Oeil serein -Fin-
31/12/2005
...Dans une semaine ou deux vous allez déjà récupérer le deuxième œil… »
Pour les appareils hi-tech, je suis servi. A droite deux écrans : un petit, au format oscilloscope, l’autre, plus grand, une gueule de PC standard, gris souris. Un TKN évidement ! Deux bouteilles distillent dans mes veines des liquides variés et peu miscibles. Autant que je puisse en juger, l’alimentation est contrôlée par des capteurs reliés à l’ordinateur. Il y a des pelotes de fils qui pendouillent de partout. Ils doivent alimenter le système en données fraîches. Pour ajouter au tableau, papa m’a amené un petit enregistreur qui répond à ma voix. Il l’a suspendu sur la potence. Ça m’étonnerait que je m’en serve. Mon lit ressemble à un fauteuil de dentiste qui serait bourré de suspensions, de poulies, de câbles, de manettes… Je suis dans des coques en résine de synthèse. L’horreur !
- Non, ce n’est pas du plâtre, monsieur Dubé. Vous avez raison… ça y ressemble… c’est un produit bien plus sophistiqué. Cette résine a un coefficient poids/résistance incroyablement faible…
C’est à croire qu’il a subodoré ma technophobie, le mandarin. Il me dit ça en mirant des radios à la lumière de la fenêtre.
- Ce sont des images de synthèse en 3D… Regardez, n’importe qui peut les comprendre. Ici, vous voyez, c’est votre bassin. On distingue très bien le morceau que j’ai remis en place. Du beau boulot ! Ça va se ressouder à merveille. Là… c’est le fémur. Quel puzzle ! Il y a au moins dix morceaux. Celui-là, faudra sans doute le recasser pour le remettre parfaitement en place… On verra bien… Dans trois ou quatre mois, peut-être…
Effectivement on voit bien le squelette. De la belle image, brillante, presque en relief. Il m’énerve, le chirurgien, avec son crâne dégarni, sa bedaine de quinquagénaire, cet air d’avoir inventé la médecine moderne à lui tout seul. Les infirmières aussi, elles m’énervent ! Surtout Michèle.
Alors je préfère rester seul. J’aime bien laisser vagabonder mon esprit au milieu de mon capharnaüm de fils… Cette solitude ne dure jamais… Tout à coup, ça se met à sonner, des lumières s’allument de partout. Michèle arrive, sûre d’elle, elle change les flacons, bricole les fils d’un air vachement professionnel… Finalement la stridulation s’arrête. J’ai beau avoir les neurones en bon état de fonctionnement, je n’arrive pas à comprendre ce qui déclanche cette sonnerie.
Ils le font exprès, j’en suis sûr ! C’est pour ajouter au coté « tout est sous contrôle. » En ex-employé de la boutique, on ne m’abuse pas si facilement. Je me dis que ça doit être un bug. Une erreur dans le système que personne ne veut corriger tellement ça les arrange. Ça ajoute aux mystères de la technique médicale… C’est bon pour l’image de l’hôpital... Le plus énervant dans l’affaire, c’est la manière dont elle me parle :
- Voilà, c’est réparé. On est content j’espère… Je vais lui remonter un peu l’oreiller au jeune homme… On arrête de faire la moue… On fait un petit sourire à son infirmière préférée. Alors comme ça, on débranche les fils ? Mais non, je plaisante. C’est pas gentil ça de déranger sa petite Michèle en pleine nuit. On s’ennuie un peu alors on aimerait bien que l’infirmière s’occupe un peu de vous, vous fasse des câlins.
Je lui trouve un air franchement sadique. Je m’efforce de ne pas bouger un œil. Alors, elle en rajoute dans le langage infantile. Tu parles, elle peut se les garder ses câlins. De toutes façons avec toutes ces bandelettes, y a pas de place pour les caresses. Vivement que je puisse bouger un peu… « Ce n’est qu’une question de temps et de patience. Rien de vital n’a été touché… » M’a répété doctement le visiteur du soir, le chirurgien à calvitie et petite bedaine. « Vous êtes jeune. L’année prochaine vous serez sur pieds, tout bon pour le marathon de New-York. »
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Paris, 3 Juillet 2000 - Les mouchards ont parlé.
Du nouveau dans l’instruction de l’affaire du jeune Dubé. On se souvient que Frédéric Dubé, hospitalisé à l’hôpital Foch à la suite d’un très grave accident de la circulation survenue près d’Aubusson, est mort dans la nuit du 5 mars. Victime d’un nombre incalculable de fractures, son état était néanmoins considéré comme satisfaisant. Sa fin brutale est d’autant plus difficile à comprendre.
Au départ de l’enquête, les soupçons se sont portés sur Michèle M., une infirmière du service, que les parents ont accusé d’intervention tardive, inadaptée, voire même malveillante. Les enquêteurs ont disposé d’outils d’investigation très complets. F. Dubé était en possession d’un Dictaphone à déclenchement vocal, engin sur lequel se sont enregistrées la plupart des bruits et des conversations des derniers jours dans sa chambre. De plus les nombreux appareils médicaux qui l’assistaient dans sa lutte sont dotés de mémoires, à l’image des boites noires des avions.
Depuis, Michèle M. a été renvoyée de l’hôpital pour faute grave mais il semblerait que l’enquête se dirige vers une panne peu fréquente et mal contrôlée d’un appareil essentiel à la survie du malade. Il s’agirait d’un bug, une erreur de programmation, dans un logiciel fabriqué par la société E-Medic. On a beaucoup parlé de cette société, l’année dernière, lors de son introduction réussie au second marché de la bourse de Paris.
4 commentaires
C'est autobiographique ?
Totalement :-)
Bien vu la fin ;•)
Bonne année à tous les littérateurs qui ont quelque chose à dire, de différent, d'étonnant, d'attachant... Comme ici!...
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