tous cas... Encore que se pose le problème du choix. Il y en a un que je n'aurais pas choisi et qui m'a bien plu.
Si tu ne l’a pas déjà lu, lis le Louis Guilloux, le Sang noir. L’histoire a un siècle mais c’est un sacré bouquin.
http://perinet.blogspirit.com/archive/2006/03/19/le-sang-noir.html
J'ai remarqué ces lignes concernant l'Autriche parce que j'appartiens à un petit pays, mais très intéressant ces propos qu'il met dans la bouche du prof. Et représentatif d'un état d'esprit. Les citoyens de grandes nations manifestent souvent une certaine autosuffisance. Flagrant pour les américains, cela est aussi un peu vrai pour les français. Impression parfois que le français se suffit à lui-même, je soupçonne même certains de ne pas avoir conscience que le monde existe ;-) Sauf lorsque l'équipe de France de foot joue contre un autre pays ;-))
J'ai senti l'épisode du bouquin comme: l'Autriche pourrait être rayée de la carte, de même le Mali, le Sénégal, l'Algérie, la Tunisie, etc.
Je n'aurais pas choisi de lire ce bouquin mais précisément, c'est intéressant d'aller lire ailleurs. De voir aussi les livres qui sont choisis pour un tel prix.
Bon dimanche
C'est vrai que l'ouverture sur le monde est inversement proportionnelle à la taille du pays. Quand je dis ça je pense à mon grand-père, ferblantier italien immigré à Abondance, qui n'avait pas passé très longtemps sur des bancs d'école mais qui chaque soir écoutait religieusement "Le miroir du monde" sur radio Sottens qui était, je crois, le lieu où se trouvait l'antenne de la radio romande. Il y avait sur cette radio une vraie ouverture sur le monde l'inverse des chaînes de télé américaines centrées sur le pays. C'est peut-être pour ça que je me suis intéressé à la littérature romande et que je connais la Venoge :-)
Je viens de voir que JL Kuffer parle du livre :
http://carnetsdejlk.hautetfort.com/archive/2006/04/02/lectures-ferroviaires-1.html
Aux matins de France Culture, Bégaudeau s'est vanté de sa remarque sur l'Autriche. Pour lui le plus important n'était pas d'instruire son élève sur l'Autriche mais de lui éviter "l'humiliation" d'apparaitre comme ignorant devant la classe.
Je ne trouve pas que ce soit une attitude de professeur responsable. C'est plutôt une attitude typique de la démagogie qui consiste à ne rien apprendre aux élèves pour ne pas les choquer et les laisser mariner dans leur sous-culture adolescente. Comme si on pouvait rayer l'Autriche de l'histoire de l'Europe ou de l'histoire de l'art.
Par ailleurs, comme il dégouline de la bien-pensance Le-Monde-Télérama-Souffrance-Culture, je suis bien certain qu'il ne se serait jamais permis de rayer de la carte un pays d'Afrique.
La plupart des enseignants que je connais ont détesté le Bégaudeau.
En confidence, il a été à égalité avec M-D Lelièvre dans le tréfonds du classement Avec la couverture médiatique qu'ont eu ces deux livres ceci ne devrait pas les empêcher d'en écrire un autre. Pour Marie Do, critique à Libé, l'éditeur lui a sans doute déjà avancé une petite somme :-(
Si la plupart des enseignants ont détesté le livre c'est
bon signe. Il leur manque l' humour, la distance et
la capacité de faire leur auto-critique. Persuadés qu'ils sont qu'ils détiennent la culture et que c'est à eux de la transmettre selon leurs normes, ils ne souffrent pas qu'un Bégaudeau, un troublion, vienne semer le souk de l'intérieur : c'est forcément un mauvais prof...
