Internet Romance -14-
07/08/2005
De toutes mes lectures indiscrètes, les textes de Mary-Ann sur la religion étaient les plus indigestes. Ses fautes de français, amusantes d’habitude, devenaient pénibles. Des textes prétentieux, bourrés de clichés d’un messianisme gnangnan. Elle était adepte de la Science Chrétienne, elle écrivait la SC. On aurait dit une mauvaise traduction de l’araméen via trois ou quatre langues mal maîtrisées. Ce que je comprenais de tout ce charabia, c’était que la SC n’admet pas d’autre méthode de soin que la prière. Dieu sait protéger qui a la foi. Une sorte de sainte méthode Coué. Ce n’était pas, pour elle, une vague activité sociale parmi d’autres : La SC avait dans sa vie plus de place que Nico ou que Tom. D’après moi, il n’y avait guère que son désir de maternité qui aurait pu l’amener à enfreindre les saints préceptes édictés au XIX ième siècle par Mary Baker Eddy, le messie de la SC.
Tom, encore Tom. En toute indiscrétion, entre les lignes, je sentais bien que l’Italien sportif, inculte, un peu fruste, était pour Mary-Ann plus qu’une simple liaison. Elle s’était attachée à ses trois enfants : « Le dimanche, quand les enfants de Tom sont avec nous, on se lève de bonne heure, on fait très beaucoup de choses actives. Ils sont gentilles avec moi. Le problem c’est qu’ils ne sont pas miens et ils sont des teenagers. » Les autres dimanches, il prenaient du bon temps : « …quand les enfants sont avec leur maman, Tom et moi, on ne quitte pas le lit avant que d’aller à le match de soccer vers trois heures après-midi. On prépare des plateaux… On se recouche… Je crois qu’on dit c’est une grasse matinée… c’est very délicious » A la lecture de ces mots Nico devait trouvé le sportif bien encombrant.
Dans un des courriels que je lisais en douce, elle annonçait à grands cris sa venue en France, ce serait en septembre. Je n’ai pas eu à jouer les hypocrites bien longtemps, Nicolas est arrivé triomphant dans mon bureau « Elle va venir ! Elle arrive bientôt ! C’est merveilleux ! Il faut que je prépare tout ça. Je serai en vacances en septembre et en octobre, six ou sept semaines, je crois. » Je n’ai pas eu le cœur de lui faire remarquer que l’on ne pouvait pas prendre plus de quatre semaines de congé d’affilée sans une excellente justification. À dire vrai, cette histoire commençais à tous nous fatiguer : Nicolas, moi et surtout toute l’équipe de prima donna. Dans les couloirs, à la cafétéria, on ne parlait plus que de ça. Le travail de tous s’en ressentait. Une pause de deux mois nous ferait le plus grand bien à tous.
De plus, nous allions faire la connaissance de Mary-Ann, de la pétillante Mary-Ann. La plus belle fille de TKN Sydney. Elle aussi était tout excitée :
Sydney le 12-Sep
Nicolas,
J'ai trouvé un billet d'avion vraiment pas dispendieux (expensive?). Dans 3 semaines et 1 jour c’est pour moi la France! Je m’enjouis très beaucoup de notre rencontre en vrai. Tom ne parle rien sur ces vacances. Rien de plus sur le mariage. Le projet du début de l’année, projet qui devrait être achevé ce mois-ci. Je ne sais quoi faire plus. Je vais prier Dieu pour inspirer mes choix.
Ma curiosité n’avait plus de frein. Au début, je n’osais pas trop aller guigner dans le courrier de Nicolas Ce n’était pas digne de moi. Puis progressivement, j’ai fouillé dans tous ses fichiers. Ce mariage, prévu de longue date, entre Tom et sa belle, il me l’avait caché. C’est Mary-Ann qui l’avait annulé en mai ou en juin. Nicolas m’avait dissimulé d’autres petits secrets qu’il confiait à une sorte de journal bizarre tenu dans un fichier EXCEL.
A cause de ce rôle d’espion, quand Nicolas m’a demandé de venir accueillir Mary-Ann à Lyon, j’ai un peu hésité. J’étais partagé entre ma curiosité à vif et une envie de sortir de ce rôle de témoin sournois, de voyeur un peu glauque. J’ai accepté bien sûr. Nicolas comptait les jours comme un prisonnier. Il était soudain pris d’une fièvre d’écriture dans French. Sa grande inquiétude, c’était la photo de sa belle qui n’arrivait pas, une coquetterie de sa part. Nous, les french-noteurs grenoblois, il y avait belle lurette que Nicolas nous avait demandé, à tous, des portraits pour les envoyer à Sydney. J’avais posé dans un photomaton avec mon casque de moto et mon air le plus niais possible. Nicolas avait sous-titré : « Mon chef casqué. »
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