Bégaudeau me plait : il met un coup de pied dans la fourmillière, il n'est pas confiné à la chappelle de l'EN,
il ne défend pas un point de vue, il donne à voir ce qui se passe, comment ça se passe et il met sur le tapis les petitesses de la vie des salles de profs sans états d'âme;
Même fraîcheur en ce qui concerne les réflexions sur la littérature et le cinéma;
Les profs ont besoin d'être secoués, et çà, ils ne supportent pas;
Je parlais de deux profs de mon entourage qui ne sont sans doute pas représentatifs des profs. par contre ce sont de vrais lecteurs et je crois qu'il jugeaient plus la qualité du livre. J'avoue que j'étais d'accord avec eux, ce style totalement dialogué m'a rapidement lassé... mais visiblement JLK n'était pas d'accord avec moi. Chaqu'un ses goûts et merci du commentaire.
Ce livre est très intéressant et qui plus est bien écrit. La frontière entre le récit "réaliste" et l'écart inhérant à cette réalité du fait de l'écriture est assumé et joué dans l'écriture du livre de manière très pertinente. L'auteur manie l'ironie et l'humour décalé de cette façon irrécupérable qui panique les enseignants et fait parfois bouger les élèves. Nadine a bien raison dans ses propos. Enseignant en zep depuis plusieurs années je ne peux que confirmer l'attentisme des enseignants (de leurs syndicats et inspecteurs aussi) et parfois leur lâcheté devant ce qui pourrait être fait mais qui leur demanderait de se laisser un peu bousculer.
Je suis prof moi-même (pas en ZEP) et je n'ai pas pris ce roman comme un texte philosophique. J'ai aimé ce livre parce qu'il m'a amusé tout d'abord et que j'ai apprécié de voir un prof qui ne se plaint pas de ses élèves, qui fait un constat de ce qui se passe réellement dans un lycée, tant du côté des profs que des élèves. Oser taper contre les profs, je trouve ça bien. Ce n'est pas un métier facile, voir le niveau des élèves devenir aussi déplorable, ça donne parfois envie de tout lâcher, mais il faut aussi que certains profs admettent la réalité de ce métier et les avantages qu'il apporte. Il faut en effet vraiment bousculer certains profs qui se souviennent de l'époque bénie où les élèves étaient sages... Il faut évoluer en même temps que les générations qui se succèdent. Marre des profs qui se placent eux-mêmes sur un piédestal. On est avant tout des êtres humains et on n'est certainement pas plus intelligents que les autres. Juste avec une culture différente.
Quant à la remarque sur l'Autriche, bien sûr c'est choquant, mais vous ne savez donc pas prendre les choses au deuxième degré????
Une chose semble certaine c'est que ce livre a des supporters et c'est tant mieux. Merci pour cet éclairage qui m'inspire la parenthèse suivante:
J'ai regardé hier soir l'émission de S. Berne avec comme sujet "La langue française est-elle menacée?" C'était un régal de voir à quel point les vrais "savants", Claude Hagege, Alain Rey... avaient un approche circonspecte et même modeste du sujet. Pas de discours péremptoires, c'était : "Les temps changent et rien ne prouve que le présent soit pire que le passé".
J'ai lu le livre, suis enseignante et ai plutôt apprécié le livre . Cela doit surprendre Nadine qui manifestement a une dent contre le corps enseignant dans son ensembme. Il faut savoir cependant que tous les enseignants ne se ressemblent pas et si certains manquent d'humour, d'autres en ont et cela est valable aussi pour les autres... Cessons par pitié de mettre des étiquettes à l'ensemble d'une catégorie (les jeunes ceci, les profs cela , les fonctionnaires, les cheminots... j'en passe et des meilleurs). La généralisation est source d'ostracisme, de racisme et par voie de conséquence de tensions, conflits voire guerres. C'est vieux comme le monde et pourtant cela n'arrête pas.
C'est absolument vrai. Les américains sont comme ci, les chinois comme ça... Comment peut-on oser attribuer une qualité (ou un défaut) à un milliard d'hommes alors qu'on est pas qu'on voit bien que deux économistes pris au hasard et qui ont fait les même études ont des avis divergents sur une majorité de sujets.
D'ailleurs, je le dis tout net, les économistes sont tous des fumistes, comme les profs d'ailleurs.
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